« Quand la pandémie prendra-t-elle fin ? » En voilà une question qui nous intéresse tous, et à laquelle le cabinet Mc Kinsey livre depuis bientôt deux ans ses réponses sur son site internet. Le virologue Bruno Canard les a découvertes dernièrement, en avouant sur Twitter sa « stupeur » face à des « rapports scolaires et sans vision », sachant que les analyses de Mc Kinsey ont par ailleurs été facturées des millions d’euros à notre gouvernement pour inspirer sa gestion de la crise sanitaire. « C’est tellement triste de voir que l’on commande ce type de rapport à des cabinets privés alors que je ne connais pas un scientifique qui aurait refusé de répondre à une telle demande de son ministre sans que cela ne coute un euro à l’État », déplore le directeur de recherche au CNRS, en relevant, par exemple, que Mc Kinsey annonçait à l’automne 2020 qu’ « il semble le plus probable que le point final épidémiologique soit atteint au second semestre 2021 ». Un pronostic très optimiste...
« Il n’y avait aucune raison de dire cela car on savait alors qu’il y aurait de nouveaux variants et que l’immunité provoquée par les coronavirus n’est pas longue, explique Bruno Canard. Mais tout en s’appuyant sur les travaux de scientifiques payés par l’État, comme l’a bien signalé l’épidémiologiste Mircea Sofonea, Mc Kinsey dit aux gouvernements ce qu’ils veulent entendre. » Avec une véritable foi dans l’efficacité de la vaccination exprimée avant même les résultats des essais cliniques réalisés par Pfizer et Moderna, compagnies où l’on trouve respectivement aux postes de vice-président et de président deux hommes qui furent des associés du cabinet Mc Kinsey. « Le travail de ce cabinet n’est pas rigoureux et peut même être inadmissible quand il affirme que la vaccination protège contre Omicron, alors que c’est évidemment faux, souligne Bruno Canard. Le vaccin protège contre les formes graves, mais tout le monde a bien vu qu’il n’empêchait pas la propagation du virus. »
Une ignorance de l’importance de la recherche
Le recours à des cabinets privés pour ce qui relève d’une analyse scientifique s’inscrit en fait dans une logique revenant à mettre plus ou moins sur la touche la recherche publique. Appliquée depuis une vingtaine d’années, elle a été confortée en 2020 par la loi de programmation visant à « redonner une croissance budgétaire à la recherche française » et à lui offrir « des perspectives pour renforcer sa place sur la scène internationale ». Censée accroître les moyens des chercheurs, « elle les a en fait réduits, rappelle Bruno Canard. Une vision élitiste et ultra-compétitive de recherche sur projet est mise en œuvre, mais sans nous donner les moyens structurels d’entrer dans la compétition et en ne permettant plus de recherche pérenne. Cela montre surtout une ignorance de l’importance de la recherche chez nos élites qui sont uniquement intéressées par l’innovation et la technologie. Elles ne voient pas la connexion et ne veulent pas de chercheurs mais des ingénieurs, considérant par ailleurs les fonctionnaires comme un cauchemar. Résultat, les jeunes chercheurs partent à l’étranger, et nos laboratoires n’ont plus les moyens de fonctionner. »
Cette approche de la recherche publique serait-elle à l’origine d’un fiasco pandémique au pays de Pasteur où l’on a pas été capable de créer un vaccin ou de trouver un médicament pour faire face au coronavirus ? « Cela a clairement joué car tout est lié, estime le virologue. Le support de la recherche fondamentale est essentiel, or elle a été sacrifiée. » On ajoutera qu’elle n’a pas non plus été entendue quand Etienne Decroly a découvert dès janvier 2020 au sein du laboratoire de Bruno Canard la présence dans le virus du Covid d’un site de clivage à la furine, cet alignement particulier d’acides aminés que l’on ne retrouvait jusqu’ici chez aucun autre coronavirus de type de SARS, mais dont on pouvait déjà savoir qu’il apporterait une très grande capacité d’infection et donc de nuisance au SARS-CoV-2. L’équipe de chercheurs marseillaise a été la première au monde à publier sur ce site furine en alertant sur sa dangerosité, sans susciter l’attention du ministère de la Santé qui n’a eu de cesse durant tout le mois de février 2020 de minimiser le risque de propagation du virus. « Au delà d’un manque de communication entre différents organismes tels que l’INSERM et le CNRS, on peut encore expliquer cela par une vision du médical qui ne pense pas à intégrer la recherche fondamentale, confie Bruno Canard. Cette recherche sabordée conduit pourtant très directement à ne pas pouvoir proposer de molécule aux médecins, mais on fait confiance pour cela aux laboratoires pharmaceutiques, à tort. »
