C’est un nouveau film improbable sur l’atrocité de la guerre en Syrie et de la répression de Bachar El-Assad qui fait son chemin vers les grandes salles du monde et les festivals internationaux.
Après Pour Sama, sur le siège d’Alep,, sorti en 2019 et filmé par une jeune mère de la ville, Little Palestine, journal d’un siège raconte le siège du camp palestinien de Yarmouk (2012-2015), en banlieue de Damas, également à travers l’objectif amateur d’un habitant assiégé.
Des scènes surréalistes
Caméra au poing, Abdallah Al-Khatib a capturé au fil des mois les bribes d’un quotidien infernal, entre bombes et famine. Il témoigne à la fois des privations, des craintes et des souffrances, mais aussi du courage et de l’humour des enfants et des habitants du quartier. “Comme la plupart du pays, Yarmouk et ses habitants palestiniens ont subi de plein fouet la répression du régime [syrien], et le film de Khatib a une manière intense de le montrer”, souligne le site Middle East Monitor.
Little Palestine est à la fois “expansif et intime”, “déchirant et plein d’espoir”, “distant et intensément émouvant”, ajoute le site panarabe Middle East Eye :
“Les moments les plus marquants du film sont aussi les plus surréalistes : la mère du réalisateur nourrissant une petite fille boudeuse, morte plus tard de faim ; un chœur d’hommes chantant devant un piano dans une rue détruite alors que des coups de feu résonnent du bâtiment au-dessus d’eux ; un vieil homme chantant un hymne palestinien en anglais avant de fondre en larmes.”
Même s’il vivait lui aussi à l’intérieur du camp, Abdallah Al-Khatib (aujourd’hui réfugié en Allemagne) “n’est pas tombé dans le piège de la subjectivité”, estime de son côté le site panarabe Al-Jazeera, le réalisateur cherchant à éviter le misérabilisme et mettant en avant la suprématie de la vie sur la mort.
“J’ai essayé autant que possible de faire entendre la voix de toutes les personnes du camp, […] et la chose la plus importante que je tenais à montrer, ce sont les habitants de Yarmouk dans leur dignité, sans chercher à susciter la sympathie ou la pitié […]. Je voulais que les spectateurs se sentent solidaires de ce qu’ils subissent à cause du régime syrien”, affirme-t-il à Al-Jazeera.
“Je pensais que j’allais mourir”
Après que la révolution syrienne (2011) eut muté progressivement en conflit armé, le régime du président Bachar Al-Assad avait assiégé le camp de Yarmouk, l’isolant complètement du monde extérieur et privant sa population de nourriture, de médicaments et de courant, dans le cadre d’une stratégie de siège suivie dans plusieurs régions du pays pour faire plier la rébellion.
Fin 2012, quelque 140 000 réfugiés ont fui le camp en une semaine, alors que le régime y menait une campagne de bombardements pour tenter de contrer l’avancée des groupes rebelles.
Durant les années suivantes, les photos provenant de l’intérieur du camp avaient fait le tour du monde et jeté une lumière crue sur les privations vécues par la population assiégée.
“Dans le lexique de l’inhumanité de l’homme envers son frère s’ajoute un nouveau terme : Yarmouk”, assénait en 2014 Chris Gunness, le porte-parole de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens. “Le régime a affamé la population du camp et interdit l’entrée de l’aide internationale. Quiconque osait s’échapper par un poste de contrôle était arrêté […] et souvent torturé à mort”, rappelle Middle East Monitor.
C’est d’ailleurs “à l’aide de la caméra d’un ami – Hassan Hassan, qui a tenté de fuir avant d’être détenu et torturé à mort – que Khatib a filmé des images du camp pour que d’autres à l’étranger l’utilisent éventuellement dans leurs propres films”, affirme le Middle East Monitor. “Je pensais que j’allais mourir” durant le siège, confie le réalisateur au média.
Un miroir de la “Nakba”
Incarnée par ce camp en Syrie, le plus grand camp de réfugiés palestiniens, la “petite Palestine” n’est autre qu’un “prolongement des souffrances de la grande Palestine”, à laquelle le film consacre une place centrale, souligne par ailleurs Al-Jazeera.
Le réalisateur y évoque en effet le déplacement des Palestiniens après la “Nakba” (la “catastrophe” en arabe, en référence à la création de l’État d’Israël et à l’exode massif de Palestiniens), en 1948, puis leurs souffrances aux mains du régime syrien, qu’il “accuse explicitement”.
Mais loin de vouloir se venger ou perpétuer la culture de la violence, Al-Khatib dépeint la situation et les divers personnages sans violence aucune. Pour le magazine américain Variety, sa production constitue ainsi – au-delà des faits historiques et des méandres du conflit – “une lettre d’amour à ses concitoyens et à leur humanité dans une situation profondément inhumaine”.
Little Palestine, journal d’un siège d’Abdallah Al-Khatib sort le 12 janvier en France, en partenariat avec Courrier international.
Courrier International
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais.