On dit du jeune Xi Jinping qu’il ne brillait guère dans ses études. Mais, depuis son arrivée au pouvoir il y a près de dix ans, en 2012, ce fils d’un révolutionnaire de la première heure a réussi à imposer son règne au sein du Parti communiste chinois (PCC).
Il est présenté désormais comme l’un des grands dirigeants de la République populaire de Chine, à l’égal de deux de ses illustres prédécesseurs, Mao Zedong, le fondateur, et Deng Xiaoping, l’architecte de la politique de réformes économiques lancée à la fin des années 1970.
Après avoir inscrit sa « pensée Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise pour une nouvelle ère » dans la constitution d’une formation fondée il y a tout juste cent ans, Xi vient d’imposer sa vision de l’histoire. Le numéro un chinois réécrit le passé pour mieux asseoir son pouvoir en vue du 20e Congrès de l’année prochaine et préparer l’avenir.
Xi Jinping lors du sixième plénum du 19e Comité central à Pékin en novembre 2021. © Capture d’écran télévision chinoise
Cela a en effet été acté jeudi 11 novembre par les responsables du PCC, à l’issue du sixième plénum du 19e Comité central, qui s’est tenu à huis clos dans la capitale chinoise pendant quatre jours et qui s’est achevé, comme le veut la tradition, par L’Internationale. Car, selon le compte-rendu des médias officiels, a été adoptée une « Résolution du Comité central du Parti communiste chinois sur les principales réalisations et expériences historiques de la lutte centenaire du Parti ».
Avant Xi, seuls Mao et Deng avaient été à l’initiative de tels textes. Ces réécritures historiques successives permettent à l’historiographie du Parti de définir l’identité de la formation politique à des moments cruciaux et à leurs initiateurs de conforter leur pouvoir.
La première en 1945 est née à l’issue d’une longue lutte de pouvoir et d’une campagne d’épuration menée par Mao et qui avait frappé ses adversaires et les intellectuels trop critiques. Le texte, intitulé « À propos de quelques questions relatives à l’histoire de notre parti », avait été adopté au 7e Congrès du PCC à Yan’an, bastion des rebelles rouges dans le nord-ouest du pays. Ce fut l’occasion de consacrer la « pensée Mao Zedong » et l’autonomie de la voie révolutionnaire chinoise face au grand frère soviétique.
Pour Xi Jinping, il s’agit moins de régler les comptes du passé que de fournir une nouvelle identité au PCC à l’unisson de son projet ethno-nationaliste.
La seconde résolution votée en juin 1981, cinq ans après la mort du Grand Timonier, avait permis de condamner les erreurs de ce dernier durant les dix ans de Révolution culturelle (1966-1976), mais de préserver le maoïsme, tout en adoubant Deng Xiaoping, qui avait lancé la politique de réformes et d’ouverture et consacré le socialisme à caractéristiques chinoises, qui s’intégrait dans le capitalisme globalisé.
Elle se situait dans le prolongement de la première, reprenant même son intitulé : « À propos de quelques questions de l’histoire de notre parti depuis la fondation de la République populaire de Chine ».
Pour Xi Jinping, il s’agit moins de régler les comptes du passé – il n’est absolument pas question par exemple de la répression sanglante du mouvement démocratique de Tiananmen en juin 1989 ni des tragédies du Grand Bond en avant ou de la Révolution culturelle – que de fournir une nouvelle identité au PCC à l’unisson de son projet ethno-nationaliste – autour de l’ethnie han et au détriment des autres composantes de la nation chinoise, telles que les Ouïghours, les Tibétains et les Mongols – qu’il met en œuvre dans le cadre d’une formation politique marxiste-léniniste.
Il s’agit avant tout de montrer que non seulement le PCC a eu pour mission d’effacer les humiliations coloniales et de sortir la Chine de son statut inférieur parmi la communauté internationale, ce qui était déjà abordé dans les deux précédentes résolutions, mais aussi, souligne le résumé publié à l’issue du plénum, que « la lutte centenaire du Parti et du peuple a écrit la plus magnifique épopée de l’histoire de la nation chinoise depuis des milliers d’années ».
Ce qui explique que cette troisième résolution ne reprend pas la formulation des deux premières. Il n’y a guère de questions à se poser ou d’erreurs à corriger, l’important est de résumer « les principales réalisations et l’expérience historique de la lutte centenaire du Parti ». En trois points et surtout en trois hommes.
Il y eut d’abord Mao, qui a posé les bases et permis la création de la République populaire – « Le Parti communiste et le peuple chinois ont solennellement proclamé au monde entier, par leur lutte héroïque et tenace, que le peuple chinois s’était soulevé et que l’époque où la nation chinoise était à la merci des autres et soumise à des brimades était révolue, et qu’une nouvelle ère de développement chinois avait commencé. »
Rendez-vous au 20e Congrès l’an prochain
Ensuite est venu Deng Xiaoping, qui a permis « de libérer et de développer les forces productives sociales, de libérer le peuple de la pauvreté et de le rendre riche le plus rapidement possible, et de fournir une nouvelle garantie institutionnelle dynamique et des conditions matérielles pour un développement rapide afin de réaliser le grand rajeunissement de la nation chinoise ».
Enfin, aujourd’hui, Xi Jinping, élevé au même rang que ses deux illustres prédécesseurs – ce qui relègue dans l’ombre ceux qui ont gouverné entre-temps (Jiang Zemin et Hu Jintao) –, permet d’envisager une nouvelle ère de prospérité, ouvrant la voie vers 2049, pour le centenaire de la République populaire de Chine, où la Chine accédera au statut de grande puissance, selon les vœux de Xi. Selon le compte-rendu des médias officiels, la « pensée Xi Jinping » « est la quintessence de la culture et de l’âme chinoises et a réalisé un nouveau saut dans la sinisation du marxisme ».
Ce récit, qui s’impose aux historiens, ne devant souffrir aucune remise en cause, le régime a criminalisé toute critique des héros et martyrs de la République populaire. Depuis mars dernier, les contrevenants encourent jusqu’à trois ans de prison. Un ancien journaliste, Luo Changping, connu pour ses enquêtes sur la corruption, a été arrêté en octobre pour s’être moqué, sur un réseau social, des soldats chinois qui avaient participé à la guerre de Corée. Il est dans l’attente d’un procès.
Le récit national que Xi Jinping impose s’inscrit dans la tradition impériale chinoise de l’« histoire officielle » (zhengshi), qui permettait notamment à une nouvelle dynastie de justifier sa légitimité face à celle qu’elle venait de remplacer. Et Xi est le nouvel empereur de cette dynastie marxiste-léniniste. Prêt à être adoubé pour un troisième mandat lors du prochain grand-rendez-vous politique, le 20e Congrès qui sera organisé au second semestre 2022.
François Bougon