Aucune évaluation fiable des traitements
Si l’on regarde du côté de cette industrie pharmaceutique, on retombe vite sur le cabinet Mc Kinsey qui revendique d’accompagner ses plus grands acteurs pour « les aider à anticiper les évolutions du secteur et développer les compétences qui garantiront leur performance durable et leur croissance rentable », comme le relève le pharmacologue Bernard Bégaud dans un article intitulé « A l’ombre des conflits d’intérêt ». Il y note aussi que Mc Kinsey entretient avec le plus haut niveau de l’État une collaboration en lien direct avec les intérêts de ses clients privés dès lors qu’il s’agit de conseiller l’utilisation de vaccins ou de médicaments proposés par ces derniers. Ce qui m’amène à la problématique de l’évaluation des produits utilisés pour traiter le Covid, donc des essais cliniques démontrant leur utilité. Et là encore on a fait confiance au privé. « Depuis des années, et plus encore avec Emmanuel Macron, la France a tourné le dos à l’évaluation publique », déplore Bernard Bégaud qui a longtemps présidé le groupe d’experts Essais cliniques à l’Agence du médicament et dirige aujourd’hui le comité scientifique d’EPI-PHARE dont la mission est de coordonner des études de pharmaco-épidémiologie pour éclairer les pouvoirs publics.
« Entre la Direction générale de la santé, Santé Publique France ou EPI-PHARE, il y a en France des milliers de personnes disponibles pour mener des évaluations indépendantes de haute qualité, mais on ne les a pas ou peu sollicitées pour la crise du Covid, me fait remarquer le pharmacologue. Il aurait pourtant été précieux de pouvoir évaluer l’ensemble des stratégies envisageables, sauf qu’on a pris l’habitude de déléguer tout cela à des structures privées ou à l’industrie. » Une industrie qui agit selon ses intérêts en misant sur de nouveaux produits brevetés. Pourtant d’autres pistes ont été soulevées comme l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine, l’ivermectine, la fluvoxamine ou la vitamine D. « Il est scandaleux que l’on n’ait pas mis en place immédiatement une structure de coordination qui aurait identifié ces pistes et aurait pu en évaluer correctement au moins dix ou quinze, s’indigne Bernard Bégaud. Rien n’a été fait et on ne dispose aujourd’hui d’aucune étude de taille suffisante effectuée dans de bonnes conditions sur toutes ces possibilités de traitement. Certains peuvent donc dire qu’ils ne servent à rien, et d’autres qu’ils ont sauvé des milliers de vie, mais en réalité on n’en sait rien faute de données fiables. C’est d’autant plus ahurissant que l’on a en France l’INSERM, un institut dédié à la recherche médicale. »
Un champ de ruine
Selon ce pharmacologue qui a vu évoluer le système de l’intérieur, on fait aujourd’hui face à « de l’incompétence, de la suffisance et une idéologie ultra-libérale qui considère que la recherche publique est lente et mauvaise. Une évaluation publique peut pourtant aller très vite et répondre à certaines questions en une semaine. Il y a de quoi être écœuré car rien n’a été demandé aux gens les plus compétents, et on est passé à côté de l’occasion de réconcilier la recherche bio-médicale, les responsables politiques et la population. On arrive au contraire au résultat inverse, avec un vrai dépôt de bilan public symbolisé par l’absence totale d’étude clinique française publiée dans une grande revue. Une faillite inouïe, et très grave. » Un échec complet dont on n’a pourtant guère eu d’échos, comme s’il fallait se garder de contester une politique du Covid largement perçue comme inévitable.
