Au Japon, dans le sillage du mouvement #MeToo lancé en 2017, de plus en plus de femmes prennent la parole sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violences sexuelles et les inégalités dont de nombreuses Japonaises font toujours les frais. Néanmoins, elles s’exposent ainsi presque systématiquement aux avalanches de commentaires misogynes qui gangrènent leur santé mentale.
L’ampleur du phénomène dans le pays est telle que même la princesse Kako, nièce de l’actuel empereur Naruhito, n’y a pas échappé. Lors du 100e anniversaire de l’organisation de scoutisme Girl Scouts of Japan, le 10 octobre, elle s’est déclarée en faveur de l’égalité entre les sexes, “afin que tout le monde puisse avoir davantage de choix dans sa vie”.
Un discours qui lui a valu de violentes réactions sur les réseaux sociaux, où elle a été qualifiée de “niaise”. Certains internautes sont allés jusqu’à lui reprocher son statut social : “Comment ose-t-elle prononcer le mot ‘égalité‘ alors qu’elle est issue d’une famille plus que privilégiée ?”
Afin de lutter contre le cyberharcèlement, quatre militantes féministes, dont la fondatrice du mouvement #KuToo contre le port obligatoire de talons au travail, Yumi Ishikawa, ont créé l’organisation Online Safety for Sisters (“Sécurité en ligne pour les femmes”), a rapporté le quotidien Mainichi Shimbun.
“Tu devrais te suicider !”
Lors de la conférence de presse organisée le 11 octobre pour présenter leur projet, Yumi Ishikawa a fait part de son expérience. “Cela fait deux ans que j’encaisse des commentaires violents comme ‘Tu devrais te suicider !’, ‘Que le coronavirus t’achève’, ‘Sois violée et crève’. J’en suis venue à me demander si j’avais le droit de vivre”, a-t-elle indiqué au journal.
“Jusque-là, je n’avais jamais eu de pensées suicidaires, mais j’ai commencé à en avoir en raison du cyberharcèlement. C’est très dur comme situation.”
Une autre cofondatrice de l’organisation, Nahoko Hishiyama, a fait des expériences similaires. Lorsqu’elle a dénoncé le caractère misogyne de l’attaque au couteau survenue en août dans un train, à Tokyo, et qui a fait dix blessés, elle a reçu des commentaires sur Twitter la traitant de “malade mentale” et de “baka-femi” (“féministe stupide”). Certains internautes ont même posté la photo d’une arme blanche avec un portrait de Hishiyama.
“Quand Hana Kimura [catcheuse qui a participé à la série de téléréalité Terrace House] s’est donné la mort en mai 2020 après avoir été la cible d’injures sur les réseaux, je me suis dit qu’elle était tout de même allée un peu loin. Mais maintenant, je comprends ses sentiments. Cela m’épuise de lire ces commentaires, surtout lorsque je suis déjà fatiguée. Si je n’étais pas soutenue, cela aurait été difficile d’encaisser tout cela seule”, a-t-elle confié.
Ne plus détourner les yeux
Au Japon, on conseille souvent aux victimes de cyberharcèlement de détourner les yeux et, tout simplement, de ne plus lire ces commentaires. Une tendance qui indigne Natsuko Izena, l’une des cofondatrices de l’organisation :
“Cela ne résoudra jamais le problème ! C’est comme si on disait à une victime de harcèlement scolaire d’arrêter d’aller à l’école, au lieu de mettre en cause la responsabilité des auteurs et d’instaurer des mesures pour empêcher ce harcèlement.”
Pour créer une société où “les femmes pourront se servir d’Internet en toute sécurité”, Online Safety for Sisters va donc plaider auprès de l’État pour l’instauration d’une loi obligeant les réseaux sociaux à lutter contre ces propos haineux et sexistes. La mise en place d’un service de soutien aux victimes de cyberharcèlement et le lancement d’une campagne de sensibilisation à ce sujet figurent également dans leur programme, précise l’article du Mainichi Shimbun.
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