La Commission européenne vient de rendre sa décision au sujet du Livret A. Sans surprise, elle accède à la demande des banques privées, initiatrices de la plainte à Bruxelles, en enjoignant la France d’étendre à l’ensemble des banques la distribution de ce produit d’épargne populaire, aujourd’hui réservé à La Poste et aux Caisses d’épargne, dans un délai de neuf mois. Cette décision est d’autant moins surprenante que le Livret A n’a pas trouvé dans le gouvernement, malgré la posture de ce dernier, un défenseur zélé. La Commission européenne a d’ailleurs vendu la mèche en déclarant qu’elle n’avait jamais eu d’interlocuteur mandaté par les pouvoirs publics hexagonaux. La seule initiative concrète s’est limitée à un appel téléphonique de Chirac au président de la Commission, lui demandant de retarder l’annonce après l’élection présidentielle.
D’ailleurs, des organisations aussi diverses que des syndicats, des associations de défense du logement social et de lutte contre l’exclusion, mais aussi des offices de HLM et des associations de consommateurs ont exprimé leurs craintes quant aux conséquences d’une telle évolution. Ce n’est pas un hasard, car le Livret A est aujourd’hui bien plus qu’un produit d’épargne. Ses fonds, centralisés à la Caisse des dépôts et consignations, ont participé à la construction de 80 % des logements sociaux. Or, l’intérêt des banques sera de siphonner ces fonds afin de les orienter vers d’autres placements, plus rentables pour elles, comme l’épargne mobilière ou l’épargne retraite. La raréfaction des fonds collectés par le Livret A aura donc inévitablement des répercussions sur les moyens de financer le logement social.
Par ailleurs, au fil du temps, et devant l’absence d’un service universel bancaire, il est devenu un moyen pour les plus démunis et précaires d’avoir accès aux prestations bancaires de première nécessité. La Poste, en contrepartie du duopole dont elle bénéficie, accueille toute personne faisant la demande d’un livret. Qu’en sera-t-il demain, en cas de banalisation de la distribution ?
Enfin, la décision de Bruxelles pourrait avoir des conséquences graves en termes d’aménagement du territoire et d’accès au service public. Même très insatisfaisante, la loi impose à La Poste de maintenir un certain nombre de points de contacts sur l’ensemble du territoire. Mise dans les mêmes conditions que les autres établissements, La Poste acceptera-t-elle encore d’assumer cette contrainte ? Pas sûr. Et si elle le faisait, qui paiera ? Il serait illusoire qu’en contrepartie du Livret A, les banques acceptent de revenir dans les zones rurales ou dans les quartiers populaires qu’elles ont désertés.
Le gouvernement attaquera sans doute la décision de la Commission, mais ne nous trompons pas, il s’agit juste d’une posture. Il est de la responsabilité des syndicats, des associations et des partis politiques attachés au Livret A et à ses missions, de s’unir pour peser sur la décision finale, et, pourquoi pas, en faire, dès aujourd’hui, un thème de campagne pour les élections législatives.