La Tunisie plonge un peu plus dans l’inconnu. Le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, a décidé de prolonger « jusqu’à nouvel ordre » le gel du Parlement, a annoncé la présidence dans la nuit de lundi 23 à mardi 24 août. Ses activités sont suspendues depuis le coup de force du 25 juillet, qui a permis au président de s’octroyer tous les pouvoirs.
M. Saïed « a émis un décret présidentiel prolongeant les mesures d’exception concernant le gel des activités du Parlement ainsi que la levée de l’immunité de tous les députés, et ce jusqu’à nouvel ordre », a indiqué la présidence dans un bref communiqué sur sa page Facebook. Le gel du Parlement était initialement prévu pour durer trente jours.
Dans l’attente d’une feuille de route
« Le président s’adressera dans les prochains jours au peuple tunisien », a ajouté la présidence, sans autre détail. Le 25 juillet, M. Saïed avait invoqué la Constitution pour s’octroyer les pleins pouvoirs, limoger le chef de gouvernement et suspendre le Parlement durant trente jours.
Une décision dénoncée comme un « coup d’Etat » par des juristes ainsi que par les adversaires de M. Saïed, en particulier le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, principale force parlementaire de ce pays rongé par des mois de blocages politiques et une progression alarmante de l’épidémie de Covid-19.
Depuis son coup de force, le président Saïed n’a toujours pas nommé de nouveau gouvernement ni dévoilé sa « feuille de route », réclamée par plusieurs partis politiques et organisations de la société civile.
Nombre de Tunisiens ont cependant accueilli avec enthousiasme les mesures de M. Saïed : exaspérés par leur classe politique, ils attendent des actes forts contre la corruption et l’impunité dans un pays où la situation sociale, économique et sanitaire est très difficile.
Purge anticorruption
Mais si le président bénéficie d’une forte popularité en Tunisie, son coup d’éclat préoccupe la communauté internationale, qui craint que le berceau des printemps arabes ne régresse vers l’autoritarisme.
La « purge » anticorruption enclenchée par le président depuis son coup de force de juillet suscite inquiétudes et craintes d’un recul des libertés en Tunisie.
D’anciens responsables, hommes d’affaires, magistrats et députés sont visés par des arrestations, interdictions de voyage et assignations à résidence, sur simple décision du ministère de l’intérieur, sans justification, ont dénoncé des défenseurs des droits de l’homme.
Théoricien du droit, Kaïs Saïed se présente depuis son arrivée au pouvoir en 2019 comme l’interprète ultime de la Constitution et s’appuie sur l’article 80, qui envisage des mesures exceptionnelles en cas de « péril imminent » à la sécurité nationale, pour justifier ses décisions.
« La liberté de déplacement est un droit constitutionnel que je m’engage à garantir », a assuré la semaine dernière le président tunisien. « Mais certaines personnes devront rendre des comptes à la justice avant de pouvoir voyager », a-t-il ajouté.
Ennahdha fragilisé
Le régime exceptionnel instauré il y a un mois a placé aussi en position délicate les partis politiques, et surtout Ennahdha, déjà fragilisé.
Lundi 23 au soir, peu avant l’annonce de la présidence, le parti d’inspiration islamiste a annoncé le remplacement de son bureau exécutif.
Son chef, Rached Ghannouchi, a décidé de mettre fin aux fonctions de tous les membres et de former un nouveau bureau exécutif, « afin de répondre aux exigences de la période actuelle avec l’efficacité requise », a indiqué le parti dans un communiqué.
Le parti n’a pas encore réagi au prolongement du gel du Parlement.