« 12 - Paysage et biodiversité » by Photojol is marked with CC BY-NC-ND 2.0. (https://wordpress.org/openverse/image/28546f2d-c88d-4aa7-8e44-f432bd21f426)
En Europe, en seulement trente ans, depuis les années 1980, on observe une chute dramatique des espèces « d’oiseaux communs, tels la perdrix grise, l’alouette des champs ou l’étourneau, une diminution massive de leurs populations » selon la revue Ecology Letters. « Ce sont les espèces dites abondantes qui seraient les plus menacées de disparaître, si cette tendance se poursuivait. (…). Par exemple, 61 % des moineaux auraient déjà disparu » et une chute de 77 % des effectifs chez la tourterelle ». Il y a même 80 % à 90 % de déclin pour les perdrix depuis le milieu des années 1990 ! [1].
En ce qui concerne les insectes, dont dépendent les oiseaux pour se nourrir, en 27 ans, (entre 1992 et 2019), 76 % des insectes ont disparu en Europe, soit un déclin annuel de 6 % ! Or, 80 % des plantes sauvages dépendent des insectes pour la pollinisation et 60 % des oiseaux dépendent des insectes pour se nourrir rapporte Martin Sorg, de l’IWWR (Institute for Water and Wetland Research).
Il existe « 41 % des espèces d’insectes étudiées sont en déclin, et 31 % menacées d’extinction (c’est-à-dire en déclin de plus de 30 % de la population initiale). La baisse annuelle de la biomasse d’insectes serait de 2,5 % par an dans le monde » [2]. Or, Avec + 2 °C d’élévation de la température en 2100, « la proportion d’espèces privées de plus de 50 % de leur territoire tombe à 18 % pour les insectes, 16 % pour les plantes et 8 % pour les vertébrés. Avec seulement + 1,5 °C, elle chute à 6 % pour les insectes, 8 % pour les plantes et 4 % pour les vertébrés » [3]. Solomon prévoit « l’extinction de 12 000 à 14 000 espèces vivantes avant 2100 dans un scénario optimiste (+ 1,5 à + 2,5°C) » [4], mais « il faudrait probablement multiplier par 10 ce chiffre si l’on tient compte des autres crises et des interactions entre les espèces » [5].
On relève que 32 % des espèces sont en recul au plan mondial. Pour ces chercheurs, « la réelle ampleur de l’extinction de masse qui touche la faune a été sous-estimée : elle est catastrophique. Nous constatons que le taux de perte de population des vertébrés terrestres est extrêmement élevé, y compris chez les « espèces peu concernées » » écrivent de l’université de Stanford [6]. Il s’agit d’un véritable « anéantissement biologique » (biological annihilation) au vu de son ampleur et de son accélération, « [elle a été] sous-estimée : elle est catastrophique ». Les résultats reposent sur les fluctuations dans les populations de quelque 27.600 espèces de vertébrés terrestres connues, incluant des mammifères, des oiseaux, des reptiles et des amphibiens. Ainsi, plus de la moitié des vertébrés ont disparu depuis 1970. Les chimpanzés, comme beaucoup de grands vertébrés, sont menacés dans de nombreuses régions, mais ils sont la face cachée de l’iceberg. En rasant des forêts, les activités humaines font disparaître des écosystèmes entiers, avec leurs végétaux, leurs animaux et leurs micro-organismes. Ainsi ont-ils constaté qu’un tiers, 32 % (précisément 8.851 sur 27.600), des espèces qu’ils ont étudiées, lesquelles représentent environ la moitié de toutes celles connues, sont en déclin. Et cela, autant en effectifs qu’en d’aires de répartition. Pour ce qui est de l’échantillon de 177 mammifères dont les chercheurs précisent qu’ils disposent de données détaillées, les résultats montrent que tous ont perdu 30 % ou plus de leurs territoires et plus de 40 % ont subi de graves diminutions de leur population. Par exemple, il y a 25 ans, les lions, ils étaient 43 % plus nombreux..., à présent, ils ne sont plus que 35.000... Les grands singes aussi sont en recul dont plusieurs comme l’orang-outang sont « en danger critique », la dernière étape avant l’extinction. A Bornéo, leur population a chuté de 25 % en dix ans seulement [7].
L’effondrement des espèces et de la biodiversité touche en particulier les abeilles, qui sont pourtant cruciales pour l’agriculture. En 1988, les États-Unis comptaient 5 millions de ruches, dont près de la moitié à disparu en seulement 27 ans (42,1 % des colonies d’abeilles). Et les projections pour cette année 2017 sont loin d’être encourageantes ! D’autant plus que les abeilles disparaissent partout en Europe et dans le monde : en France, leur taux de mortalité est de 30 % en moyenne (contre 5 % dans les années 1990) ; en Italie, en 2008, 65 % des abeilles étaient mortes dans l’année ; en Allemagne, la population d’abeilles à chuté de 25 % ; en Espagne, un taux de mortalité des abeilles de 40 % a été mesuré. Et même si la plupart d’entre nous savent que ces pollinisateurs sont importants pour la biodiversité, nous n’imaginons à quel point leur extinction peut être désastreuse au niveau environnemental, sociétal et économique. Ainsi, si les abeilles venaient à disparaître : 1/3 de ce que nous mangeons n’existerait plus et les cultures fruitières, légumières, oléagineuses et protéagineuses, de fruits à coques, d’épices, de café et de cacao seraient affectées ; la crise alimentaire mondiale serait aggravée par la diminution de la production agricole mondiale et l’augmentation des prix de l’alimentation ; les équilibres de la biodiversité seraient bouleversés et certains chercheurs prédisent un effet « boule de neige » sur les autres espèces, végétales et animales ; le monde devra « remplacer » le travail des abeilles pour 265 milliards d’euros par an et 22 milliards pour l’Europe » [8].
