Une stratégie de communication élaborée pour soigner son image verte
François Legault a bien compris que la sensibilisation de la population du Québec à la crise climatique ne pouvait lui permettre de faire preuve d’insensibilité envers la crise climatique. En 2016, il avait dénoncé l’abandon par le gouvernement Couillard de l’exploitation du pétrole sur l’île d’Anticosti. En 2018, son programme électoral était pratiquement muet sur le sujet. Les mobilisations écologistes, dont les importantes manifestations de 2019, dont celle de 500 000 personnes à Montréal, lui avaient démontré qu’il ne pouvait plus rester insensible à des préoccupations largement répandues dans la population québécoise. La présentation à l’automne de son « Plan pour une Économie Verte » (PVE), accroché à la cible tout à fait insuffisante fixée par le gouvernement Couillard d’une réduction de 37,5 % des émissions de GES pour 2030 et la place accordée aux investissements privés grassement soutenus par l’argent public dans ce Plan avaient illustré les limites de sa conversion à un nécessaire virage vert de l’économie du Québec.
En effet, pour le premier ministre, l’économie verte est pour une bonne part affaire d’image et de posture. Son voyage à la COP26 devait servir à illustrer la nouvelle image qu’il veut bien se donner. « C’est le Québec a-t-il aimé à répéter qui émet le moins de GES par habitant des 60 États et provinces fédérés d’Amérique du Nord ». L’abandon de GNL-Quebec, un projet désastreux au niveau environnemental a été abandonné par le gouvernement Legault alors qu’il était en train de faire naufrage au niveau de son financement. Il n’hésite pas à en faire un geste fort de son gouvernement pour en tirer avantage. L’annonce de l’interdiction de toute exploration et exploitation des hydrocarbures au Québec était un engagement facile étant donné le caractère marginal des gisements existants sur le territoire. Pour peaufiner son image, il s’est empressé de rejoindre Beyond Oil and Gas (BOGA) initiative lancée par le Danemark et le Costa Rica visant à mener les pays à cesser l’exploitation des combustibles fossiles à une date précise. Le gouvernement Legault se présente également comme un pionnier en ce qui concerne la bourse du carbone (SPEDE) lancée par le gouvernement Charest en 2011 qui a contribué très marginalement à la réduction d’émissions de GES.
Peu importe, Legault s’en fait le champion et prétend s’appuyer sur cette initiative pour présenter le Québec comme un leader sur la lutte aux changements climatiques. Ses projets de vente d’électricité aux États de nouvelle Angleterre [1] et d’électrification des transports publics finissent par esquisser le nouveau portrait d’environnementaliste du premier ministre.
La COP26, une occasion d’affaires et de recherches d’investissements pour une croissance verte
Legault a de l’ambition pour les entrepreneurs du Québec. Il veut mousser le potentiel du Québec en matière d’investissements dans les énergies vertes. S’il reconnaît qu’il n’est pas réaliste qu’on fabrique des voitures électriques, en faisant la compétition aux grandes entreprises de l’automobile, il est prêt à soutenir financièrement des entreprises du Québec ou d’ailleurs qui pourraient fabriquer des batteries au lithium rentrant dans leur construction des autos électriques. Il est aussi enthousiasmé par le secteur de l’hydrogène vert qu’on peut développer au Québec grâce à l’importance de l’énergie hydroélectrique dans notre mix énergétique. Cet hydrogène pourrait être utilisé pour faire fonctionner particulièrement camions et véhicules lourds. D’ailleurs, déjà, le gouvernement Couillard envisageait de développer cette filière et avait établi des liens avec Toyota à cette fin.
