Cette question est largement présente dans l’opinion publique, mais elle est surtout focalisée sur les grands animaux, comme la baleine et le rhinocéros. Une évolution récente a permis la prise de conscience de la diminution des insectes, en particulier des abeilles. Mais pas un mot sur la perte de biodiversité des microbes et plus généralement des micro-organismes. Pourtant, ils sont les plus menacés.
Ils constituent 90% de la biomasse. Ce sont les micro-organismes qui ont fait naître la vie sur terre ; ils sont nos ancêtres et nous n’en faisons aucun cas.
En contraste avec ce désintérêt de l’opinion publique, l’alerte est donnée dans le monde scientifique, et la première prise de conscience est liée aux effets du changement climatique sur les micro-organismes.
Une mise au point a été faite en 2019 par un collectif de scientifiques autour de Ricardo Cavicchioli (1) : Dans leur étude, ils ont privilégié 2 incidences majeures de l’activité des micro-organismes : il s’agit de leur rôle dans le cycle du carbone et dans la fixation des nitrates.
Dans les mers, deux répercussions majeures du changement climatique sur les activités biologiques des microbes sont soulignées : l’acidification des océans et la raréfaction des ressources alimentaires halieutiques.
Dans les terres, la rupture d’équilibre entre les espèces de microorganismes, en particulier entre germes aérobies et anaérobies, entraine un changement profond dans la sécrétion d’enzymes au sein de la terre, et une perte du pouvoir microbien à rompre le lien minéral/organique du carbone. Résultat, un rejet massif de dioxyde de carbone, un recul de la digestion des protéines, et la production accrue de toxiques.
L’agriculture moderne est montrée du doigt pour une double agression sur les microorganismes : par l’élevage avec un doublement de la production de méthane, et par l’agriculture intensive et l’augmentation massive des fertilisants entrainant un excès d’oxyde d’azote.
Mais il existe un deuxième danger majeur pour les microorganismes : les déchets nucléaires. Ce sont les essais nucléaires et la folie excavatrice de l’uranium qui furent les premiers facteurs de dissémination des radionucléides, dans des zones sinistrées comme l’Oural avec la catastrophe de Mayak et la contamination pérenne de la rivière Tetcha, l’Arizona et l’Australie, les îles Marshall et le Sahara algérien, etc… Les catastrophes nucléaires civiles ont pris le relai.
LES RADIATIONS SONT MORTIFERES POUR LES MICROORGANISMES.
Ceci n’est pas une constatation nouvelle : on utilise depuis longtemps les rayons gamma pour stériliser, par exemple les aliments. De nombreuses protestations se sont élevées à propos du risque sanitaire et de la qualité des aliments, mais quasiment aucune sur la sélection microbienne qui en résulte. Or, A.R. Brown et al (2) rappellent que 90% de la population microbienne disparaît et ne survivent que les microorganismes radio résistants. Jusqu’à ce jour, seules les souches de microorganismes radio résistants ont intéressé les chercheurs. C’est le cas de K .Pedersen, (3) à propos des microorganismes survivants et de leurs rôles dans le transfert d’uranium. De même, la thèse de N.Théorakopoulos (4) étudie la survie des bactéries telluriques dans la zone d’exclusion de Tchernobyl (tranchée T22) uniquement pour leur capacité de détoxication active.
LES RADIATIONS AGISSENT NON SEULEMENT SUR LA QUANTITE DE MICROBES, MAIS AUSSI SUR LEURS PROPRIETES. ELLES S’ATTAQUENT DIRECTEMENT À LEUR DIVERSITE.
C’est la question du micro biote, que tout animal supérieur a dans son intestin, qui a attiré en premier l’attention. Nous savons combien la flore intestinale est vitale pour nous humains. A. Lavrinienko (5) a étudié cette question sur les campagnols survivants dans la zone interdite de Tchernobyl, durement affectés par le changement de nature de leur microbiote altéré par la radioactivité chronique.
VOILA LES 90% !!!
Enfin les chercheurs se sont intéressés au plus grand nombre, à ceux qui sont massivement candidat à l’extinction, à ceux qui sont les fameux 90% potentiels susceptibles d’être éliminés par les radiations.
