Pour comprendre l’attitude inhumaine de l’Australie à l’égard des réfugiés afghans, il faut comprendre l’aveuglement qui est au cœur de notre politique migratoire [Canberra a promis d’accueillir 3 000 réfugiés afghans dans le cadre de son quota annuel de “visas humanitaires” tout en lançant une campagne visant à les dissuader de se rendre en Australie]. À force de répéter depuis des dizaines d’années que toute forme de compassion saperait les fondations de notre système, notre classe politique est anesthésiée. Et le pays est pris d’une sorte d’engourdissement moral où toute logique ou toute forme de décence est évacuée. Et comme remettre en question le moindre aspect de cette politique entraînerait son effondrement, personne ne dit rien.
Dès le mois de juin, si ce n’est plus tôt, l’Australie a été avertie que sa décision de quitter l’Afghanistan mettrait en danger des milliers de vies. Notre gouvernement n’a pas envisagé la moindre mesure spéciale à ce moment-là, car la partie de son cerveau nécessaire à l’anticipation avait déjà été mise en veilleuse. [Le Premier ministre] Scott Morrison n’a pas été pris de court cette semaine : il était déjà saisi par l’indifférence, cette sorte d’indifférence qui lui permet de supporter la politique d’accueil des réfugiés qu’il a passé des années à façonner.
Un formulaire en ligne de 35 pages
Avec la fermeture de notre ambassade en mai, l’Australie est devenue la première nation alliée à retirer ses diplomates d’Afghanistan, un pays dans lequel nous faisions la guerre depuis vingt ans. Cette décision a suscité des critiques en privé de la part des États-Unis et de l’Afghanistan. La ministre des Affaires étrangères, Marise Payne, a déclaré qu’elle s’était engagée, avec le président afghan de l’époque, Ashraf Ghani, à écrire un “nouveau chapitre” de leurs relations. [Le 15 août] il a fui le pays dans un hélicoptère rempli d’argent..
Alors que les forces alliées commençaient à partir, le gouvernement britannique a créé une unité spéciale à Kaboul pour gérer les demandes de visa du personnel afghan. Les États-Unis ont a préparé l’évacuation de milliers de personnes. L’Australie a proposé aux Afghans un formulaire de 35 pages à remplir en ligne, dans un pays où l’accès à Internet est limité.
Cette situation n’est pas nouvelle. En 2013, alors que les troupes australiennes se retiraient du sud de l’Afghanistan, les soldats ont reçu pour ordre de ne pas aider leurs interprètes à demander l’asile politique. Comme l’a déclaré à [la journaliste] Karen Middleton, le commandant Stuart McCarthy, qui était chef adjoint de cette unité chargée du retrait australien :
“On nous a dit oralement de transmettre cet ordre à nos troupes : ‘Il ne faut pas aider vos interprètes à remplir les papiers.’”
Il y a déjà plusieurs mois que McCarthy avertissait le gouvernement Morrison de ce qui allait se passer cette semaine. “Si nous n’agissons pas maintenant, disait-il, il y aura encore plus de morts et notre gouvernement aura du sang sur les mains.”
Peter Dutton [le ministre de la Défense] a préféré avoir recours à la calomnie. Depuis des années, il affirme que les réfugiés sont des pédophiles. Et sa première réaction a été de dire que les Afghans qui avaient servi aux côtés des troupes australiennes pouvaient être des terroristes. Que certains d’entre eux avaient travaillé pour Al-Qaida.. Que d’autres avaient soutenu Daech..
Morrison quant à lui est en pilotage automatique :
“Nous n’offrirons pas d’accès à la résidence permanente ou la citoyenneté. Nous n’autoriserons pas les gens à entrer illégalement en Australie, même en ce moment. Notre politique n’a pas changé.”
La cruauté de propos de ce genre est difficile à comprendre, sauf que l’ensemble de l’échiquier politique parle le même langage depuis vingt ans. C’est toute la cruauté d’un pays qui refuse de voir que le monde existe au-delà de ses côtes.
The Saturday Paper
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais.