Au Japon, l’“upskirting”, cette pratique consistant à filmer sous les jupes des femmes à leur insu, est un véritable fléau. Rien que pour l’année 2019, la police japonaise a recensé 4 000 cas, et ce chiffre ne représente qu’une infime partie de l’iceberg, selon Yoshiaki Saito, travailleur social en santé mentale. Spécialisé dans le soin des frotteurs du métro et auteurs d’upskirting, il a accordé une interview au journal Asahi Shimbun pour expliquer l’ampleur du problème dans la société japonaise. Après avoir soigné 521 auteurs entre 2006 et 2020, il constate qu’il ne s’agit pas du tout d’un délit mineur fait sur un “coup de tête”, comme certains peuvent le croire, et plaide pour la création d’un délit spécial contre les auteurs d’upskirting.
Asahi Shimbun : Quels sont les profils des amateurs d’uspkirting qui vous consultent ?
Yoshiaki Saito : Deux tiers d’entre eux sont allés à l’université ou sont en train de faire des études supérieures. Plus de la moitié sont employés dans une entreprise, et ceux qui occupent un métier spécialisé comme professeur et médecin représentent 15 % d’entre eux. Soixante pour cent sont mariés ou l’ont déjà été. La plupart passent à l’acte dans des gares, et l’âge moyen lors de la première consultation est plutôt bas, autour de 28 ans. Cependant, ils mettent des années – sept ans en moyenne – entre le premier passage à l’acte et la première consultation clinique.
Selon nos données, les récidivistes d’upskirting ont un statut social plus élevé que ceux des “chikans” [auteurs d’attouchements sexuels dans le train]. Ils ont aussi un CV plus fourni.
Pourquoi ?
Dans l’upskirting, le passage à l’acte est plus facile, car cela ne nécessite pas de contact physique avec la victime. Les victimes qui se rendent compte qu’elles ont fait l’objet d’une agression sexuelle étant rares, les agresseurs peuvent obtenir la sensation de réussite plus facilement. Et aussi justifier de l’acte : à leurs yeux, il s’agit d’une pratique permettant de satisfaire leur désir sans blesser personne.
En cas d’arrestation, ils risquent pourtant de perdre leur statut social. Pourquoi continuent-ils de filmer sous les jupes des femmes ?
Que ce soit des auteurs d’upskirting ou des chikans, ils ont des connaissances assez poussées en la matière. Ils savent par exemple que deux ou trois arrestations ne mènent pas forcément à la condamnation et qu’ils peuvent arranger les choses à l’amiable avec les victimes dans la plupart des cas. Puisque le dépôt de plainte prend du temps, certaines d’entre elles se contentent d’obtenir des excuses et la suppression des photos, en se disant que, finalement, elles n’ont pas été agressées physiquement.
Pourquoi l’effet dissuasif de l’arrestation est-il si faible ?
Même s’ils commencent à filmer sous les jupes des femmes par simple curiosité, ils perdent la maîtrise au fur et à mesure qu’ils continuent de filmer. Dans un premier temps, leur objectif est la masturbation, mais cela change progressivement de nature. Au bout d’un certain temps, ils se mettent à faire de l’upskirting pour faire de l’upskirting.
La tension avant le passage à l’acte et à la sensation d’accomplissement après l’acte provoquent un excès de dopamine dans le cerveau. Les auteurs deviennent dépendants de cette sensation. Si bien que, sans aide extérieure, ils ne parviennent pas à arrêter. L’upskirting est donc une addiction.
En quoi sommes nous différents de ces agresseurs ?
Je pense que ceux qui sont conscients de la violence qu’implique le fait de prendre une photo de quelqu’un sans avoir son accord ne se livreraient pas à un tel acte. Puisque l’upskirting est une forme de violence sexuelle, la question qui se pose ici est celle du consentement. Les auteurs partagent donc une valeur patriarcale qui consiste à considérer les femmes comme un objet ou un être inférieur aux hommes afin d’affirmer leur supériorité.
Comment fonctionne le traitement quand vous les aidez ?
La plupart des auteurs pratiquent l’upskirting avec leur portable. Il y a donc trois méthodes. 1. Bloquer l’appareil photo de leur smartphone en limitant l’accès avec un code. 2. Abîmer l’objectif de celui-ci pour rendre la prise de vue impossible. 3. Enlever tout simplement la fonction d’appareil photo de leur portable. En bref, s’ils n’ont pas leur matériel, ils ne passent pas à l’acte. Il faut aussi que la société prenne conscience qu’à travers les traitements s’appuyant sur des fondements scientifiques, les auteurs de crimes sexuels comme l’upskirting et l’attouchement sexuel arrivent à mettre fin à leurs actes.
Actuellement, une commission du ministère de la Justice est en train de débattre d’une réforme du Code pénal sur les violences sexuelles. La création du délit de voyeurisme figure sur la table. Cela aiderait-il à réduire le nombre de victimes ?
Cela aura un effet dissuasif sur les personnes qui commencent à faire de l’upskirting. Néanmoins, la loi aura des limites concernant les récidivistes qui en sont dépendants, et on peut dire la même chose pour les auteurs d’autres crimes sexuels. Pour eux, il faut associer un traitement approprié à la sanction pénale.
La réforme de la loi pourrait néanmoins permettre à la société de prendre conscience de l’upskirting. Trop de personnes le prennent à la légère en considérant que cela ne relève pas du crime sexuel. Si le Code pénal changeait et que cela menait à l’accroissement de personnes reconnaissant que l’upskirting est un crime sexuel à part entière, l’accès aux traitements serait plus facile. Cela pourrait jouer un rôle important dans la prévention de ce délit.
Asahi Shimbun
Yoshiaki Saito
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