« Le « syndrome d’effondrement des colonies » observé depuis les années 1990 a des impacts sur le secteur apicole mais plus largement sur l’ensemble de la biodiversité. Indispensables pour l’agriculture, les abeilles pollinisent 84 % des cultures européennes et 4 000 variétés de végétaux. En Chine, l’usage intensif des pesticides a entraîné la quasi-disparition des abeilles et les paysans secouent les arbres fruitiers pour tenter de reproduire de manière artificielle ce que la nature n’est plus capable de faire. Si nous n’y prenons garde, l’Europe risque de devoir rapidement en arriver aux mêmes extrémités, entraînant un surcoût pour les agriculteurs, déjà fragilisés économiquement. Il manque actuellement 13 millions de ruches en Europe pour favoriser la pollinisation » [9]. « Les abeilles contribuent à la biodiversité. Une étude publiée en 2006 s’intéressant aux populations d’abeilles sauvages solitaires et de syrphes (mouches qui ressemblent à des abeilles ou à des guêpes) a mis en évidence un déclin à la fois de l’abondance et de la diversité des abeilles sauvages depuis 1980 dans deux tiers des zones répertoriées au Royaume-Uni, ainsi que le déclin des plantes associées à ces pollinisateurs. Les scientifiques s’accordent à constater la diminution des pollinisateurs sauvages dans le monde et redoutent la disparition en cascade de la flore et de la faune associées » [10].
L’humanité est la cause principale de la 6e grande extinction des espèces et donc de la chute de la biodiversité. « Au cours des dernières 500 millions d’années, la vie sur Terre a presque totalement disparu à cinq reprises, à cause de changements climatiques : une intense période glaciaire, le réveil de volcans et la fameuse météorite qui s’est écrasée dans le Golfe du Mexique il y a 65 millions d’années, rayant de la carte des espèces entières comme celle des dinosaures. Ces événements sont communément appelés les cinq extinctions massives ; or tout semble indiquer que nous sommes aux portes de la sixième du nom. À la différence que, cette fois, nous sommes seuls responsables de ce qui se produit. D’après une étude publiée en juin 2013 dans Science Advances, le taux d’extinction des espèces pourrait être 100 fois plus élevé que lors des précédentes extinctions massives – et encore, ne sont pris en compte que les animaux dont nous avons une bonne connaissance » [11].
En 44 ans, « entre 1970 et 2014, les populations de vertébrés - poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles - ont chuté de 60 % au niveau mondial et de 89 % dans les tropiques, l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale. Les espèces n’ont jamais décliné à un rythme si rapide, qui est aujourd’hui cent à mille fois supérieur que celui calculé au cours des temps géologiques » [12]. La 6 extinction des espèces est en cours, l’humain en est le principal responsable avec son système de consommation. Plus tôt et plus fort, l’humanité parviendra à sonner la sonnette d’alarme écologique et à appuyer fort sur les freins, moins le train de l’humanité frappera violemment le mur et plus les impacts en seront diminués.
Thierry Brugvin
Notes
[1] INGER Richard &co., Common European birds are declining rapidly while less abundant species", Ecology Letters, Volume 18, Issue 1 p. 28-36, Letter numbers are rising, 02 November 2014.
[2] SÁNCHEZ-BAYOA Francisco &co., Worldwide decline of the entomo fauna, Biological Conservation Volume 232, April 2019, Pages 8-27.
[3] LE HIR Pierre, « Pour la biodiversité, un demi-degré de réchauffement change tout », Le Monde, 17 mai 2018.
[4] SOLOMON, S. ET AL. (2007) op.cit. ; Dow, K. & Downing, T. E. (20007) op.cit. ; Hughes, J. B. et al. (1997) Population Diversity : Its Extent and Extinction. Science n°278, p. 689- 692
[5] SERVIGNE Pablo, Nourrir l’Europe en temps de crise Vers des systèmes alimentaires résilients, Groupe des Verts/ALE au Parlement européen, Brussels – Belgique, 2013.
[6] CEBALLOS Gerardo & Co, Accelerated modern human–induced species losses : Entering the sixth mass extinction, Science Advances,19 Jun 2015 : Vol. 1, no. 5.
[7] DEMEERSMAN Xavier, Futura Planète, Lettre d’information, 11/07/2017.
[8] PEREZ Julien, « Des abeilles de plus en plus menacées », OMPE | Organisation Mondiale pour la Protection de l’Environnement, juin 2017.
[9] ANDRIEU Éric (Député européen socialiste) & Co., « Les abeilles sont menacées d’extinction en Europe », Le Monde, 19 oct. 2017.
[10] HENRY Mickaël, &Co, Pesticide risk assessment in free-ranging bees is weather and landscape dependent, Nature Communications, 10 juillet 2014.
[11] DRAKE Nadia, La sixième extinction massive a déjà commencé, National Géographique, 2016.
[12] WWF, Rapport Planète Vivante 2018, WWF, 2018