« Sur le plan de la crise sanitaire, j’attends avant tout un débat dédié. » Concentré sur les sujets de santé, Mircea Sofonea, épidémiologiste à l’Université de Montpellier vit cette présidentielle en désabusé de la politique. Le chercheur de 31 ans s’est imposé comme l’un des commentateurs sérieux de la crise du Covid-19. Régulièrement interrogé en presse écrite, mais aussi en télévision : il est passé 150 fois sur les plateaux en deux ans. De quoi se familiariser avec son phrasé précis et ses grosses lunettes.
Depuis avril 2020, Libération échange régulièrement avec lui. Par SMS, au téléphone, ou par mail. Des messages parfois envoyés au cœur de la nuit. Son équipe propose des modélisations sur l’avancée de l’épidémie. Il est donc aux premières loges pour mesurer l’adéquation des mesures à la réalité de la circulation épidémique, répondre aux sollicitations médiatiques et, avant tout, comprendre les caractéristiques du virus Sars-Cov-2. Pas banal. « Je l’ai vécu comme une période hors du temps, exceptionnelle pour tout biologiste. Au début, je travaillais jusqu’à 100 heures par semaine. Le jour et la nuit se confondaient. J’ai vraiment senti que la recherche publique n’est pas un idéal déconnecté mais qu’elle a du sens pour la société. »
« Les oppositions se sont très rarement emparées du Covid-19 »
Maintenant que la guerre en Ukraine a pris le pas sur le Covid dans les médias, il est temps de se poser des questions de long terme. « Les sollicitations médiatiques sont moins fréquentes et portent davantage sur des questions de fond. C’est plus intéressant », juge le chercheur. Il regrette que les candidats à l’Elysée ne se positionnent absolument pas sur la manière de gérer le Covid-19 sur le temps long. « Avant de parler de ce que j’attends du président, j’espère surtout une confrontation des programmes en matière de santé publique. En absence de débats, la personne élue aura carte blanche. » Le scientifique est méthodique. On débat, on argumente, ensuite on décide. Malheureusement, il constate que « les oppositions se sont très rarement emparées du Covid-19, certainement parce qu’elles n’auraient pas fait mieux, voire elles auraient fait pire, vues certaines prises de position. Elles ne se sont pas senties dans leur élément ».
Les mots sont pesés. Il semble toujours en contrôle, comme un politique, même quand on sent poindre l’agacement dans la voix. Mircea Sofonea ne fait pas dans l’anathème. Question de crédibilité scientifique : « J’essaie de m’abstenir de critiques politiques. Sinon, mon propos universitaire pourrait être questionné quant à son intégrité. »
Même si on sort du sujet du Covid-19, Mircea Sofonea ne se retrouve pas dans l’offre politique actuelle. « Aucun candidat n’a fait, selon moi, preuve de lucidité et d’engagement suffisant sur les sujets qui me tiennent à cœur. Je n’ai pas fait mon choix, et je ne sais pas si j’en ferai un. Je me raccrocherai à l’idée de pouvoir agir à mon échelle », regrette-t-il.
Santé, recherche et éducation
A l’ère de la punchline reine, le trentenaire apparaît en décalage. « Je n’apprécie pas du tout la communication en politique, c’est la réduction du propos qui prive l’auditoire de réflexion. Les idées qui ont du sens doivent être développées. Vouloir les résumer à des slogans est soit naïf soit fallacieux. »
Il décline son programme idéal en trois thèmes pour trois temporalités : une politique de santé pour le court terme, une politique de recherche pour le moyen terme et une politique sur l’éducation pour le long terme. Et une même méthode sur chacun des sujets : des états généraux et des consultations régulières et massives animées par la société civile.
Un prisme qui penche clairement à gauche. On n’est pas très loin du RIC cher aux gilets jaunes… De fait, l’extrême droite fait fausse route pour celui qui se qualifie de « biologiste et citoyen humaniste ». « J’enseigne la génétique des populations, il est illusoire de croire que l’on puisse arrêter les mélanges entre les peuples », pose-t-il. L’universitaire n’est jamais très loin du citoyen. Il ne supporte la « convocation sélective des disciplines historiques et biologiques en politique, comme lors des débats sur l’IVG, la PMA et le mariage pour tous ».
Guerre en Ukraine, réforme du bac et McKinsey
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a jeté le discrédit sur une partie de la classe politique. Mircea Sofonea, né en Roumanie, conserve des liens très forts avec son pays d’origine, où il se rend chaque année et regrette les « intérêts opportunistes » que portent les élus français à l’Europe de l’Est : « La confiance intéressée ou les circonstances atténuantes accordées à Poutine de certains est un argument largement défavorable à mes yeux » pour le premier tour.
Après avoir grandi à Perpignan, une prépa à Paris et l’Ecole normale supérieure, l’enseignant-chercheur, incarne cette France attachée à la notion de service public. L’affaire McKinsey [1] lui a fait du mal. « Quand on voit la confiance faite aux cabinets de conseil, quel mépris pour la recherche publique. Surtout quand on sait que ces cabinets nous ont envoyé des messages pour améliorer leurs modèles sur l’épidémie car ils avaient repris les nôtres ! » Autre point de désaccord, le sort réservé aux matières scientifiques dans la réforme du baccalauréat [2], même si le gouvernement a annoncé vouloir revenir en arrière sur le sujet. « On refuse d’admettre que les mathématiques, comme la biologie, font partie d’une culture commune », regrette le scientifique.
Côté politique, Mircea Sofonea se risque quand même à souhaiter une réforme du mode de scrutin autorisant le vote distribué (ou chaque électeur s’exprime sur chaque candidat) et prenant en compte le vote blanc : « Cette bascule permettrait de redonner confiance en la politique française à des gens qui l’ont un peu perdu, comme moi. » On prend le pari qu’il ne sera pas entendu.
Olivier Monod