Pourquoi, après dix longs mois de manifestations aux portes de Delhi, les paysans ne montrent-ils pas de signe de fatigue ? C’est la question que se posent beaucoup de gens en Inde et à laquelle l’Indian Express apporte des éléments de réponse dans son édition du 29 septembre.
Le “Bharat Bandh” (littéralement : la “fermeture de l’Inde”), qui avait démarré en novembre 2020 à la suite de la promulgation par le gouvernement Modi d’une réforme libérale du marché agricole du sous-continent, continue en effet de mobiliser fortement. “Rien n’indique que les agriculteurs pourraient revenir sur leurs revendications, malgré tous les efforts déployés par le BJP [le parti de droite nationaliste au pouvoir] pour apaiser leurs craintes concernant les trois lois agricoles contestées”, observe le journal.
Ces textes ont ouvert à la libre concurrence la vente des récoltes de céréales, principalement le riz et le blé, aux géants de l’industrie agroalimentaire. Si le mouvement se poursuit aujourd’hui, c’est que les cultivateurs ont “le sentiment que les entreprises privées pourraient s’emparer de leurs terres après la mise en œuvre de cette réforme”.
Une répression contre-productive
Au fil du temps, les autorités comptant sur le pourrissement de la situation pour y mettre fin, ce sentiment “n’a fait que croître malgré l’insistance répétée du gouvernement sur le fait que les lois sont destinées au bien-être de la communauté agricole”. Chaque fois que le gouvernement a opté, au cours de l’année écoulée, pour l’usage de la force, “cela s’est avéré contre-productif”. Toute détention ou arrestation d’agriculteurs n’a fait qu’“attiser leur colère”.
Les lieux de rassemblement aux postes de péage des autoroutes du Pendjab et du Haryana menant à la capitale indienne, de même que ceux qui sont devenus permanents aux frontières de Delhi, “s’avèrent être des centres de régénération” pour les manifestants. Ces derniers se rendent sur ces lieux “à tour de rôle”, afin que “le fardeau économique de leur lutte” ne retombe pas toujours sur les mêmes. Ils restent également très mobilisables au moindre appel des syndicats, pouvant ainsi bloquer “en quelques minutes” les principaux axes routiers.
D’après l’Indian Express, le moral des paysans est “toujours au beau fixe”. L’un d’entre eux raconte même que les agriculteurs “ont l’impression qu’ils sont en passe d’atteindre leur objectif”, à savoir que le gouvernement “s’inclinera tôt ou tard” et que ces lois, à leurs yeux maudites, seront définitivement abrogées, après avoir été suspendues l’hiver dernier sous l’aimable pression de la Cour suprême.
Mieux, la contestation prend désormais la tournure d’un “mouvement de masse”, estime le quotidien, avec l’agrégation du monde salarié à la contestation sociale générale contre les nationalistes hindous au pouvoir. La situation n’en demeure pas moins bloquée. Du côté du BJP, on continue de rendre “l’opposition responsable” de manipulation des manifs paysannes. On affirme en outre que la population “en a assez” et que le gouvernement souhaite sortir de cet imbroglio “par le dialogue”. Pour l’instant, la situation ressemble plutôt à un dialogue de sourds.
Sukhbir Siwach
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