Le 5 octobre, une association russe spécialisée dans la défense des droits des prisonniers a rendu publique une première vidéo montrant des scènes de viols et d’humiliations contre des détenus. Les agresseurs sont vêtus d’uniformes, et les scènes ont été tournées dans une chambre de l’hôpital-prison pour tuberculeux dépendant du Service fédéral de l’application des peines (SFAP) de la ville de Saratov.
Peu après la publication, le Comité d’enquête fédéral a lancé une procédure de vérification, le chef du SFAP de Saratov a donné sa démission, le directeur de l’hôpital et trois de ces subordonnés ont été limogés et des enquêtes criminelles ont été ouvertes, rapporte le quotidien Moskovski Komsomolets.
Celui qui a donné l’alerte est le fondateur de l’association et du site Gulagu.net, Vladimir Ossetchkine, qui s’est retrouvé en possession de 40 gigabits de vidéos de tortures sur des prisonniers, exfiltrés de Russie. Ces images ont été filmées par les employés du SFAP eux-mêmes, sur du matériel appartenant à l’administration carcérale, affirme-t-il.
Comme le relaie le site Lenta.ru, c’est le caractère possiblement systémique de ces pratiques dénoncées par les médias qui a poussé le Parquet général à procéder à des vérifications dans toutes les colonies pénitentiaires de la région de Saratov. L’affaire est très vite remontée jusqu’au Kremlin, où le porte-parole, Dmitri Peskov, a déclaré qu’il était urgent “d’établir l’authenticité des vidéos afin de faire toute la lumière sur cette question”.
Le 6 octobre, Vladimir Ossetchkine a mis en ligne d’autres vidéos, cette fois tournées dans des établissements pénitentiaires d’autres régions, rapporte le quotidien économique RBK. Comme il l’explique sur sa chaîne YouTube, pour des “raisons éthiques” et étant donné l’extrême violence des images, il ne peut diffuser ces vidéos que très parcimonieusement.
Le projet de Gulagu.net a été créé en 2011. En mai 2021, son fondateur, Vladimir Ossetchkine, a déclaré qu’il le transférait en Europe “à plus de 3 000 kilomètres de la frontière russe”, afin d’assurer la sécurité de ses collaborateurs. Le site essuie des attaques informatiques fréquentes. D’après le défenseur des droits des prisonniers, les vidéos qu’il a reçues ont été envoyées à des organisations internationales de lutte contre la torture.
“Vidéo-kompromats”
Comme le relate le quotidien en ligne Gazeta.ru, qui cite Ossetchkine, la torture est pratiquée de manière systémique. Il s’agit de la réalisation en chaîne de “documents compromettants”, (“kompromats” en russe), permettant d’obtenir tout et n’importe quoi d’un détenu. Il explique :
“Des centaines de personnes ont été torturées, violées devant des caméras. Puis à l’aide de ces ‘vidéo-kompromats’, elles ont été elles-mêmes recrutées pour intégrer cette même chaîne de travail funeste.”
Si l’homme qui a fait sortir ces supports vidéo de Russie a pu le faire, c’est qu’il a lui-même été un détenu recruté pour “collaborer” avec l’administration pénitentiaire. “C’est un programmeur informatique. Il a lui-même été battu et torturé. Puis, ils ont décidé de l’utiliser comme professionnel”, raconte Ossetchkine. Devenu “activiste”, il a eu accès aux données du SFAP et à ces terribles vidéos. Il se trouve actuellement hors de Russie et sous protection, affirme le site.
Courrier International
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