Pour bien comprendre comment l’avenir est féministe, il nous faut d’abord comprendre les crises que nous vivons actuellement. C’est dans ce cadre que Révolution écosocialiste veut apporter une réflexion sur la conjoncture actuelle en portant une attention particulière à la situation des femmes.
L’avenir est féministe
Annoncer que l’avenir est féministe signifie qu’il faut abolir la domination patriarcale pour que les femmes trouvent dans les sociétés la place de leur plein potentiel collectif et individuel. Mais les femmes ne sont pas déterminées seulement par leur genre : elles font aussi partie de communautés sujettes à d’autres systèmes de domination. Comment penser que les luttes antipatriarcales vont faire accéder les femmes à l’autonomie et libérer leur plein potentiel, si par ailleurs elles sont entravées en tant que Noires ou autochtones par le racisme et le colonialisme ? Comment est-ce possible si elles sont écrasées par l’exploitation économique du capitalisme néo-libéral, exclues par l’âgisme et le capacitisme, persécutées en vertu des critères hétérocissexistes ? Pour changer la situation des femmes, il faut donc un féminisme intersectionnel.
Les femmes, partout et depuis toujours, ont été des actrices sociales de première importance. Elles entretiennent les liens familiaux ainsi que des réseaux de sociabilité plus vastes dans leur communauté, y compris dans l’économie informelle. Pourtant, elles se sont vues écartées de la vie politique. Mais, la politique ne se résume pas aux institutions formelles et c’est en-dehors des institutions formelles que des femmes ont commencé à se mêler de politique. En effet, ébranler des traditions qui excluent et oppriment, faire changer des législations qui cautionnent des conditions de vie injustes et indignes, c’est faire de la politique, quels que soient les chemins employés et la reconnaissance formelle qui peut s’ensuivre.
Aujourd’hui plus que jamais, les femmes sont des sujets politiques. Sorties des espaces où on les confinait, elles font leur place dans tous les lieux où se prennent les décisions influençant la vie collective ; elles renouvellent les rapports de genre ; elles manifestent nombreuses sur la place publique contre les guerres et les gouvernements corrompus et elles créent des associations pour la paix ; elles luttent collectivement contre l’exploitation de la planète et les violences infligées à leur intégrité physique et psychologique ; elles s’allient pour renouveler les façons de mettre les enfants au monde et d’en prendre soin, d’enseigner, de soigner, et pour développer des services publics assurant des conditions de vie dignes à toutes et tous. Toutes ces femmes dessinent un avenir féministe.
L’avenir est écoféministe
Les luttes des femmes contre les industries extractivistes ont montré les liens entre les luttes écologistes et les luttes féministes : entre l’exploitation du territoire et l’exploitation du corps et du travail des femmes.
Depuis mars 2020, nous vivons une grave crise sanitaire que rien n’aurait pu prédire. La détérioration continue et toujours plus rapide de notre planète depuis le début de l’industrialisation permet de mieux comprendre cette crise sanitaire. L’accélération de la déforestation pour s’accaparer de terres cultivables, d’essences d’arbres ou de ressources minérales met à mal la planète, sa flore et sa faune, de même que le genre humain. L’histoire des grippes et des épidémies montre bien le passage des virus entre les espèces, qu’on pense à la pandémie de H1N1 en 2009 ou maintenant à celle de la Covid 19. La crise sanitaire actuelle ne peut donc pas s’expliquer sans avoir recours à la crise écologique.
La crise sanitaire, en plus de son interrelation avec la crise écologique, fait ressortir le vrai visage des systèmes d’oppression capitaliste et patriarcal. Elle fait voir comment les mesures néolibérales, appliquées partout dans les pays du Nord, ont fragilisé tous les services et programmes sociaux des communautés. Les femmes ont été souvent cantonnées comme main d’œuvre dans le prendre soin, dans la santé, l’éducation, les services alimentaires et pharmaceutiques. Quand l’économie s’est partiellement arrêtée durant la pandémie, ce sont les femmes qui ont assuré les soins aux personnes et aux communautés, assumant une surcharge que les systèmes de santé étaient incapables d’absorber. Ce travail en grande partie gratuit, sous-payé même lorsque rémunéré, et toujours dévalorisé par rapport aux métiers dits productifs, est apparu alors clairement comme essentiel pour la vie. Tout ce travail est au cœur du système patriarcal-capitaliste.
