Né en 1907 à Lézardrieux, dans les actuelles Côtes d’Armor, Marc Bourhis avait 34 ans. Avec Alice son épouse, ils étaient tous deux instituteurs à Trégunc commune du Finistère située à une dizaine de kilomètres au sud de Concarneau. Dès sa sortie de l’Ecole normale de Quimper, en 1926, Marc Bourhis s’engagea dans la Fédération unitaire de l’enseignement. C’est dans ce syndicat qu’il fit la connaissance d’un autre fusillé de Châteaubriant également instituteur avant de devenir professeur de Mathématiques, Pierre Guéguin.
Militant actif du Parti Communiste et voisin, à Concarneau, des parents de Marc Bourhis, Pierre Guéguin se lia très tôt au jeune instituteur qu’il convainquit d’adhérer au Parti Communiste en 1930. En désaccord avec l’évolution politique de l’Union soviétique et avec le cours suivi par le PC, Marc Bourhis quitta ce parti en 1933, l’année où Hitler devint chancelier du Reich et où il ouvrit les premiers camps de concentration. Marc Bourhis s’abonna alors au journal trotskyste La Vérité et, au niveau syndical, devint le porte-parole de l’Ecole Emancipée, l’organe de la Fédération Unitaire de l’enseignement.
Marc Bourhis
Dès 1935, ses liens avec les militants trotskystes devinrent plus suivis, notamment au retour dans le Finistère d’Alain Le Dem, avec qui il rejoignit, en 1936, le Parti Ouvrier Internationaliste. Le 29 décembre 1937, il présida même à Concarneau un important meeting du Parti Ouvrier Internationaliste dont rend compte la Lutte Ouvrière, l’hebdomadaire de ce parti, en date du 6 janvier 1938. Intéressant d’y lire que Pierre Guéguin, élu maire de Concarneau en 1935, vint lui-même porter la contradiction au nom du PC à Yvan Craipeau qui était l’orateur principal du POI lors de ce meeting.
Après l’exclusion du courant de la Gauche révolutionnaire au sein de la SFIO, son animateur Marceau Pivert constitua un nouveau parti, le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP). Avec la plupart des militants trotskystes français, Marc Bourhis y adhéra et y milita activement.
Mobilisé dès la déclaration de guerre en septembre 1939, Marc Bourhis fut envoyé à la caserne dite « Le Bagne » à Brest, avant d’être muté en mai 1940 comme élément suspect au 137e Régiment d’infanterie de Quimper Quelques semaines plus tard, en juin, cette unité était bloquée dans sa caserne par l’armée allemande. Libéré rapidement pour reprendre sa classe à Tregunc, Marc Bourhis reprit rapidement contact avec Pierre Guéguin qui avait rompu publiquement avec le Parti Communiste à la signature, en août 1939, du pacte de non-agression entre Staline et Ribbentrop, permettant quelques jours plus tard à l’Allemagne nazie d’envahir la Pologne et à l’URSS d’envahir les Pays Baltes et une partie de la Pologne.
Dans tout le Finistère, Marc Bourhis et Pierre Guéguin – qui avait été déchu de tous ses mandats comme tous les élus communistes - agirent dans la clandestinité contre l’occupation nazie. En juin 1941, Hitler envahit l’URSS. Le 23 juin 1941, Pierre et Marc improvisèrent un meeting dans un café de la pointe de Trévignon et firent savoir publiquement leurs opinions et leur satisfaction de voir l’URSS dans le camp des alliés.
Le 2 juillet 1941, suite à une dénonciation, Marc Bourhis - que le Commissaire des renseignements généraux présentait comme « l’âme du Parti révolutionnaire dans sa commune » - et Pierre Guéguin furent appréhendés comme agitateurs par la gendarmerie sur mandat d’arrêt du Préfet du Finistère et internés au camp de Choisel à Châteaubriant.
