La désinvolture des gouvernements successifs face aux attentes des sages-femmes va conduire à une dégradation profonde et durable de la santé des femmes enceintes et de leurs enfants. Alors qu’environ 750 000 enfants naissent chaque année en France, le nombre de médecins accoucheurs et de pédiatres généralistes est d’environ 1 500 pour chacune de ces spécialités et décline chaque année puisque l’âge moyen de ces praticiens est de 55 ans. Notre pays compte 25 000 sages-femmes en activité dont l’âge moyen est de 40 ans. Seuls trois inspecteurs de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) peuvent oser conclure, de ce constat, que la démographie ne doit pas guider la gestion de l’évolution de la profession de sage-femme.
La maïeutique [1] est une discipline médicale devenue universitaire il y a vingt ans, et dont les étudiants sont recrutés en première année des études médicales. Ces nouvelles recrues ont des capacités et des attentes différentes de leurs aînées. Le nombre d’étudiants qui s’inscrive en maïeutique avait augmenté de 25 % au cours des dix dernières années, il a brutalement diminué de 20 % depuis deux ans.
Cette baisse d’attractivité fait écho aux revendications qu’exprime la profession depuis dix ans, mais aussi aux conditions dégradées de cet enseignement. Le volume d’enseignement théorique et pratique a augmenté à mesure de l’extension considérable des compétences visant à répondre aux besoins de la santé publique et à une demande sociétale croissante. Il est équivalent à celui de l’odontologie [médecine de la dent et de ses tissus environnants] qui se déroule sur six années validées par une thèse d’exercice. Cette sixième année et cette thèse sont refusées aux structures de formation en maïeutique. Aucune justification objective ne permet d’expliquer ce blocage, si ce n’est la volonté de maintenir une main-d’œuvre surqualifiée dans une dépendance économique et statutaire devenue inacceptable.
Crise sanitaire nationale
Le malaise des étudiants reflète également la fragilité de la mutation universitaire de son enseignement. La moitié des anciennes écoles de sages-femmes n’ont pas été absorbées par les universités. Leurs financements, qui sont régionaux, sont versés aux hôpitaux qui les hébergent. Ces derniers sont pour la plupart économiquement très fragiles et la part attribuée aux écoles est, en pratique, trop souvent congrue. Par ailleurs, le statut des enseignants en maïeutique à l’université doit devenir un point central afin de les motiver et de garantir un enseignement de qualité. Un statut de professeur associé précaire ne peut convenir. Les enseignants-chercheurs doivent pouvoir accéder à un poste associant une activité clinique à leur activité universitaire.
Les deux tiers des 25 000 sages-femmes exercent à temps plein dans les maternités publiques et privées. Aucune de ces maternités ne peut fonctionner sans les sages-femmes, qui réalisent 80 % des accouchements et des consultations prénatales mais aussi des soins des nouveau-nés. C’est dans ces activités que la profession traverse la crise la plus grave, qui anticipe une crise sanitaire nationale à court terme.
Leurs effectifs sont régis par type de maternité selon des décrets de 1998, soit avant les lois sur l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette obsolescence n’a pas été corrigée depuis, ni par la réorganisation du temps de travail en 2003 ni par le plan de périnatalité en 2005-2007 qui promeut humanité, proximité et sécurité. Depuis vingt ans, plusieurs centaines de maternités ont fermé avec un accroissement significatif du nombre de naissances par maternité. Une estimation minimaliste de l’augmentation des besoins en sages-femmes hospitalières pour approcher de ces objectifs est de 50 % … L’Allemagne et le Royaume-Uni comptent un nombre de sages-femmes rapporté à la population des femmes en âge de procréer deux fois plus important.
Actions de prévention
La durée de la partie hospitalière de la carrière des sages-femmes est passée de huit à quatre ans, au cours des dix dernières années. Ce turnover va s’accentuer car la dégradation de la qualité de la relation parturiente - sage-femme s’accélère par une charge de travail toujours plus importante. Le statut des sages-femmes au sein de la fonction publique hospitalière est vécu comme une forme de mépris pour leurs qualifications et leurs compétences. Elles sont actuellement considérées sur le même plan que les professions paramédicales qui, elles-mêmes, sont en crise.
Les évolutions de salaire et de statut sont très limitées, la représentation syndicale spécifique est impossible, et la formation continue quasiment absente. L’attribution d’une prime et celle d’une augmentation fixe des salaires sans concertation sont, avec le rapport de l’IGAS, les facteurs déclenchants du mouvement de grève actuel. La création d’un statut de praticien hospitalier en maïeutique est une urgence pour rendre son attractivité à cette profession médicale hospitalière et simplement empêcher l’effondrement du système de santé périnatale en France.
L’hémorragie se fait croissante vers le secteur libéral et pallie le vieillissement des spécialités médicales auxquelles les sages-femmes se substituent dans leur accompagnement de parcours de santé : en obstétrique, en gynécologie et en pédiatrie néonatale. Les sages-femmes ont accès à la formation en échographie prénatale et gynécologique et représentent la moitié des 800 diplômés annuels, et il est probable que plus de 80 % de ces actes seront réalisés par des sages-femmes à l’horizon 2030. Cet afflux de sang neuf, compétent et enthousiaste, devrait être considéré comme une opportunité de mettre réellement en œuvre les actions, tellement nécessaires, de prévention auprès des femmes, des jeunes enfants et des familles.
A ce titre, le bilan de la commission sur les « 1 000 premiers jours » de l’enfant, qui ne comptait qu’une seule sage-femme et une armée de pédopsychiatres, a accouché de la souris du congé paternité [2]. Quel manque d’ambition, alors que ces trois ans depuis la conception pourraient faire l’objet de mille actions influant positivement sur la santé de cette génération à naître. Les sages-femmes font partie du monde médical, autonomes dans leur champ de compétences, responsables pénalement de leurs actes, elles sont indispensables à la santé des femmes et des enfants. Il faut utiliser ces compétences mais cesser de les exploiter !
Anne Rousseau
Maîtresse de conférence en maïeutique
Yves Ville
Professeur de gynécologie-obstétrique