Le quinquennat à venir sera décisif pour mettre fin à l’épidémie de VIH/sida et atteindre l’objectif fixé par le gouvernement sortant : 2030 sans sida. Nous, militants, chercheurs, médecins, infirmiers, psychologues, travailleurs sociaux et cliniciens de la lutte contre le VIH/sida, exhortons le chef de l’Etat à proposer une politique à la hauteur de l’enjeu qu’il s’est fixé et à appliquer les dix mesures politiques indispensables pour parvenir à cet objectif. Car un objectif ne signifie rien si l’on ne se donne pas les moyens de sa réalisation.
Répétons-le aussi fort qu’il le faudra : l’épidémie de VIH/sida n’est pas finie. En France, on estime, selon les derniers chiffres disponibles, à cent soixante-douze mille les personnes vivant avec le VIH. Parmi elles, vingt-quatre mille l’ignorent. Un chiffre qui augmentera probablement après plus deux ans de crise sanitaire qui ont entraîné une baisse de 14 % du recours au dépistage et qui ont représenté un frein dans l’implémentation de la PrEP [prophylaxie pré-exposition (de l’anglais pre-exposure prophylaxis), pilule préventive « antisida »], traitement préventif qui permet de se protéger du VIH.
Plus de six mille deux cents nouvelles infections par le VIH ont été découvertes en France en 2019 selon Santé Publique France touchant le plus souvent des personnes discriminées par les conditions sociales dans lesquelles elles vivent ou stigmatisées par le regard que la société pose sur elles : personnes en situation d’exil, personnes trans, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, consommateurs de produits psychoactifs, personnes travailleurs et travailleuses du sexe, ou encore personnes détenues.
L’ambition a jusqu’ici été insuffisante. Ces cinq dernières années, elle est même trop souvent allée à l’encontre de l’objectif que nous partageons. L’exécutif a mis en place un durcissement des conditions d’arrivée et d’accueil des personnes migrantes. L’hôpital public a limité son accès aux plus démunis, en plus de n’avoir su préserver ses acteurs. La société civile a été exclue des prises de décision en santé, en particulier lors de la crise due au Covid-19.
Un accès universel à la santé
Nous disposons de huit courtes années jusqu’en 2030 pour rectifier le tir, préserver les populations face à ce virus et stopper une épidémie qui continue, chaque année, à coûter des milliers de vies à travers le monde. Monsieur Macron, vous pourriez devenir le président de la fin du sida. Pour cela, il faut agir dès maintenant.
Huit ans, c’est court. Mais c’est possible à condition que l’on nous en donne les moyens. Aujourd’hui, tous les outils pour mettre fin à l’épidémie existent. Contribuez, avec nous, à les faire connaître et adoptez les stratégies de prévention qui permettront de mettre fin à l’épidémie. Financez la recherche clinique et interventionnelle. En bref, travaillez avec nous sur les dix mesures que nous vous avons transmises en avril 2022.
Mettez la santé au centre des politiques publiques. Adoptez une politique de protection sociale et d’emploi qui profite à toutes et à tous, tout au long de l’existence. Assurez un accès universel à la santé et aux soins. Accueillez dignement les personnes fuyant les persécutions ou la misère. Favorisez l’équité territoriale et un environnement salubre. Assurez l’éducation pour tous dès le plus jeune âge, y compris en matière de santé sexuelle et d’accès au numérique.
Développez des programmes de recherche multidisciplinaires incluant les populations concernées dès leur conception. Promouvez la santé en tant que bien public et renforcez la lutte contre le VIH au niveau mondial. Travaillez avec et pour les populations concernées, y compris les plus pauvres et les plus discriminées. Défendez les droits de chacun, refusez la discrimination et la stigmatisation.
Ecoutez-nous
Rappelez-vous que ce sont ces discriminations et stigmatisations, qu’elles soient sociales, ethniques, religieuses, liées à l’orientation sexuelle ou au genre, qui freinent l’accès aux soins et font aujourd’hui le jeu de l’épidémie. Il vous faudra, comme nous le faisons depuis des décennies, lutter concrètement contre ces inégalités, à la fois causes et conséquences de l’infection par le VIH.
Cette lutte passera nécessairement par un renforcement des droits humains et la protection de toutes les populations exposées à un risque de contamination. Ces points ont cruellement manqué lors du dernier quinquennat. Ces manquements nous obligent aujourd’hui à une vigilance particulière.
Nos yeux sont rivés sur vos choix et sur la main que vous devez nous tendre dès aujourd’hui. L’Etat ne nous a jusqu’ici que trop peu soutenus dans nos batailles. Pour éviter les nouvelles contaminations et accompagner les personnes porteuses du VIH, luttons ensemble. Faites valoir le pragmatisme dont vous êtes si fier : écoutez-nous. Donnez du crédit aux personnes concernées, car qui peut se prétendre mieux placé qu’elles pour identifier leurs propres besoins ?
Nous saurons nous faire entendre et ne lâcherons rien dans la défense des valeurs qui nous animent : le refus des discriminations et stigmatisations, les droits des populations, une politique de santé et des droits sociaux qui profitent à tous.
Premiers signataires : Bertrand Audoin, vice-président de The International Association of Providers of AIDS Care (IAPAC), en charge des partenariats stratégiques ; Dominique Costagliola, membre de l’Académie des sciences, directrice de recherche émérite Inserm ; François Dabis, président du Corevih Nouvelle-Aquitaine, professeur de santé publique à l’université de Bordeaux (Isped) et au CHU de Bordeaux ; Pr Constance Delaugerre, cheffe de service de virologie, hôpital Saint-Louis (AP-HP), Université Paris-Cité ; Olivier Epaulard, président du Corevih arc alpin, infectiologue au CHU Grenoble-Alpes ; Pr Christine Katlama, présidente de l’ Alliance francophone des acteurs de santé contre le VIH et les infections virales chroniques (Afravih) ; Karine Lacombe, professeur de médecine à Sorbonne-Université, cheffe du service de maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris ; Guy Molinier, responsable action plaidoyer Act Up Sud-Ouest ; Pr Gilles Pialoux, rédacteur en chef de Vih.org et vice-président de la Société française de lutte contre le sida ; Pascal Pugliese, président de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) ; Dr Carine Rolland, présidente de Médecins du monde ; Pr Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique ; Camille Spire, présidente d’Aides ; Florence Thune, directrice de Sidaction et TRT-5 CHV, groupe interassociatif traitement et recherche thérapeutique.
Liste complète : https://docs.google.com/document/d/1BXBdVl-x6DwEy9XYLZNack5ZeUiYAjCkcs7E_0AeP_M/edit?usp=sharing