Le 9 novembre, sur l’écran de télévision, les yeux comme rivés sur l’horizon électoral, le président égrène « à la cavalcade » (selon son expression) les formules et les chiffres. « Nous avons aussi soutenu nos soignants » ; « Ils ont été augmentés de 200 à 400 euros nets par mois en moyenne » ; « 500 établissements hospitaliers vont être restaurés » ; « 19 milliards d’investissement partout sur le territoire » ; « fin du numerus clausus » ;« augmentation du nombre de postes d’infirmiers » ; « Jamais depuis la création de la Sécurité sociale, nous n’avions autant investi dans la santé ». L’avalanche des affirmations veut donner l’impression que beaucoup a été fait pour l’hôpital et la santé et que, s’il reste encore « beaucoup à faire », la politique macronienne « après des décennies d’abandon et de sous-investissement » va dans la bonne direction. La conclusion, implicite, s’impose : un deuxième mandat permettra de réaliser ce qui ne l’a pas été au cours des cinq dernières années.
Déni de réalité
Pendant que le président parle, dans la vraie vie, 20% des lits des plus grands établissements hospitaliers sont fermés faute de personnel, des opérations et des soins sont reportés, des patientEs doivent faire des dizaines de kilomètres pour être soignés faute de place. Chaque jour des personnels hospitaliers expérimentés qui ont « tenu » jusque là quittent leur emploi pour « sauver leur peau », des étudiantEs en soins infirmiers écœuréEs abandonnent leurs études.
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Dans la vraie vie, à l’approche de l’hiver, l’épidémie de COVID rebondit, les autres pathologies fréquentes à cette époque (grippes, bronchiolites, gastro…) amènent un flux croissant de patientsE vers des hôpitaux de plus en plus fragilisés. Après son collègue du CHU de Lille, qui décrivait un hôpital « au bord du précipice », Rémi Salomon, président de la commission médicale de l’AP-HP, déclare : « On est dans une situation où, dans quelques mois, on peut avoir un effondrement de l’hôpital ».
En résumé : l’hôpital ne va pas mieux, mais plus mal, après cinq ans de présidence Macron, il est aujourd’hui dans une situation critique qui peut devenir irréversible. La cause n’en est pas seulement la « crise sanitaire », mais en premier lieu les choix politiques du pouvoir avant et pendant cette crise [1].
C’est bien la politique de Macron et des siens qui, de 2017 à 2020, a poursuivi et aggravé l’austérité et les privatisations malgré les alertes et les mobilisations. C’est la politique de cet exécutif qui a exposé dans les pires conditions l’hôpital et les hospitalierEs au choc de l’épidémie. C’est enfin cette politique qui, au sortir de la première vague, avec le « Ségur de la santé », n’a répondu ni aux attentes des hospitalierEs, ni à celles de la population mobilisée depuis des semaines pour les soutenir. Le but était de calmer momentanément la colère, avec la complicité de quelques directions syndicales complaisantes, non de traiter le mal à la racine. Le bilan est là, et Macron doit l’assumer.
Covid : toujours les mêmes recettes
Au chapitre du Covid, la même autosatisfaction, justifiant la poursuite des mêmes recettes, a dominé l’intervention présidentielle. Face à la « cinquième vague », le « stop and go » est, une nouvelle fois, de retour.
On doit souhaiter que la vaccination d’une large partie de la population évite le pire : un nouvel afflux massif de patientEs débordant des services hospitaliers beaucoup moins capables de faire face que lors des premières « vagues ». Mais l’évolution dans d’autres pays européens (y compris avec un fort taux de vaccination) ne peut qu’inquiéter.
Pour s’en prémunir, ne tirant aucun bilan des expériences passées, le pouvoir ne sait manier, une nouvelle fois, qu’injonctions et sanctions : maintien du « pass sanitaire », prolongé par le Parlement jusqu’en juillet 2022, obligation de l’injection d’une troisième dose de vaccin pour les plus de 65 ans, sous peine de retrait du pass sanitaire, mesure qui pourrait s’étendre demain à d’autres catégories de la population (plus de 50 ans, soignantEs) si elle n’obéissent pas aux « incitations » présidentielles.
Comme l’écrit très justement Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale dans une tribune sur libération.fr le 12 novembre : « Plutôt que de brandir la menace d’une rupture du lien social que permet désormais de maintenir le pass sanitaire, les préconisations du chef de l’Etat auraient pu déterminer des lignes d’action relatives à la démarche de « l’aller vers » qui permettrait de sensibiliser au bienfait de la vaccination les plus vulnérables et les plus exclus parmi nous : ceux effectivement qui se sont à ce point habitués à ne plus se soucier d’eux-mêmes faute d’attentions humaines et sociales à leur égard, qu’ils renoncent à se préoccuper de leurs soins et ne sauront plus comprendre le sens d’une démarche vaccinale. » [2]
Imposer des alternatives sans attendre les élections
Il faut une nouvelle fois le répéter : les choix du pouvoir, tant pour l’hôpital que face à l’épidémie, n’étaient pas et ne sont toujours pas les seuls possibles.
On peut combattre l’épidémie par la conviction et l’accompagnement démocratique, beaucoup plus efficacement que par les injonctions et le bâton.
On peut et on doit dès aujourd’hui sauver l’hôpital en rendant à nouveau les professions hospitalières plus attractives. Cela implique de reconnaitre le travail des hospitaliers, de l’agent d’entretien au médecin à sa juste « valeur », c’est-à-dire en augmentant tous les salaires hospitaliers de 300 euros immédiatement, et en garantissant leur pouvoir d’achat par l’indexation des salaires sur les prix.
Il est surtout possible de rétablir de bonnes conditions de travail satisfaisantes par un plan « emploi-formation » de recrutement massif, engagé dès aujourd’hui pour créer les 100 000 emplois de toutes catégories dont les hôpitaux ont besoin, et les 200 000 nécessaires aux EHPAD.
Il est enfin possible de redonner au travail son sens en remettant la gestion des hôpitaux à l’endroit : la gestion au service du soin et non l’inverse.
Pour éviter l’effondrement qui menace le système hospitalier, c’est dès aujourd’hui qu’il faut agir pour imposer ces mesures à un pouvoir qui n’en veut pas. C’est en engageant la mobilisation, en ce saisissant des échéances comme celle du 4 décembre, sans attendre les échéances électorales.
Jean-Claude Delavigne