On peut pourtant se poser la question : pourquoi tant de migrant.e.s risquent-iels leur vie dans une mer aussi dangereuse que la Manche ?
Medusa, Puma et Hermès-Pêche-Melba : le coût des opérations de pushback
Il n’est pas inutile de rappeler que l’opération de police au cours de laquelle Mawda a été tuée s’inscrivait dans une vaste campagne de contrôle des flux frontaliers, mettant en œuvre des moyens policiers et financiers importants entre la France, la Belgique et le Royaume Uni.
Aujourd’hui malgré le Brexit ces pays sont toujours liés par un accord sur les questions migratoires. « Ça fait plus de 20 ans que la France tient la frontière pour nos amis britanniques », déclarait récemment Gérald Darmanin, ministre français de l’Intérieur. « Nous appelons les Anglais à tenir leur promesse de financement puisque nous tenons la frontière pour eux » [1] (…). Le Royaume-Uni s’est engagé fin juillet à payer à la France 62,7 millions d’euros en 2021-2022. « J’ai demandé au préfet des effectifs de contrôle tout le long de la frontière belge, le long du département du Nord jusqu’au sud de Valenciennes, pour pouvoir interpeller passeurs et personnes migrantes qui veulent partir de Belgique pour arriver dans le nord de la France, afin de tarir la source. Cette stratégie a fait ses preuves, depuis un mois qu’elle est en place, on a doublé le nombre de passeurs interpellés, 180 rien que pour le mois de septembre et doublé le nombre de migrants, passé de 1.800 à 4.000. On demande à nos amis belges de faire le même travail de leur côté » [2].
Depuis fin 2018, les traversées de la Manche par des migrant.e.s cherchant à gagner le Royaume-Uni se multiplient malgré le danger lié à la densité du trafic, aux forts courants et à la basse température de l’eau. Mais elles conduisent de plus en plus souvent à des arrestations, des brimades et traitements dégradants sur les plages de départs ou d’arrivées et toutes sortes de violences contre les migrants en recherche d’un havre de paix.
La Belgique porte une part non négligeable dans cette accélération : les aires d’autoroutes à partir desquelles les migrants tentaient d’embarquer dans des camions à destination de l’Angleterre sont véritablement militarisées : grillages, caméras et patrouilles quasi permanentes, contrôles dans les lieux proches où les trans-migrants pouvaient s’abriter ou recevoir de l’aide…
Les nouvelles frontières
Ces opérations policières (se multipliant) ont comme principale conséquence de conduire les migrant.e.s sur des routes de plus en plus longues et dangereuses. Ce qui avait déjà été observé en Méditerranée. Dans ce cas-ci, la traversée de la manche en embarcations de fortune plutôt que par camions mais cette constatation vaut pour d’autres situations à toutes les frontières de l’Europe. Autre conséquence logique de cette militarisation des frontières, les passeurs s’enrichissent eux aussi, en augmentant les prix des passages rendus plus difficiles.
Le Brexit et l’élargissement de l’Europe ont dessiné de nouvelles frontières externes à l’UE et de l’Espace Schengen. Mais de nouvelles frontières internes apparaissent aussi. Ce sont des murs, des barbelés, des contrôles. Elles semblent se tracer autour de chaque migrant.e partout où iel va se rendre : sur les quais des gares et dans les trains, dans les ports, dans les aéroports. La libre circulation n’a jamais si mal porté son nom.
Dans l’actualité, l’Union Européenne accuse le régime d’Alexandre Loukachenko d’orchestrer des passages à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, en représailles aux sanctions européennes mises en place. La Pologne a déployé plus de 12 000 gardes à sa frontière avec la Biélorussie et y construit un mur frontalier.
32 ans après la chute du mur de Berlin, l’Allemagne appelle l’UE à aider la Pologne à « sécuriser sa frontière extérieure ». Les pays européens s’indignent autour du thème de la défense des frontières (de l’UE et même de l’OTAN) contre « l’envahissement » par des migrant.e.s « instrumentalisé.e.s » par la Biélorussie (et derrière elle la Russie de Poutine) donnant ainsi du grain à moudre à leurs extrêmes-droites en embuscade.
Mais parmi ces pays européens lesquels se préoccupent du sort de ces milliers de migrant.e.s bloqué.e.s entre deux lignes de front ? Et s’inquiètent-ils des infractions quotidiennes au droit international de leurs compères grecs [3], croates ou polonais en infraction de la Convention de Genève, du principe de non-refoulement, du droit maritime international, de l’article 3 de la Convention européenne des Droits humains et des directives européennes sur le droit d’asile ? Qui parle encore du tollé suscité par les pushback, dans lesquels même la Commission européenne a été contrainte de créer des commissions et d’enquêter ?
L’association No Name Kitchen documente les violences policières à la frontière croate et participe au réseau Border Violence Monitoring. En octobre 2020, cette organisation avait publié un rapport accablant sur les violences perpétrées par la police croate sur les exilé.e.s. Plusieurs cas de violences sexuelles avaient notamment été recensés. En réaction, la commissaire européenne aux Affaires internes Ylva Johansson avait déclaré « prendre très au sérieux » ces accusations. Elle avait réclamé à Zagreb une « enquête approfondie » sur ces violences après la publication d’un rapport d’Amnesty international en juin 2020 [4]. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Selon vous, quelle réponse donneront ces pays à la demande des 12 Etats de l’Union européenne [5] qui ont demandé à Bruxelles de financer la construction de barrières à leurs frontières ? Leur objectif étant d’empêcher les arrivées de migrant.e.s.
Ces barrières sont qualifiées de « mesures de protection des frontières efficaces » par les ministres de l’Intérieur et chargés des migrations de ces pays. La Pologne, comme la Lituanie, ont ainsi commencé à construire des clôtures de barbelés sur une partie de leur frontière avec la Biélorussie. La Hongrie avait, quant à elle, déjà érigé ce type de barrière à la frontière avec la Serbie et la Croatie (pays membre de l’UE mais qui n’est pas dans Schengen) lors de la crise migratoire de 2015. La Slovénie a fait de même avec la Croatie.
Il ne fait pas de doute que derrière les beaux mots écrits sur l’emballage des politiques migratoires européennes il y a un projet commun autour duquel les pays européens font front, se soutenant mutuellement. Et pour lequel l’UE s’est dotée d’une agence très bien équipée mais aussi très hermétique : Frontex( [6]. Frontex a recruté une armée de gardes-frontières pouvant posséder et utiliser des armes de feu, et vise à disposer de 10 000 gardes d’ici 2027.
« Contre les migrant.e.s, toujours plus de technologie »
Il n’y a pas que les Ministres qui comptent leurs sous : le magazine Reporterre s’est rendu au salon Milipol pour découvrir les innovations technologiques sécuritaires et constate qu’elles sont de plus en plus déployées pour repousser les migrants [7]). Chien-robot capable de courir, grimper et nager dans des environnements extrêmes, grenades lacrymogènes, dispositifs de reconnaissance faciale, fusils d’assaut, caméras thermiques, scanners de camion intégrés à la chaussée et bien entendu des drones. « C’est le cas du drone de surveillance très longue distance présenté par le groupe belge John Cockerill, traditionnel acteur de la défense, lancé depuis peu dans la sécurité intérieure. Ce type d’appareil peut voir jusqu’à 30 kilomètres et il est en capacité d’identifier très clairement des personnes. » [8]
Un marché juteux (3,6 milliards d’euros en France). « Après avoir subi la crise sanitaire à l’instar d’une large partie de l’économie mondiale, le marché mondial de la sécurité intérieure devrait rebondir. Sa prévision de croissance est de 8 % en 2021 et de 6 % en 2022, après une baisse de 3 % en 2020. » Certains domaines, comme celui des drones de surveillance, ont tiré leur épingle du jeu avec une progression de 5,8 %.
Ne nous trompons pas, toutes ces techniques de flicage des populations en recherche d’asile peuvent très bien être utilisées à plus grande échelle et pour d’autres groupes de population, notamment dans l’éventualité de « troubles sociaux ».
Des alternatives face aux politiques migratoires racistes et criminelles
Construisons une rupture nette avec ces politiques anti-migratoires et sécuritaires dont les entreprises profitent en vendant leurs nouvelles technologies et en exploitant les personnes migrantes et sans-papiers dans des condition de misère.
Freddy Mathieu
La Gauche anticapitaliste propose :
– L’ouverture des frontières, la liberté de circulation et d’installation pour tou.te.s !
– La suppression des centres fermés qui ne sont rien d’autre que des prisons pour des personnes qui n’ont commis aucun crime !
– La gratuité à 100% de tous les soins pour tou.te.s !
– Justice pour toutes les victimes de violences/abus/homicides de la police !
– La régularisation de toutes les personnes sans-papiers sans condition et les mêmes droits pour tou.te.s !