La réunion exceptionnelle du conseil de la Choura, tenue le 4 août 2021, était très attendue par le microcosme politique tunisien. Il s’agit de donner la réaction officielle et réfléchie du parti islamiste aux évènements du 25 juillet et aux décisions du président de la République.
Le communiqué du conseil est tombé le lendemain, 5 août, et montre que le parti islamiste, en plus d’être sourd, est complétement aveugle à la réalité de la situation.
D’abord, la réunion en elle-même. Cette session extraordinaire du conseil de la Choura a été houleuse à souhait et les avis se sont entrechoqués assez violemment. Les participants à cette réunion ont même eu recours aux réseaux sociaux pour exprimer leurs positions et avis. Jamais la discorde n’aura été aussi visible au sein du parti islamiste, réputé pour son organisation et pour sa discipline, surtout en présence d’un danger extérieur.
Pour couronner le tout, trois élues ont décidé de claquer la porte de la réunion : Yamina Zoghlami, Jamila Ksiksi et Monia Brahim. Elles ont affirmé que les décisions qui seraient prises à la suite de cette réunion ne les engageaient en rien !
C’est dire la profondeur des dissensions au sein de l’instance dirigeante d’Ennahdha. Deux camps s’affrontent :
– D’un côté, ceux qui revendiquent la reddition de comptes et prônent un changement de direction pour repositionner le parti en institution accessible et proche des préoccupations populaires.
– D’un autre côté, les conservateurs qui recommandent plutôt de gérer cette phase délicate avec le leadership actuel et de reporter les problèmes internes au prochain congrès dont la seule date définie est « d’ici la fin de l’année ».
Quand on lit le communiqué rendu public à l’issue de la réunion, aucun doute n’est possible, c’est bien le camp des conservateurs qui a gagné. Toute l’agitation médiatique des derniers jours, les déclarations des frondeurs qui mettent en doute la sagesse et l’efficacité de la conduite politique du parti, la nécessité d’une remise en question profonde et sincère, etc. Tout cela a été relégué au laconique sixième point du communiqué qui parle d’évaluation et de révisions profondes « à l’horizon du 11e congrès du parti décidé pour la fin de cette année ».
Pour le reste, Ennahdha s’est cantonné dans des positions aussi fragiles que puériles au vu des derniers développements de la scène politique.
Par exemple, le parti islamiste demande le dégel du parlement pour que celui-ci « reprenne son rôle, améliore son rendement et classe ses priorités selon les exigences de cette nouvelle période ».
Est-ce seulement maintenant que l’ARP pense à améliorer son rendement après le triste spectacle fourni aux citoyens depuis le premier jour de ce mandat ?
Est-ce que les propos d’Ennahdha concernent aussi le rendement de son chef qui est à la tête de cette institution et qui instrumentalise à souhait le bureau de l’ARP pour protéger ses ouailles ?
Quelle légitimité a encore cette assemblée, devant laquelle, comble du ridicule, Ennahdha demande l’obtention de la confiance par le nouveau gouvernement ?
Non seulement Ennahdha n’a pas entendu les critiques, venant même de ses rangs, sur la gestion catastrophique qui a eu lieu pendant dix ans, mais Ennahdha n’a pas vu que ce sont ses sièges qui ont été attaqués et brûlés le 25 juillet 2021.
Des personnes comme Zied Laâdhari ou Abdelhamid Jelassi ont payé le prix fort pour avoir critiqué la direction politique du parti et ont été poussés à la porte. Ennahdha ne semble pas avoir retenu la leçon.
Le positionnement hors contexte du parti Ennahdha s’illustre également dans la revendication d’un dialogue avec les différentes parties prenantes et à leur tête le chef de l’Etat.
Il existe d’abord un problème logique compte tenu du fait que Ennahdha qualifie ce qui s’est passé le 25 juillet de coup d’Etat : comment dialoguer avec un putschiste ?
Par ailleurs, sur quels sujets porterait un hypothétique dialogue entre les parties responsables de la situation qui a déclenché la colère populaire ce jour-là ? Cette option du dialogue, énoncée dans le communiqué, ne sert qu’à donner une image démocratique au parti islamiste car, outre le fait qu’il s’agit d’une issue largement refusée au niveau populaire, elle ne peut être applicable quand on sait que le président Kaïs Saïed ou encore l’UGTT ont déjà tourné cette page depuis un certain temps.
Le premier point du communiqué d’Ennahdha parle de compréhension de la colère des jeunes à cause des échecs au niveau social et économique et fais porter la responsabilité à toutes les composantes politiques, chacune selon sa participation. Le parti les invite à « corriger leur rendement et à s’excuser de leurs erreurs ». Une recommandation que Ennahdha, parti qui a gouverné, de près ou de loin, pendant les dix dernières années, ne s’applique pas en continuant à jouer le rôle de victime.
L’aigreur et la colère exprimée par plusieurs membres du parti Ennahdha est parfaitement compréhensible. Quand on lit le communiqué du conseil de la Choura, on a la confirmation qu’il s’agit bien de « politique de la fuite en avant et d’inconscience devant la dangerosité de la période actuelle pour le parti et pour le pays », comme l’ont écrit les députées réfractaires. C’est également ce que pensent des personnes comme Samir Dilou ou Abdellatif Mekki.
La direction politique du parti islamiste ne semble pas saisir à leur juste teneur les événements du 25 juillet et se recroqueville dans des postures défensives d’autosatisfaction et d’inconscience. Les mêmes postures et les mêmes comportements qui ont amené les manifestants du 25 juillet à s’attaquer aux sièges du parti islamiste.
Marouen Achouri