L’élection présidentielle de mai prochain sera un tournant pour une population philippine exténuée, au terme de six ans du mandat du président Rodrigo Duterte marqué par un “carnaval de confusion et d’intrigue”, souligne une analyse de la journaliste Criselda Yabes dans Nikkei Asia.
Un constat renforcé par la décision, cette année, de Sara Duterte, fille du président sortant et qui avait succédé à son père à la tête de la ville de Davao, de ne pas respecter le plan paternel. Plutôt que de briguer le mandat présidentiel, elle a décidé de se présenter à la vice-présidence en s’associant à Ferdinand Marcos Junior, fils de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos qui a dirigé le pays entre 1965 et 1986. Les scrutins pour ces postes sont distincts.
Plus connu sous le nom de “Bongbong”, Ferdinand Marcos Junior, en cas de victoire, “remettra sans doute le passé au goût du jour dans une campagne où les réseaux sociaux et leurs mensonges permettront de réécrire l’histoire pour une génération qui ne la connaît pas”, poursuit Criselda Yabes, journaliste spécialiste des Philippines. “Le fils Marcos pourra sans nul doute tromper les gens en leur faisant croire que l’époque de son père représente un âge d’or.”
Les fantômes du passé
La popularité de Bongbong dans les enquêtes d’opinion a déclenché un sursaut parmi ceux qui se souviennent de ce qui s’est passé il y a trente-cinq ans, quand la démocratie l’a remporté et que la population a renversé Marcos, poursuit la journaliste. C’était en 1986. Suite au mouvement appelé People Power Revolution, Ferdinand Marcos a quitté le pays, et Corazon Aquino – veuve d’un des opposants de Marcos, Benigno “Ninoy” Aquino, assassiné – a été désignée présidente, suite aux élections du 7 février 1986.
Si le fils Marcos remporte l’élection présidentielle, estime Nikkei Asia, “il suivra le chemin de son père et fera revivre ses fantômes sous la forme d’un capitalisme de connivence, d’abus militaires, d’autoritarisme et de censure”. Une manière de poursuivre l’œuvre de l’ancien président. Admirateur de Marcos père, il n’a eu de cesse de réhabiliter l’image de ce dernier durant son mandat.
Le seul espoir de réactiver les jours glorieux de la lutte pour la liberté s’incarne dans la candidature de la vice-présidente, Leni Robredo, dont la campagne “amour radical” entend défaire l’héritage toxique de Duterte.
Mais la journaliste s’interroge sur la raison pour laquelle les Philippins sont ainsi fixés sur le passé. “Pourquoi les outils de la démocratie n’ont-ils pas permis de dessiner les contours de l’avenir ? Comment expliquer que notre système politique entraîne une corruption systématique du plus haut au plus bas niveau, engendre la déréliction de notre système éducatif et de la fonction publique, crée de l’injustice et des difficultés économiques ?”
Des dommages durables
Leni Robredo ne fait pas de grandes promesses pour l’avenir. Et entend respecter l’État de droit, les droits fondamentaux, diriger un gouvernement responsable et transparent, poursuit Nikkei Asia.
Face à cette décision, les Philippins choisiront soit de s’enfoncer un peu plus dans un trou, ou de trouver une voie de sortie, estime le journal. “Il est certain que la fin de Duterte ne changera pas le paysage d’un coup.” Selon un membre de la Cour suprême qui s’est confié à la journaliste, il faudra sans doute une décennie pour réparer les dommages causés durant ce mandat.
“Une fois pour toutes, les Philippins nostalgiques de la dictature doivent comprendre que tourner le dos à un passé, dont ils pensent qu’il a été prospère,” n’est pas la garantie d’un futur radieux, conclut Criselda Yabes.
Nikkei Asia
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