La critique féministe du droit s’est principalement consacrée aux domaines juridiques régissant directement les rapports entre les sexes : violences, famille et divorce, égalité salariale, etc. Un champ de recherches qui mériterait d’être développé est celui de la critique des discriminations indirectes (ou cachées) à l’égard des femmes dans des domaines du droit ne régissant pas spécifiquement les rapports de genre.
A titre d’exemple, la législation suisse sur les étrangers est formulée en termes « neutres » quant au sexe, et ne contient aucune disposition spécifique sur les femmes migrantes. On peut toutefois démontrer que cette législation cache néanmoins des discriminations indirectes à l’égard des femmes. Ainsi, selon les dispositions légales en vigueur (art. 8 OLE), l’octroi d’une autorisation de séjour pour exercer une activité lucrative est en principe réservée aux ressortissant-e-s de l’Union européenne, sauf en ce qui concerne les « personnes hautement qualifiées ». Si ce critère est formellement neutre quant au sexe, il désavantage de facto les femmes. (…)
Parallèlement, on constate le silence total de la législation au sujet de la situation des femmes migrantes employées dans l’économie domestique, alors qu’elles représentent la majorité des immigrant-e-s en provenance de pays non européens, et qu’elles sont ainsi reléguées dans une zone de non-droit (clandestinité).
De même, les dispositions qui régissent les conditions du regroupement familial sont formulées de manière neutre quant au sexe. Toutefois, elles concernent en réalité principalement les femmes, puisque selon les statistiques le nombre annuel de mariages entre Suisses et étrangères est deux fois supérieur à celui des mariages entre étrangers et Suissesses. Ces dispositions, qui subordonnent le renouvellement du permis de séjour à la poursuite du mariage, renforcent la dépendance des épouses étrangères vis-à-vis de leur conjoint, et leur vulnérabilité face aux pressions voire aux violences.
On notera que la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) aggrave encore la situation des épouses étrangères en subordonnant la poursuite du droit au séjour à l’exigence de la vie commune. Cela a également pour conséquence d’introduire une différence de traitement (discriminatoire) entre les épouses étrangères soumises à la LEtr (c’est-à-dire provenant de pays hors Union européenne), et les épouses étrangères soumises aux accords sur la libre circulation, qui sont libres d’organiser leur vie matrimoniale (domicile unique ou domiciles séparés) sans que cela entraîne de conséquences quant à leur droit au séjour.
Anne-Marie Barone
Au-delà du mobbing, le harcèlement sexuel comme outil de maintien de la ségrégation professionnelle
Karine Lempen
Le harcèlement sexuel a été analysé dès les années septante, notamment par la juriste féministe C. Mackinnon, comme un moyen utilisé par les hommes pour subordonner sexuellement les femmes sur leur lieu de travail. La doctrine juridique féministe états-unienne a développé, depuis la fin des années nonante, diverses nouvelles théories permettant d’expliquer la nature discriminatoire du harcèlement sexuel. Ces théories mettent en avant la nécessité d’inclure dans la définition du harcèlement sexuel toutes les pratiques, sexualisées ou non, qui renforcent les stéréotypes de genre sur le lieu de travail.
En Suisse, l’évolution doctrinale et jurisprudentielle consistant à inclure dans la notion de harcèlement sexuel des comportements sexistes, même sans lien avec la sexualité, semble être freinée, depuis quelques années, par l’attention croissante accordée à la problématique du harcèlement psychologique, interdit en droit suisse au titre d’atteinte à la personnalité. Les pratiques de dévalorisation des travailleuses qui ne revêtent pas une forme strictement sexuelle ont tendance à être qualifiées uniquement de « mobbing », le contexte de ségrégation professionnelle dans lequel s’inscrivent les dites pratiques n’étant pas pris en considération.
Pareille évolution a non seulement pour effet de priver les travailleuses concernées de la protection plus étendue offerte par la loi sur l’égalité, mais signifie en outre que le harcèlement sexuel peut continuer à opérer comme un mécanisme invisible de maintien des formes de travail les plus valorisées dans le champ de la compétence masculine. (…)