En janvier dernier, le Professeur François Alla a quant à lui démissionné du Haut-Conseil de la Santé Publique (HCSP) où il occupait le poste de vice-président de la commission « maladies chroniques ». Il a expliqué son geste en déclarant que « les experts du HCSP et les agences (HAS, Santé publique France, etc.) n’ont pas joué leur rôle durant la crise sanitaire ». Car alors que ces structures devraient normalement aider à faire des choix, y compris quand ceux-ci ne vont pas dans le sens attendu par les décideurs, François Alla a vu les dits experts livrer un simple « service après-vente de décisions qui étaient déjà prises en amont ». Et comme pour mieux se démarquer d’une expertise scientifique devenu l’alibi de politiques qui suivent plutôt les conseils de Mc Kinsey, le professeur en santé publique a publié fin mars avec la philosophe Barbara Stiegler un autre bilan plus que sévère de la crise du Covid :
La santé néo-libéralisée
Ce petit livre s’attaque à un « récit fallacieux » qui s’est imposé en opposant deux camps. D’un côté les défenseurs d’une santé publique nécessitant une limitation drastique des libertés fondamentales, présentés comme le camp de la solidarité et du bien public, et de l’autre les partisans de ces libertés fondamentales entravées, catalogués comme égoïstes voire d’extrême droite ou complotistes. Mais alors que chacun a été comme sommé de choisir son camp, les deux auteurs, indiquant avoir dès le début « pris le parti de la santé publique » sur laquelle ils travaillent depuis des années, considèrent que cette opposition entre santé et liberté n’a « rigoureusement aucun sens ». Et en revenant sur un demi-siècle de politique de santé publique, ils constatent combien ont été balayés les principes de la charte d’Ottawa qui en 1978 visait à « reconnaître l’autonomie des populations, des communautés et des collectifs comme un levier fondamental en santé ». Avec dorénavant comme nouvel acteur du système de santé néo-libéralisé un individu se devant de suivre les directives, qu’il soit patient ou soignant, et un gouvernement qui court-circuite « toutes les institutions officielles de santé publique au profit de cabinets de consultants » pour produire une nouvelle « fabrique du consentement ».
« Ici, la santé n’est jamais appréhendée comme un fait social », analysent Alla et Stiegler, et au terme d’un « processus d’inversion des responsabilités, il semble désormais normal d’exclure du système de santé ceux qui refusent de donner leur consentement » alors que « le débordement d’un système hospitalier amputé de 100 000 lits en vingt-cinq ans s’impose comme une menace normale, rendant légitimes les mesures d’enfermement et d’isolement ». On outrepasse allègrement les résultats de la vaccination en serinant un discours mensonger (« tous vaccinés, tous protégés ») et en stigmatisant les réfractaires tels des dangers publics qui empêcheraient d’atteindre une supposée immunité de groupe. Dans une logique du « tout ou rien », la solution vaccinale doit s’appliquer à tous, sans aucune considération pour les interrogations sur son rapport bénéfice-risque renvoyées au statut de fake news, mais la France se retrouve avec « la plus mauvaise couverture vaccinale en Europe de l’Ouest chez les personnes âgées », comme le fit remarquer le député François Ruffin devant l’Assemblée nationale lors du débat sur un pass sanitaire qui allait instaurer une obligation vaccinale de fait pour les enfants de 12 ans désireux d’aller au cinéma ou jouer au foot. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le champ de ruine dont ce livre nous offre une « description panoramique » sans même essayer d’en tirer une conclusion, espérant seulement aider les consciences à sortir de la « sidération » pour se remettre en mouvement. Certains objecteront que l’on n’a pas été si mal lotis à la vue du parcage en camps de malades pour la plupart asymptomatiques dans la ville de Shanghaï confinée à la sauce chinoise, ou que dans cette pandémie frappant le monde entier la France a plus ou moins fait comme les autres, mais ce dépôt de bilan public qui n’a absolument pas été considéré comme un sujet lors de la présidentielle devrait toutefois poser question.
Brice Perrier