Les talibans n’ont pas changé, malgré leurs proclamations. Neuf mois après le départ de l’armée nord-américaine et leur retour au pouvoir en Afghanistan, ils imposent à nouveau aux femmes le port du voile intégral, de préférence la burqa, lorsqu’elles sont dans un lieu public, dans l’ensemble du pays.
Cette décision a été officialisée samedi 7 mai à Kaboul devant la presse par le chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, qui a expliqué que porter « un tchadri [autre nom de la burqa – ndlr], c’est traditionnel et respectueux ».
Les talibans renouent ainsi avec une politique de restriction ultra-sévère des droits des femmes. Pour beaucoup d’Afghanes, la burqa, voile intégral grillagé au niveau des yeux, est le symbole de leur oppression dans ce pays, même si elle a toujours été portée dans certaines régions reculées de ce pays musulman très conservateur.
« Les femmes qui ne sont ni trop jeunes ni trop vieilles devraient voiler leur visage quand elles font face à un homme qui n’est pas membre de leur famille », cela pour éviter la provocation, précise le décret officialisé par Hibatullah Akhundzada. Et si elles n’ont pas de tâche importante à effectuer à l’extérieur, il est « mieux pour elles de rester à la maison ».
Le décret liste aussi les punitions auxquelles sont exposés les chefs de famille qui ne feraient pas respecter le port de la burqa. Les deux premières infractions seront sanctionnées d’un simple avertissement. À la troisième, ils se verront infliger trois jours de prison, et à la quatrième, ils seront traduits en justice. Par ailleurs, toute employée gouvernementale ne portant pas le voile intégral sera immédiatement licenciée.
Un retour de 20 ans en arrière
Les talibans avaient déjà exercé le pouvoir en Afghanistan entre 1996 et 2001. Partisans d’une interprétation ultra-rigoriste de la charia, la loi islamique, ils s’étaient singularisés par un régime extrêmement coercitif pour les femmes et par l’interdiction de toute activité publique de loisir, la musique et les jeux, par exemple.
Renversés par une attaque militaire menée par les États-Unis en septembre-octobre 2001, ils sont peu à peu redevenus une guérilla puissante et ont conquis Kaboul l’été dernier.
Leur retour au pouvoir avait suscité la panique dans une partie de la population. Pendant vingt ans, sous l’impulsion des Nations unies et des pays occidentaux, de nombreuses réformes sociales et sociétales avaient en effet été menées. L’éducation des filles avait été fortement soutenue et le travail des femmes se développait.
Après leur conquête de Kaboul, les talibans affirmaient avoir changé mais leurs décisions successives montrent qu’ils défendent un mode de vie reléguant totalement les femmes dans la sphère privée. Depuis la mi-août, le redouté ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice a publié plusieurs recommandations sur la manière dont les femmes doivent se vêtir.
Les talibans avaient jusqu’ici exigé que les femmes portent au minimum un hijab, un foulard couvrant la tête mais laissant apparaître le visage. Ils recommandaient néanmoins chaudement le port de la burqa, qu’ils avaient déjà imposé lors de leur premier passage au pouvoir entre 1996 et 2001.
Les femmes sont désormais largement exclues des emplois publics et il leur est interdit de voyager à l’étranger ou sur une longue distance dans le pays sans être accompagnées d’un membre masculin de leur famille. En mars 2022, les talibans ont aussi fait refermer aux filles l’accès aux lycées et collèges, quelques heures à peine après leur réouverture, annoncée de longue date.
Ils ont en outre imposé la séparation des femmes et des hommes dans les parcs publics de Kaboul, avec jours de visite imposés pour chaque sexe. Et ils ont interdit aux femmes de passer le permis de conduire.
Des mouvements de protestation ont été férocement réprimés. Nombre de militantes ont été arrêtées et détenues parfois pendant plusieurs semaines.
Les États-Unis ont réagi à ces nouvelles restrictions des droits des femmes en Afghanistan, par la voix d’un porte-parole du département d’État américain. « Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que les droits des femmes et filles afghanes, et les progrès accomplis dans ce domaine au cours des 20 dernières années, soient rognés », a-t-il déclaré.
Washington et ses alliés sont « profondément troublés par les récentes mesures prises par les talibans contre les femmes et les filles, dont les restrictions concernant l’éducation et les voyages », a-t-il ajouté.
Les Nations unies ont également condamné cette décision. Elle « va à l’encontre de nombreuses assurances concernant la protection des droits humains pour tous les Afghans » qui ont été données ces dernières années à la communauté internationale par des représentants des talibans, insiste dans un communiqué la mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan.
Le régime des talibans reste affaibli dans le pays. De nombreux attentats sont perpétrés, notamment par le groupe terroriste Daech. Les pays occidentaux, à commencer par les États-Unis, gardent leurs distances vis-à-vis du pouvoir taliban et maintiennent le gel de milliards de dollars et d’euros d’avoirs afghans. Le pays dépend très largement de l’aide humanitaire.
La rédaction de Mediapart
Retrouvez ici notre série de reportages en Afghanistan, réalisés en janvier 2022 :
https://www.mediapart.fr/journal/dossier/international/travers-l-afghanistan-six-mois-apres-les-talibans