Dans ce camp où étaient également détenus d’importants cadres du Parti Communiste, le trotskyste Bourhis et le « renégat » Guéguin furent calomniés et mis en quarantaine par les partisans français de Staline, au point que l’historien trotskyste Rodolphe Prager écrit à propos de Pierre Guéguin : « la haine de ses anciens camarades le voua à une existence difficile « plus pénible encore que la sienne » selon les propres dire de Bourhis qui ne fut pas non plus ménagé ».
Désignés comme otages, Marc Bourhis, Pierre Guéguin et leurs 25 camarades tombèrent sous les balles nazies l’après-midi du 22 octobre à la carrière de la Sablière à Châteaubriant.
Aux 27 de Châteaubriant, aux 48 otages désignés par les autorités françaises et fusillés en représailles par les nazis, nous devons le même hommage. Mais cet hommage exige que chacun d’eux soit reconnu dans son identité politique.
Marc Bourhis était militant de la 4e internationale, militant trotskyste. En 1945, sa famille fit d’ailleurs graver sur sa tombe « Militant du Parti communiste internationaliste ». Le 19 octobre 1945, plus de mille personnes assistèrent à un meeting du PCI à Concarneau à la tribune duquel prirent place le père de Marc Bourhis et la veuve de Pierre Gueguin, ce qui n’empêcha pas des militants communistes d’attaquer la tribune. En octobre 1946, Alice Bourhis, veuve de Marc, fit publier dans le journal du PCI La Vérité la mise au point suivante :
« Chers camarades,
A la veille de ce 22 octobre, où le PCF s’apprête à grand renfort de propagande, à commémorer l’anniversaire du massacre des vingt-sept otages de Châteaubriant, je crois que La Vérité se doit de faire la mise au point suivante.
A la « Sablière » où furent exécutés les vingt-sept orages, a été érigé un monument. Diverses plaques commémoratives y sont déposées. En août 1945, le PCI y fait apposer une plaque à la mémoire de Marc. Une quinzaine de jours après, alors que nous nous sommes rendus à l’exhumation des corps de Marc et de Pierre Guéguen’, nous constatons la disparition de la plaque du PCI. Evidemment aucune autre ne manque. Celle du PCI seule a disparu.
Qui a commis le sacrilège ? Qui donc cette plaque gênait-elle au point de profaner ce monument ? Evidemment elle contredisait la plaque qui porte : « A la mémoire des vingt-sept membres du PCF ». Il ne faut pas qu’on sache que Marc Bourhis tombé sous les balles nazies était trotskyste. Les scrupules les embarrassent peu ! Le stalinien Carriou ne vient-il pas de déclarer publiquement dans un meeting à Brest, que, si Marc fut pris comme otage, c’est qu’il y eut « erreur ».
Aujourd’hui aucun historien sérieux ne conteste l’appartenance de Marc Bourhis à la 4e internationale. Mais trop souvent encore on « oublie » de mentionner qu’il était trotskyste et que son ami et camarade Pierre Guéguin s’était rapproché des trotskystes. Cette page sombre de l’histoire du mouvement ouvrier où des militants trotskystes furent pourchassés comme « hitléro-trotskystes » ne peut être oubliée même si elle doit être tournée à jamais.
En dévoilant cette plaque rappelant que les dépouilles de Jules Auffret, Guy Mocquet et Marc Bourhis furent inhumées dans ce cimetière du Petit-Auverné, c’est bien au militant du Parti Communiste, au militant de la Jeunesse Communiste et au militant de la 4e internationale, que nous rendons hommage. Et en leurs noms aux 48 otages de Châteaubriant, Nantes et du Mont-Valérien.
Jean-Noël BADAUD - David BLANCHARD - Jean BRUNACCI - Sandra CORMIER - Robert HIRSCH - Henri LE DEM - François PRENEAU - Eric THOUZEAU - Catherine TOUCHEFEU
Historien.ne.s, militant.e.s politiques ou syndicalistes, les signataires de cet hommage partagent, depuis des décennies, le même intérêt pour cette période tragique et héroïque de notre histoire, persuadés que le souvenir des 48 otages accompagnera à jamais notre combat commun pour une société enfin libérée de tout mal, de toute oppression et de toute violence.
Nantes le 12 octobre 2021