Après trois heures de palabres, lundi après-midi, le président du parti Les Républicains (LR) se présente devant la presse. La mine de Christian Jacob est celle d’un lendemain de débâcle mais, dans l’océan de désespoir qui risque de le submerger, le député de Seine-et-Marne a trouvé un peu d’air : le bureau politique de LR a réussi à adopter une position majoritaire sur le deuxième tour de l’élection présidentielle, retardant de quelques semaines une implosion qui semble inéluctable.
Derrière son pupitre, Christian Jacob fait la lecture d’un texte pensé avec autant de précaution qu’une résolution des Nations unies. LR a décidé d’ouvrir la voie à deux options distinctes, le vote Macron ou l’absence de choix (abstention, vote blanc, vote nul). « Aucune voix ne peut se porter sur Marine Le Pen, indique le texte adopté en bureau politique. Son projet politique nous conduirait au chaos. » En revanche, le parti n’a pas suivi Valérie Pécresse dans son appel à voter pour Emmanuel Macron.
C’est une évolution par rapport à 2017. À l’époque, les discussions au lendemain du premier tour avaient déjà été animées mais la formule retenue était plus explicite. « Face au Front national, l’abstention ne peut pas être un choix », soulignait la synthèse trouvée. En cinq ans, l’abstention est devenue un choix. Une concession de plus faite à l’aile droite du parti, dans le souci obsessionnel de sauvegarder son unité. Mais pour combien de temps encore ?
Avant de parler politique, LR a dû constater les dégâts financiers de son score famélique (4,78 %). Dès son arrivée au siège parisien du parti, Valérie Pécresse a fait une déclaration en forme de supplique [1] : « La situation financière de ma campagne est critique, a-t-elle assuré. Il manque 7 millions d’euros pour boucler le budget de la campagne. LR ne peut pas faire face à ces dépenses. Je suis endettée personnellement à hauteur de 5 millions d’euros. Je lance ce matin un appel national aux dons. J’ai besoin de votre aide, d’urgence. […] Il en va de la survie de LR et de la droite républicaine. »
Dans la foulée, Christian Jacob a reçu rue de Vaugirard tout ce que son parti compte de ténors, d’abord en comité stratégique puis en bureau politique, une instance plus large. Les cadres de LR y ont tenté de défaire le nœud gordien du second tour. D’un côté, celles et ceux qui soutenaient un appel explicite à voter pour Emmanuel Macron, comme Xavier Bertrand, le président des Hauts-de-France. De l’autre, des personnalités qui n’ont pas l’intention de voter pour le président sortant, comme le député Éric Ciotti.
« Le consensus qu’on a trouvé est simple : on ne va pas voter pareil, donc on ne prend pas de consigne collective », résume Julien Aubert, député du Vaucluse et partisan de la seconde option. Après coup, Christian Jacob se félicitait d’une motion adoptée « à une très large majorité » et tentait de relativiser les divergences. « Notre famille politique est diverse et on l’assume, a expliqué le président du parti. Certains feront le choix du vote blanc, d’autres comme moi mettront un bulletin Macron. Ce qui compte, c’est l’unité. »
Des abstentions, une démission et des remous
Une unité toute relative : 13 cadres du parti se sont abstenu·es et le député Guillaume Larrivé a voté contre. Des défections aux raisons très différentes. Certains, comme Éric Ciotti, le maire de Chalon-sur-Saône Gilles Platret ou l’eurodéputée Nadine Morano, ont choisi l’abstention pour manifester leur désaccord avec un texte jugé trop sévère à l’égard de Marine Le Pen, décrite comme une « adversaire ».