Le tournant vert des entreprises québécoises est considéré par le Premier ministre comme une préoccupation importante si l’on veut conserver et renforcer la capacité concurrentielle des entreprises québécoises. Il s’agit de créer les conditions pour que ces entreprises puissent prendre une meilleure part du marché international. L’amélioration des exportations de ces entreprises n’évitera pas cette conversion. Le développement du secteur numérique de l’économie, une ambition de son ministre Pierre Fitzgibbon, s’inscrit également dans cette logique de modernisation et de la croissance de la production de richesses. C’est pourquoi l’argent public sera au rendez-vous et ce sont des milliards de dollars qui sont offerts aux entreprises. Le gouvernement Legault encapsule son orientation de sa politique industrielle sous le mot d’ordre trompeur « plus de richesse, moins de GES ». Cette expression résume bien le projet du capitalisme vert du gouvernement Legault.
François Legault, un horizon borné par le capitalisme vert
Produire plus, vendre plus. Consommer plus, exporter plus. Faire plus de profits et assurer la croissance la plus impétueuse possible. Accumuler de plus en plus de richesses. Voilà la logique du capitalisme vert. Dans cette logique, il suffirait de changer les bases technologiques de la production d’énergies, de dépasser les énergies fossiles pour que la crise du climat soit résolue. Mais, une bonne part du capital défend avec becs et ongles la nécessité de repousser à plus tard la sortie des énergies fossiles. Les subventions aux énergies fossiles continuent de prévaloir sur le soutien à la production d’énergies renouvelables. Le gaz naturel est présenté, y compris par le gouvernement de la CAQ, comme une énergie de transition. Il y a un sous-investissement dans les énergies renouvelables dont le contrôle est laissé aux entreprises privées. Les subventions gouvernementales à l’achat d’autosolos électriques ne remettent nullement en question un mode de consommation énergivore et destructeur des ressources. L’obsolescence programmée et la non réparabilité des appareils augmentent la consommation inutilement. Le consumérisme actuel découle du productivisme qui cherche à produire toujours plus pour vendre plus. Il est nourri par une publicité omniprésente qui se moque du gaspillage des ressources de la terre.
Les changements nécessaires pour faire face à la crise climatique
La conscience écologiste de Legault reste complètement en deçà des défis posés par la crise climatique. Pour répondre à cette crise, il sera nécessaire d’en finir avec le modèle de croissance sans fin et l’utilisation sans compter de l’énergie et des ressources naturelles. Il faudra produire moins, partager plus et orienter cette production vers les besoins essentiels de la population, besoins définis par la délibération démocratique et collective. Ce n’est pas seulement le mode de production capitaliste qui devra être mis en question, mais également le mode de consommation qui en découle. : mode de transport centré sur l’autosolo, régimes alimentaires basés sur la consommation de la viande, productions inutiles et dangereuses (militaires et autres), un commerce lointain qui écrase l’économie de proximité. Sans parler du nécessaire dépassement des rapports de prédation avec la nature (déforestation, surpêche) qui conduisent à la perte de la biodiversité.
Les faits parlent. Nous ne pouvons pas nous fier au patronat et à un gouvernement néolibéral comme le gouvernement Legault pour mener la lutte contre les bouleversements climatiques et l’effondrement de la biodiversité. Au contraire, le capitalisme vert n’est qu’un capitalisme qui cherche à masquer la destruction de la nature pour continuer cette dernière.
Les solutions réelles ne viendront pas des élites économiques et des élites politiques qui les protègent.
Leur procrastination à faire face à la crise climatique depuis des décennies le démontre. Les solutions sortiront de la mobilisation des nombreux mouvements sociaux qui sont appelés à converger : mouvements anti-extractivistes, mouvements des féministes contre le patriarcat, mouvements autochtones pour la défense de la Terre-mère, mouvements anticolonialistes contre la prédation des multinationales, mouvements de la jeunesse pour la sauvegarde de la planète, mouvement contre l’agrobusiness et pour une agriculture écologique,... Et pour assurer cette convergence, les forces économiques, politiques et sociales qui sont les principales responsables de la crise environnementale catastrophique qui minent notre avenir devront être identifiées et affrontées.
Bernard Rioux
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