Ils étaient le vingt-septième et le vingt-huitième groupe dissous en conseil des ministres depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Le 9 mars, le comité Action Palestine et le collectif Palestine vaincra, deux petites associations propalestiniennes basées à Bordeaux et à Toulouse (moins de 50 membres à elles deux), ont dû cesser leurs activités.
Dans un décret au ton très accusateur, le ministère de l’intérieur les accusait de propager une parole antisémite, haineuse et violente, voire de nature à encourager le terrorisme. Ce vendredi, le juge des référés du Conseil d’État (chargé de se prononcer en urgence) a suspendu l’exécution des décrets de dissolution de ces deux associations. Celles-ci ont également demandé l’annulation pure et simple des décisions gouvernementales, ce qui nécessite une autre audience, d’ici quelques mois.
Dans le communiqué qui accompagne ses deux décisions, le juge des référés estime que « ni l’instruction, ni l’audience n’ont permis d’établir que les prises de position de ces associations, bien que tranchées voire virulentes, constituaient un appel à la discrimination, à la haine ou à la violence ou des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme ». Le ministère devra verser 3 000 euros à chacun des deux groupes.
« Des opinions tranchées et parfois virulentes »
En ce qui concerne le comité Action Palestine, qui dénonçait des « allégations infondées, biaisées, inexactes ou mensongères » à son égard, le Conseil d’État reconnaît « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’association et à la liberté d’expression ».
« Le Conseil d’État a sanctionné l’amalgame entretenu par le ministère de l’intérieur entre la critique d’Israël et l’antisémitisme, commente Vincent Brengarth, avocat du comité Action Palestine, auprès de Mediapart. Après un certain nombre de décisions en retrait, il a su se positionner en contre-pouvoir. Sa décision protège la liberté d’expression, en même temps que ceux qui militent pour les droits des Palestiniens. »
Dans sa décision, le juge précise que les prises de position reprochées à l’association « expriment des opinions tranchées et parfois virulentes sur la situation au Proche-Orient, sur le conflit israélo-palestinien, sur la politique menée et les actions conduites par les autorités israéliennes et sur le soutien que l’association entend apporter à la cause palestinienne ». Sans toutefois verser dans la provocation à la haine.
Il ajoute que sur certains points, le ministère de l’intérieur n’apporte pas les preuves de ce qu’il avance. Contrairement à ses affirmations, « il n’est pas établi que l’association aurait diffusé sur son site internet des publications présentant un caractère antisémite », note-t-il, ni que certaines personnes, citées comme auteurs d’actes antisémites, « seraient ou auraient été membres de l’association ».
L’appel au boycott relève de la liberté d’expression
Pour la deuxième association visée, le collectif Palestine vaincra, le Conseil d’État conclut que le ministère de l’intérieur impute au groupe certains propos, motivant sa dissolution, sans démontrer qu’il en est l’auteur.
Le décret reprochait aussi au collectif ses appels au boycott de produits israéliens. Mais, dans sa décision, le Conseil d’État écrit que « l’appel au boycott, en ce qu’il traduit l’expression d’une opinion contestataire, constitue une modalité particulière d’exercice de la liberté d’expression ». Sauf exception, il ne peut donc être interprété comme « une provocation ou une contribution à la discrimination, à la haine ou à la violence ».
Comme l’a noté le juriste Nicolas Hervieu sur Twitter, cet argument fait écho à une jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le 11 juin 2020, celle-ci avait contredit la Cour de cassation française en jugeant que l’appel au boycott de produits israéliens relevait de la liberté d’expression et ne pouvait, à lui seul, justifier des condamnations pénales.
Enfin, et comme dans d’autres procédures de dissolution lancées ces dernières années, le ministère de l’intérieur reprochait à l’association de ne pas suffisamment modérer les commentaires, parfois antisémites, postés sous ses publications. Mais aux yeux du Conseil d’État, le collectif Palestine vaincra « a procédé à la suppression de certains de ces commentaires et cherche à y remédier », dans la mesure « des moyens dont il dispose ».
Sur son site internet, le collectif a salué cette « première victoire » devant le Conseil d’État, « en attendant le jugement du recours en annulation ». « Cette décision est un véritable camouflet contre le pouvoir et bat en brèche la propagande de l’extrême droite sioniste et ses amalgames entre antisionisme et antisémitisme », ajoute-t-il. L’association avait reçu le soutien de l’Union juive français pour la paix (UJFP), de France Palestine solidarité et de l’Union syndicale Solidaires, qui ont accepté d’intervenir en sa faveur dans la procédure.
Le ministère de l’intérieur essuie ce vendredi un nouveau revers dans sa croisade contre ce qu’il appelle le « séparatisme ». Le précédent ne datait que de mardi.
Le Conseil d’État avait alors confirmé que la mosquée de Pessac, fermée pour six mois le 14 mars sur décision administrative et accusée de propager un islam radical, pouvait rester ouverte. Comme l’a remarqué La Croix, c’est la première fois, depuis 2015, que le Conseil d’État donne tort au ministère de l’intérieur sur la fermeture d’un lieu de culte.
Le 11 mai prochain, le juge des référés doit examiner le cas du Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale), dissous le 31 mars. Fondée sur une nouvelle disposition de la loi Séparatisme, cette procédure est la première à viser une organisation d’extrême gauche depuis le groupe armé Action directe, en 1982. C’est aussi la première fois, en France, qu’un groupe antifasciste est dissous sur décision gouvernementale. Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, les 29 associations et groupes dissous l’ont été, dans leur quasi-totalité, pour leur proximité avec l’islamisme ou l’extrême droite.
Camille Polloni