En annonçant être en rupture de stock de frites, la chaîne de restauration rapide KFC n’avait probablement pas imaginé déclencher un débat sur la culture de la pomme de terre au Kenya. Un message publié par la compagnie américaine début janvier a provoqué une tempête en révélant que la chaîne importe ses pommes de terre dans un pays où les agriculteurs vendent à prix cassés faute de demande. Malgré les appels au boycott sur les réseaux sociaux, la presse kényane estime que la polémique révèle avant tout les faiblesses de l’agriculture locale.
“Vous avez un peu trop aimé nos frites et nous sommes en rupture de stock. Désolé !” écrit KFC Kenya sur Twitter le 3 janvier. À l’origine de la rupture de stock, des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement liées à la pandémie. Dans le quotidien Business Daily, le directeur de la branche régionale de l’entreprise, Jacques Theunissen, confirme que la chaîne importe ses pommes prédécoupées et ne peut s’approvisionner sur le marché kényan, dont les producteurs ne sont pas certifiés.
“Processus de qualité”
“La raison pour laquelle nous ne pouvons pas acheter localement pour le moment est que tous nos fournisseurs doivent être approuvés au travers d’un processus de qualité, et nous ne pouvons pas le contourner même si nous sommes en rupture de stock afin d’assurer que notre nourriture est sans danger pour la consommation par nos clients”, explique le responsable. Pour le quotidien économique kényan, “cela revient à priver les paysans locaux […] de la chance de profiter de contrats lucratifs, en particulier en période de pénurie comme celle-ci”.
Sur Twitter, le hashtag #BoycottKFC explose après la publication du message. La politique de la compagnie passe mal dans un pays où le secteur peine à écouler sa production. “Au pic de la saison, quand nous récoltons beaucoup de pommes de terre, le marché sature et les intermédiaires achètent à des prix très bas”, explique un producteur du comté de Nakuru, dans la vallée du Rift, au quotidien Nation.
Également cité par le journal, le secrétaire général de la Fédération des consommateurs kényans, Stephen Mutoro, dénonce un “affront contre l’économie de la pomme de terre” alors qu’“il n’y a jamais eu de plaintes sur la qualité des patates kényanes”.
“Manque de cadre réglementaire”
Le Business Daily se demande également “pourquoi a-t-il fallu plus de dix ans pour approuver des producteurs locaux ou soutenir la chaîne de production afin qu’elle atteigne ses standards comme c’est le cas d’autres multinationales ?”. Le quotidien Nation s’étonne même que la chaîne ait le droit d’importer “alors que les producteurs n’ont pas de marché pour leurs produits”. Deuxième culture la plus importante du Kenya, la pomme de terre emploie plus de 3,5 millions de personnes.
“Si dans les premiers temps, cela peut avoir du sens de dépendre uniquement des importations, il faut construire des capacités locales pour que la structure devienne autosuffisante”, ajoute le quotidien dans un éditorial, tout en reconnaissant que “la compagnie a raison quand elle dit qu’elle ne peut pas contourner ses standards de production”. “Les multinationales à travers la planète, en particulier dans le secteur de l’agroalimentaire, doivent respecter des standards stricts pour des raisons d’hygiène et de santé”, concède également un expert en fiscalité internationale sur une page hébergée par le quotidien.
“Le manque de cadre réglementaire est la principale raison pour laquelle la chaîne de restauration rapide américaine KFC importe ses pommes de terre d’Égypte et d’Afrique du Sud”, analyse le quotidien The Standard.
Dans un article intitulé “La saga de la pomme de terre montre comment l’État a laissé tomber ses paysans”, le quotidien déplore que le Kenya ait attendu 2019 pour voter la mise en place de régulations impliquant notamment la déclaration des cultures. D’après un rapport cité par le journal, seuls 25 % des producteurs kényans respectaient les critères de traçabilité en 2014.
Après la polémique, la branche régionale de KFC a annoncé sa volonté de commencer à s’approvisionner auprès des producteurs kényans. Trois jours plus tard, elle refuse pourtant de dévoiler au Business Daily ses standards ainsi que ses prix en invoquant le secret des affaires. En réponse à la polémique, une autre chaîne de restauration rapide, Burger King, s’est empressée de faire savoir qu’elle s’approvisionnait en pommes de terre localement.
Courrier International
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