“Il existe certains prédateurs connus de tous, au sujet desquels c’est toujours la même interrogation : quand leurs agissements vont-ils apparaître au grand jour ?” Cette question anonyme est posée par l’une des 1 723 personnes employées au Parlement australien, interrogées dans le cadre d’une étude sur les discriminations sexistes dans l’organe fédéral..
Diffusées le 30 novembre, les 500 pages de ce rapport font état de multiples dérives propres à une atmosphère de boys club, rapporte le journal australien The Age. Un employé sur trois déclare avoir déjà été victime de harcèlement sexuel au sein du Parlement australien.
Cette enquête fait suite à plusieurs révélations. En février 2021, l’ex-employée du gouvernement Brittany Higgins porte plainte pour un viol subi en mars 2019, dont l’auteur serait l’un de ses anciens collègues. L’affaire, encore en cours, fait grand bruit, quand, un mois plus tard, la diffusion de vidéos issues d’un groupe de discussion d’hommes employés du gouvernement révèle la “culture toxique” qui gangrène Canberra.
L’opinion publique australienne est alors choquée d’apprendre que des membres du Parlement “forniquent” dans l’enceinte du bâtiment, qu’un assistant parlementaire se masturbe sur le bureau d’une députée. Et “des accusations de harcèlement et de viol” sont alors mises au jour.
“Un monde masculin”
L’étude sur discriminations sexistes au Parlement australien a été menée par Kate Jenkins, à la tête de la commission mise en place pour lutter contre les discriminations sexuelles. Les témoignages sont issus “aussi bien d’anciens ou actuels hommes politiques que de leurs collaborateurs, de journalistes, d’agents de nettoyage ou de chauffeurs de la société Comcar”, poursuit The Age.
“Plus de la moitié des attachés parlementaires actuellement en fonction ont été victimes au moins une fois d’intimidations, de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle ou de tentative d’agression sexuelle sur leur lieu de travail”, pointe aussi la Financial Review, un quotidien économique australien. En majorité, ce sont des femmes.
“On note également ‘l’inquiétante faiblesse’ du nombre de plaintes à ce sujet”, reprend The Age, avec seulement 11 % des victimes ayant signalé leur agression.
L’Australian Associated Press dénonce quant à elle “monde masculin”, un “milieu professionnel des plus machistes”, où certaines femmes s’estiment “heureuses” de ne pas avoir été la cible de harcèlements sexuels. Avant de citer le témoignage de celles ayant “subi des caresses devant plein de monde”, ou bien la fois où un député “a chopé [une employée] pour fourrer sa langue bien profondément dans [sa bouche]” pendant que “les autres rigolaient”.
La culture du “work hard, play hard”
L’étude révèle un climat spécifique à la politique, qui favoriserait les agressions et le harcèlement. “La culture de la consommation d’alcool à outrance est un thème très souvent évoqué par les participants, en particulier dans les cabinets des hommes politiques et pendant les heures de travail. Il convient de remarquer que l’alcool est en accès illimité lors de toute manifestation organisée au Parlement”, note la Financial Review.
À cela s’ajoutent la loyauté au parti, qui fait taire les victimes et soutient leurs agresseurs, et une culture du “work hard, play hard” [défoulement considéré comme normal après avoir travaillé dur], qui brouille les limites professionnelles, selon le titre.
“Les conséquences délétères de cette culture toxique sur les générations futures sont déjà bien établies”, note de son côté The Sydney Morning Herald. “Selon une étude effectuée cette année, 72 % des jeunes femmes interrogées ont indiqué ne surtout pas vouloir faire carrière dans la politique.”
Des conséquences financières pour les membres accusés
Le rapport comporte aussi 28 recommandations, pour la parité ou la création d’une commission indépendante pour superviser les normes parlementaires.
Les agresseurs présumés pourraient aussi subir des conséquences financières. “Les parlementaires fédéraux qui harcèlent sexuellement leur personnel pourraient subir des retenues de salaire et voir leurs fonctions parlementaires suspendues”, relève The Age.
Alors que Scott Morrison, le Premier ministre australien, a affirmé avoir déjà commencé à mettre en œuvre certaines recommandations, selon la Financial Review, de son côté le Sydney Morning Herald note avec ironie que “des plaintes ont été déposées contre un sénateur accusé d’avoir simulé des grognements de chien pendant que la sénatrice indépendante Jacqui Lambie posait des questions au Sénat” le jour de la sortie du rapport.
Jeanne Fourneau
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