L’avenir de l’automobile s’assombrit. La situation actuelle n’est déjà guère brillante et elle devrait encore empirer dans quelques années, au vu des évolutions majeures en cours.
La plupart des politiques publiques actuelles tendent à prolonger l’usage dominant de la voiture dans notre mobilité, au nom de la sauvegarde d’un secteur, des emplois qu’il génère et de la préservation de nos habitudes de déplacement souvent contraintes par un urbanisme diffus. Des dizaines de milliards d’euros y sont consacrés : soutien au secteur pendant la pandémie, subventions à l’achat de voitures électriques et à l’installation de bornes de recharge, investissements dans la filière hydrogène et dans la voiture autonome, remise sur le coût des carburants, relance des projets routiers…
Pourtant, ces politiques mènent à une impasse. La voiture connaît d’abord une hausse sensible de son prix : + 15 % depuis trois ans, + 30 % depuis dix ans (selon L’Argus). Des facteurs conjoncturels bien connus expliquent cette dérive : accroissement du coût des matières premières, des composants électroniques, de l’énergie et du transport maritime en lien avec la pandémie et la guerre en Ukraine.
Un fantastique gâchis
Des facteurs structurels moins médiatisés sont aussi en cause : renforcement des normes écologiques et sécuritaires, exigences accrues des consommateurs en matière de design, de confort, d’équipements et d’agrément de conduite, stimulation de ces désirs par les constructeurs à coups de publicité et de liste d’options, afin de monter en gamme et d’accroître les marges. Ainsi, les SUV (sport utility vehicles, « véhicules utilitaires à caractère sportif ») – 46 % des ventes depuis janvier 2022, selon AAA Data – ne sont pas plus coûteux à construire que les berlines, mais les clients acceptent de les acheter plus cher.
Jusqu’à ces dernières années, la hausse du pouvoir d’achat, les ventes à crédit, les formules de location, le développement des flottes d’entreprise permettaient d’écouler ces véhicules de plus en plus coûteux. Mais ce temps est révolu. Le pouvoir d’achat est en berne, l’inflation érode les revenus, les entreprises cherchent à réduire leur flotte, seuls les ménages les plus riches peuvent encore s’acheter des voitures neuves, et même le marché de l’occasion est désormais tendu.
Plus grave, les matières premières s’épuisent et leur coût aura inévitablement tendance à s’élever, car la demande en métaux et en ressources énergétiques s’accroît, alors que les gisements miniers et d’hydrocarbures les plus anciens et les plus rentables ferment. Quelles matières manqueront en premier ? Dans quelle mesure des solutions de substitution ou l’amélioration du recyclage parviendront-elles à ralentir cette évolution ?
Nul ne le sait, mais la tendance ne s’inversera pas. Or, une voiture représente un fantastique gâchis de matériaux : elle transporte à 92 % son propre poids et non des personnes ou des charges : 1 250 kg de poids à vide pour seulement 105 kg de charge utile en moyenne (selon nos propres calculs).
Des solutions plus sobres
Même avec quatre personnes par véhicule, le taux de poids mort est encore de 81 %. Pire, l’« empreinte matières » d’une automobile est d’environ 10 tonnes, car il ne faut pas seulement des matériaux pour fabriquer la voiture elle-même, mais aussi pour construire les bâtiments et les équipements nécessaires à l’extraction des matières premières, à l’usinage des pièces, à leur assemblage, au transport des composants et des produits à travers le monde (source : Eurostat, Bio Intelligence Service, Wuppertal Institut). Tout cela, alors même que le parc automobile mondial devrait doubler d’ici à 2050, nous promet-on (2 à 3 milliards de véhicules attendus, selon les sources).
Du côté des émissions de gaz à effet de serre, le tableau n’est pas plus engageant. Certes, les véhicules électriques permettent, dans le meilleur des cas (quand le mix électrique est assez décarboné, comme en France), une division par trois de ces émissions sur tout leur cycle de vie (fabrication, usage et fin de vie), selon la Fondation pour la nature et l’homme.
Si le gain paraît substantiel, l’essor de ces véhicules et le renouvellement du parc sont trop lents à court terme. Et même si tout le parc devenait électrique en 2050, on serait encore loin d’une mobilité suffisamment décarbonée, en tenant compte de toutes les émissions sur l’ensemble du cycle de vie. Des solutions plus sobres et moins technologiques seront nécessaires.
Speedelecs et vélos spéciaux
Le rôle des pouvoirs publics est de dire la vérité aux Français : même électrique, la voiture n’est pas un véhicule durable et ne résout pas les problèmes d’occupation d’espace, d’accidentalité et de sédentarité.
Bien sûr, il ne s’agit pas de se passer de voiture du jour au lendemain, mais de s’engager résolument dans une politique de réduction progressive de son usage, d’accompagner dans cette transition les personnes les plus dépendantes de l’automobile et d’orienter sans tarder les dépenses publiques vers le développement industriel de véhicules bien plus légers.
Entre le vélo classique et la voiture, il existe en effet de nombreux « véhicules intermédiaires », trop ignorés, beaucoup moins lourds, qui pourraient assurer les trois quarts des déplacements actuels réalisés en voiture et réduire de presque moitié les émissions de gaz à effet de serre du transport individuel.
Concrètement, il s’agit des vélos à assistance électrique, speedelecs et vélos spéciaux (pliants, cargos, tandems, tricycles, handicycles, couchés, vélomobiles, vélos-voitures…), des deux-roues, tricycles ou quadricycles motorisés avec habitacle, des véhicules ultralégers (moins de 100 kg), des voiturettes et des minivoitures. L’Agence de la transition écologique (Ademe) l’a compris en lançant récemment son « Extrême Défi » pour aider une large communauté d’acteurs publics et privés à se connaître, se comprendre et travailler ensemble à concevoir les véhicules de demain.
Les signataires de cette tribune sont : Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports ; Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste, université de Lille ; Hélène Jacquemin et Thomas Lesay, association Innovation véhicules doux ; Francisco Luciano, ingénieur et urbaniste ; Dr Jean-Luc Saladin, association Ecologie pour Le Havre ; Arnaud Sivert, ingénieur en génie électrique, université de Picardie. Ensemble, ils ont créé le Groupe d’étude et de recherche sur les véhicules intermédiaires (Gervi).