À l’inverse, d’autres ont regretté l’absence de consigne claire. « Il fallait être clair et on ne l’est pas », regrette Gil Avérous, le maire de Châteauroux, qui a démissionné dans la foulée de ses responsabilités au parti. Alexandre Vincendet, maire de Rillieux-la-Pape (Rhône) et président de la fédération du Rhône, a pris la parole pour déplorer l’évolution de son parti sur la question : « En 2002, on était bien contents d’avoir le front républicain avec nous. »
Des petites turbulences qui apparaissent toutefois bien maigres en comparaison de celles qui attendent LR. Ce lundi, déjà, les échanges étaient hantés par la question que tout le parti se pose : faut-il s’inscrire en soutien ou en opposition à un éventuel second quinquennat Macron ? Dès dimanche soir, Jean-François Copé, l’ancien président du parti, a appelé son camp à une alliance avec Emmanuel Macron.
Franchement, qu’est-ce qu’on va aller dire aux législatives ? On va faire campagne contre les candidats de Macron en disant qu’on est contre le nucléaire et la retraite à 65 ans ? C’est de la couillonnade.
Un président de fédération LR
Le lendemain, rue de Vaugirard, l’urgence était à éteindre l’incendie. Juste après Valérie Pécresse et Christian Jacob, Laurent Wauquiez a pris la parole pour dissuader d’autres mains tendues à la Macronie. « Prenez de la hauteur, ne parlez pas aux caméras », a exhorté en substance le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Après lui, François Baroin a invité ses ami·es, sans le dire ainsi, à patienter jusqu’en 2027, arguant qu’Emmanuel Macron serait « au premier jour de sa fin » en cas de réélection. « Je vous mets bien en garde, a dit le maire de Troyes. Macron ne pourra pas se représenter et LREM ne lui survivra pas. »
Déjà, les élections législatives sont dans toutes les têtes. « On va aller expliquer ce qu’on a fait, convaincre les Français de ne pas donner tous les pouvoirs à Macron », imagine le député du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger. Christian Jacob a défendu, lui aussi, le maintien d’une droite « indépendante », « pas fongible dans le macronisme », qui « existe pour elle-même », qui pourrait « parfois voter et parfois s’opposer ».
Une stratégie de la « troisième voie » qui passe mal, dans un parti rebuté par l’idée de passer cinq ans de plus dans l’opposition. « Franchement, qu’est-ce qu’on va aller dire aux législatives ?, soupire le président d’une des plus grosses fédérations LR. On va faire campagne contre les candidats de Macron en disant qu’on est contre le nucléaire et contre la retraite à 65 ans ? Ça ne marche pas, c’est de la couillonnade. Les gens voient bien qu’on est d’accord sur les grands sujets. En faisant ça, on envoie nos députés sortants au casse-pipe. »
Le coup de semonce pourrait venir de Nicolas Sarkozy. L’ancien président devrait prendre la parole dans les prochains jours pour annoncer son soutien à Emmanuel Macron et ouvrir, peut-être, la voie à un pacte de gouvernement [2]. Un cacique de la droite avouait son scepticisme : « Ça a beau être Sarkozy, à partir du moment où le parti a verrouillé, toute avancée vers le macronisme ne peut se faire que sous la forme de débauchages individuels. » Même les figures perçues comme modérées, de Xavier Bertrand à Michel Barnier en passant par Rachida Dati, ont rejeté lundi l’hypothèse. « À part Guillaume Larrivé, personne ne veut se retrouver dans une coalition avec Macron », savoure le député Julien Aubert.
Au lendemain d’une déroute historique, la droite traditionnelle a évité les éclats de voix et les portes qui claquent. Sous le couvercle de la cocotte-minute continuent pourtant de bouillir des énergies aux directions très différentes. « On a des positions incompatibles, juge un maire LR en vue. On joue à la famille qui martèle que ce qui la rassemble est plus fort que ce qui la divise alors qu’on sait pertinemment que c’est l’inverse. »
À la sortie du bureau politique, le cacique cité plus haut soufflait : « C’est d’une grande tristesse. On va se retrouver comme la tranche de jambon dans le sandwich. » Un ancien ministre appuie, la métaphore gastronomique en moins : « On est morts. On n’arrive pas à choisir entre nos deux lignes, le parti ne sait pas de quel côté il est. Dans ces moments-là, il faut purger. »
Ilyes Ramdani