Pour se faire, Z. Zhu (6) s’est intéressé au devenir des terrains pollués autour des mines d’uranium en activité ou abandonnées du nord-ouest de la Chine. On y retrouve bien sûr de l’uranium appauvri et du radon, mais le déchet le plus fréquent est l’oxyde de thorium, surtout dans les zones agricoles. Le thorium 232 a une durée de vie millénaire et existe depuis la création du monde.
Il a comparé 3 échantillons de terre avec 0 mg/Kg d’oxyde de thorium (T1), avec 60 mg/Kg de 232Th (T2), et avec 100 mg/Kg de thorium (T3), c’est à dire avec une pollution très modérée.
Il a retenu 2 grandeurs qualitatives : l’activité enzymatique et la diversité microbienne.
Les résultats sont les suivants :
1) l’activité enzymatique des microbes telluriques chute en fonction de la teneur en thorium. Cette activité varie selon les substrats, et est mesurée par un index spécifique pour chaque enzyme.
Voici 2 exemples d’enzymes :
activité enzymatique | T1 | T2 | T3 |
uréase | 11.4 | 6.7 | 2.4 |
phosphatase | 213 | 142 | 94 |
diff. Significative | Oui*** | Oui *** |
Ce résultat est hautement significatif et confirme la proportionnalité avec la présence de thorium.
2) la diversité microbienne est analysée en utilisant 3 index : l’index Shannon-Wiener (ISW), qui mesure la part de chaque espèce dans le collectif microbien ; l’index de diversité qui mesure la variété des souches microbiennes ; enfin l’index qui mesure la richesse en espèces. Ces index diminuent avec la pollution :
T1 | T2 | T3 | |
ISW | 2.16 | 1.93 | 1.75* |
diversité | 0.9 | 0.88 | 0.79* |
richesse | 11.5 | 8.5 | 7.5* |
diff. significative | non | * oui : T1/T3 |
L’impact du thorium sur ces paramètres, activité enzymatique, diversité et richesse est indiscutable et proportionnel à la dose de ce radionucléide dans le terrain.
Partout où s’accumulent des déchets nucléaires, à vie longue comme les stériles des mines d’uranium ou le plutonium des essais nucléaires, ou à vie plus courte émis lors des essais ou par les accidents du nucléaire civil, c’est le monde des microorganismes qui paie un lourd tribu. Plus les déchets nucléaires militaires et civils augmentent, plus leur dissémination de par le monde s’accentue, plus le monde des microorganismes, déjà éprouvé par le changement climatique, est dramatiquement exposé.
La diminution de la biodiversité, deuxième sujet d’inquiétude pour notre monde, est grandement liée à l’activité humaine. La responsabilité est totale pour les déchets nucléaires comme facteur de causalité pour l’extinction d’espèces dans le monde des microorganismes qui ont joué un rôle décisif pour la naissance du vivant sur la terre.
Nous leur devons la vie, les exterminer c’est aussi nous suicider.
Abraham Behar
BIBLIOGRAPHIE
1-R. Cavicchioli et al, Scientists’warning to humanity : microorganisms and climate change, Nature rev Microb17, 569-586, 2019
2- A.R. Brown et al, The Impact of Gamma Radiation on Sediment Microbial Processes, Appl Environ Microbiol, 81(12), 4014-4025, 2015
3- K. Pedersen, Microbial processes in radioactive waste disposal , Svensk Karnbranslehantering AB Swedish Nuclear Fuel and Waste Management Co
Box 5864 102 40 Stockholm ,technical report, avril 2000
4- N. Théodorakopoulos, Analyse de la biodiversité bactérienne d’un sol contaminé de la zone d’exclusion de Tchernobyl et caractérisation de l’interaction engagée par une souche de Microbacterium avec l’uranium, thèse Université Aix-Marseille avril 2013
5- A. Lavrinienko et al, Environmental radiation alters the gut microbiome of the bank vole (campagnol) Myodes glareolus, ISME J. , 2801–2806 ,2018 |
6- Z. Zhu, Effects of thorium on paddy soil enzymes and microbial diversity, Radioprotection, 54, (3), 219/224, 2019