« Et on est queer ! et fier•es ! et révolutionnaires ! »
La Belgique est souvent bien classée parmi les pays « LGBT-friendly », quand on regarde les droits tels qu’ils sont énoncés sur le papier. Les réalités sociales et économiques donnent un autre son de cloche. Aujourd’hui encore, les jeunes LGBT+ ont peur de faire leur coming-out, et risquent de se faire jeter dehors quand illes le font ; à Bruxelles, les refuges dédiés reçoivent une demande par semaine, pour huit places disponibles. Être queer expose à une précarité économique accrue, et à des souffrances psychologiques : 10% des lesbiennes, gays et bis, et même 33,5% des trans, ont déjà fait une tentative de suicide dans leur vie [2]. Nos droits ne sont pas acquis, et nos luttes sont éminemment politiques : en affirmant nos existences, nous combattons un modèle solidement ancré dans le système capitaliste, celui de la famille nucléaire hétérosexuelle patriarcale, où la femme prend en charge les tâches ménagères et éduque les enfants, pour que l’homme puisse se dédier entièrement au service de son patron et de ses actionnaires. Nous, personnes queer, nous sommes la preuve vivante que ce système n’a rien de naturel, ni de définitif. Nos désirs font désordre, et c’est une bonne nouvelle.
La première Pride était une émeute, en réaction aux violences commises par la police contre les personnes queer et racisées. Aujourd’hui, elle a pris la tournure d’une simple parade, à laquelle peuvent se pavaner impunément les flics et les partis de droite. Alors, comment y ramener un peu de combativité ? Samedi, nous avons appliqué une méthode qui a fait ses preuves : il vous suffit d’un bon groupe de militant•es soudé•es et organisé•es, d’un mégaphone, de quelques slogans bien sentis, d’un tract qui clarifie vos positions, d’un peu de souffle et de cordes vocales bien échauffées. Et en peu de temps, vous vous retrouvez avec un bloc d’une petite centaine de jeunes survolté•es, qui reprennent vos slogans et proposent les leurs. Le lendemain, vous n’avez plus beaucoup de voix, mais ça vaut le coup : vous avez parlé des oppressions que subissent les personnes queer, mais aussi, à travers elle, du capitalisme, de la police, de la lutte des classes, de la révolution ; et dans le même temps, vous avez mis une ambiance de folie. Et reconnaissons-le, sans tout ça, à avancer à deux kilomètres heures pour s’ambiancer seulement sur les baffles qu’on croise tous les 500 mètres, on se serait quand même drôlement fait chier.
La rage est là. Les milliers de jeunes et de moins jeunes qui viennent marcher, danser et crier à la Pride veulent célébrer qui illes sont, la tête haute, mais aussi, pour beaucoup, aller plus loin en exprimant une colère, en menant une lutte. La Pride d’aujourd’hui est ce qu’elle est, mais le désir de combativité n’est pas absent, loin de là. Vers où allons-nous, alors ? vers une Pride repolitisée, l’année prochaine ? Pourquoi pas : la Pride de Paris, par exemple, a fait un net virage l’année dernière, sous la pression des collectifs les plus combatifs, en choisissant pour la même occurrence de partir d’une banlieue populaire, de refuser les chars des marques en quête de pinkwashing, et de faire comprendre au FLAG, collectif de policiers gays (qui commémorait les émeutes du Stonewall en tirant sur les gens avec des pistolets à eau…), qu’il n’était plus le bienvenu. On peut aller vers ça, ou carrément vers un mouvement LGBT+ de masses, qui n’attendrait plus les Prides pour s’organiser et porter ses revendications. Cette histoire-là reste à écrire.
Mais nous en avons besoin, et nous en avons la force. Inutile de se mentir : il est un peu dur, après un samedi comme celui-là (et les quelques prolongations qui n’ont pas manqué, confessons-le, d’emmener les Jeunes Anticapitalistes jusqu’aux aurores), de retourner à la vie normale, celle où on cache son orientation sexuelle sur son lieu d’étude et où on évite de se tenir la main dans la rue [3]. Parce que pour un bref instant, nous avons été immortel•les.
La Pride, c’est aussi ce moment où nous sommes des milliers dans la rue et où nous n’avons plus peur ni des regards, ni des coups. C’est le moment où nous savons que ni les flics ni les fachos ne nous attaqueront, parce que nous sommes plus nombreux•ses qu’eux et plus fort•es. On peut même lancer des slogans provocateurs en passant à côté d’un combi et de quelques policiers en uniforme, comme on peut s’embrasser avec fougue au beau milieu de la rue. Au fond, tout n’est que rapport de forces : et quand on met plusieurs milliers de personnes dans la rue, même dans la marche la plus dépolitisée qui soit, la rue est à nous. Alors, quand on sent ça, qu’on se découvre ce pouvoir d’imposer nos volontés et d’être qui nous sommes, tout devient possible. Vivement que ce pouvoir se fasse ressentir tous les autres jours de l’année.
David Lhotellier