Faute de réussir à juguler la pandémie des maladies professionnelles, les organisations ouvrières multiplient leurs enquêtes et recommandations. UNIA vient de publier la sienne sur l’état de santé des travailleurs-euses du bâtiment en Suisse [1]. Elle reprend ainsi celle de militant-e-s vaudois, datant de 1999, qui portait sur 258 travailleurs [2], et qu’UNIA omet de mentionner, bien qu’elle lui ait servi de référence. Cette étude démontrait que « 65% des interrogés subissaient stress, angoisse, fatigue anormale ou maux de tête », que « 70% souffraient du travail sous la pluie, poussière, bruit ou vibrations… » et que « 50% souhaitaient une amélioration de la formation […] ou une meilleure organisation du travail ». Conclusions dramatiques que l’on retrouve, mot pour mot, huit ans plus tard… mais en pire.
L’enquête d’UNIA
Un an après, c’est l’enquête genevoise de l’OCIRT [3], qui révélait, entre autres tragédies, qu’à Genève, 40% des travailleurs du bâtiment devenaient invalides, et que 21% mouraient avant l’âge de la retraite, chiffres qui, à l’en croire, ont incité UNIA à lancer son enquête officielle. Après avoir questionné 1466 ouvriers du bâtiment, UNIA constate, comme on le savait, que « les atteintes à la santé constituent un problème nettement plus grave que les risques d’accidents » ; elle relève aussi « la forte corrélation entre le stress et la précarisation de l’emploi » [4].
Les leçons qu’elle en tire laissent cependant perplexe, puisqu’UNIA préconise « une réglementation raisonnable (sic) relative à l’embauche de personnel temporaire sur les chantiers » et part de « l’idée que les entrepreneurs sérieux (resic) – formant la majorité – soutiendront ici l’adoption de mesures raisonnables (reresic) ». Au vu des résultats alarmants de son enquête, le fait qu’UNIA espère trouver une majorité de patrons « sérieux » ou « raisonnables » relève de la croyance aux miracles, car enfin, qui d’autre que ces mêmes patrons ont rendu, sous pression des lois du marché et de leur propre cupidité, le travail pathogène et mortifère ?
Implorer leur clémence revient à renoncer au seul moyen de protéger la vie des travailleurs par le boycott de tout travail qui vexe, stresse ou blesse. Cette action collective peut prendre la forme d’arrêts de travail pour en évaluer les risques, pour soutenir un collègue en difficulté ou, comme cela était jadis acquis, pour rendre visite à l’un des leurs, hospitalisé, ou participer à l’enterrement d’une victime. Comme nous le disions dans notre enquête de 1999 : « Il s’agit, très concrètement, d’exiger que le temps nécessaire à poser et résoudre collectivement les problèmes lancinants ou imprévus de sécurité, de prévention et de protection de la santé soit reconnu comme faisant partie intégrante du temps de travail » [5].
Travailler peut donner le cancer
Ailleurs qu’en Suisse, les publications touchant à la « santé au travail » se multiplient. Outre l’ouvrage incontournable d’Annie Thébaud-Mony : « Travailler peut nuire gravement à votre santé », dont il a été question dans la précédente édition de solidaritéS [ « Travailler peut nuire gravement à votre santé » ], mentionnons « Les cancers professionnels, une plaie sociale trop souvent ignorée », qui vient d’être publié par l’équipe de Laurent Vogel. [6]
Car l’affaire est grave : il y a eu plus d’un million de décès dus au cancer au sein de l’UE en 2006, dont un pourcentage non chiffrable, mais non négligeable, a été causé par l’exposition des travailleurs-euses à des cancerigènes sur les lieux de travail, l’amiante notamment. En effet, selon l’Organisation mondiale de la Santé [7], 200 ?000 personnes meurent annuellement dans le monde de cancers liés à leur travail. Sur les 125 millions de travailleurs-euses exposés professionnellement à l’amiante dans le monde, chaque année 90 ?000 en meurent, la majorité dans les pays dits développées… qui l’ont pourtant abandonné.
L’Organisation internationale du travail [8] quant à elle dénombre 2 millions de morts causés annuellement par le travail dans le monde, dont 1,7 million des suites de maladies professionnelles, un chiffre qui ne cesse d’augmenter.
Ces sinistres bilans nous éclairent mais, faute de mobilisations organisées par les organisations de travailleurs-euses, premières concernées, contre les patrons, premiers responsables, ils continueront à s’alourdir… et les enquêtes n’y pourront rien.
Notes
1. Syndicat Unia, NoStress !, Hygiène / sécurité au travail dans la construction : La parole aux ouvriers du bâtiment, 20 mars 2007. Téléchargeable sur www.unia.ch/
2. SIB et Raisons d’agir sur le lieu de travail, Pietro Carobbio et François Iselin, Enquête sur les conditions de travail dans la construction, Canton de Vaud, printemps 1999, 90 pages.
3. Etienne Gubéran et Massimo Usel, Mortalité prématurée et invalidité selon la profession et la classe sociale à Genève, OCIRT, mars 2000, 55 pages.
4. Conférence de presse d’UNIA du 28 mars 2007.
5. SIB et Raisons d’agir sur le lieu de travail, op. cit. p. 42.
6. Anne-Marie Mengeot, Les cancers professionnels, une plaie sociale trop souvent ignorée, Santé et sécurité au travail, 2007, 60 p. 10 €.
7. OMS, « Elimination des maladies liées à l’amiante », www.who.int/mediacentre
8. OIT, Un travail pour construire sa vie, pas pour la détruire…, 27 avril 2007.