L’après pandémie capitaliste essaiera de revenir à la normale. Mais le dévoilement fait par la crise pandémique aura semé des graines de connaissance. L’avenir devra être écoféministe, tenir compte de tout le travail fait par les femmes pour les communautés, poser le respect de la terre et de la nature : non pas la dominer, mais reconnaître que nous en faisons partie, vivre avec elle et instaurer une égalité sociale entre les hommes et les femmes qui bannit les violences.
L’avenir est internationaliste
De même que la pandémie ne pourra se terminer sans que toute la planète ne soit vaccinée, de même les luttes féministes pour l’avenir se doivent d’être internationalistes pour venir à bout du patriarcat et de tous les systèmes de violence auxquels il est lié. Les plaidoyers féministes actuels pour une justice vaccinale internationale ne s’y trompent pas, notamment en faveur des travailleuses de l’économie informelle.
À travers le monde, nous assistons depuis une quinzaine d’années à une remontée des droites qu’on peut qualifier de redoutable. Dans des pays que l’on croyait gagnés aux droits humains, des organisations civiles racistes, misogynes, homophobes, suprémacistes, ont désormais pignon sur rue. Des partis politiques prônant l’arrêt de l’immigration, l’exclusion des personnes racisées, l’interdiction de l’avortement, font élire des député·es et prennent le pouvoir en Europe et en Amérique Latine. De nombreux États des États-Unis édictent des lois pour limiter le vote des communautés noires, autochtones ou pauvres, multiplient les obstacles à l’avortement et à l’éducation sexuelle, tentent d’interdire l’enseignement des sciences de la terre au profit de l’affirmation religieuse de la création du monde en sept jours.
Au Moyen-Orient, en Asie, des partis nationalistes ou religieux attisent les haines interethniques et interconfessionnelles, renvoient les femmes à des rôles traditionnels ; en Afrique, les femmes arrivent difficilement à combler les écarts d’instruction, de propriété, de pouvoir, et sont encore confrontées en de multiples pays à la polygamie et à l’excision, usages qui persistent même là ou des législations les interdisent. Des guerres endémiques aggravent les violences sexuelles.
Partout où triomphent les idéologies de droite, que leur accent principal soit la militarisation, l’impérialisme économique ou politique, la religion ou la pureté ethnique, les droits des femmes sont bafoués et leurs recours contre les violences diminuent. La solidarité internationale des luttes féministes est une stratégie indispensable. En ce moment même, la guerre fait rage en Ukraine, enjeu des luttes impérialistes russe et occidentale : comme féministes internationalistes, nous disons non à la guerre, non aux impérialismes qui rivalisent dans la colonisation du monde.
Les luttes incessantes en faveur de l’interruption volontaire de grossesse sont emblématiques de la nécessité d’internationaliser la solidarité féministe. Menées dans la résilience, recevant des issues différentes, elles illustrent que les victoires ne sont jamais définitives : les femmes doivent toujours rester vigilantes et solidaires.
En Pologne où l’avortement était légal, l’influence prépondérante de l’Église catholique a réussi à le faire interdire par le parlement en 1993, et même à obtenir une loi encore plus sévère en 2021. Dans les dix mois qui suivent, deux femmes décèdent à la suite de refus d’avortement malgré des grossesses qui tournent mal ; l’indignation générale n’a malheureusement pas d’effet. C’est une coalition de groupes de femmes qui aide les femmes à aller chercher l’IVG dans les pays avoisinants ou qui leur procure la pilule abortive. On estime qu’au total, il y a plus de 100 000 avortements par année, clandestins, médicamenteux ou hors frontières.
En décembre 2020, après trente ans de luttes des femmes, l’Argentine légalise enfin l’avortement, malgré l’opposition de l’église catholique et des protestants évangéliques. L’explosion de joie qui a suivi se comprend : elle est le premier grand pays en Amérique latine à autoriser l’avortement sans restrictions jusqu’à 14 semaines. Mais les 300 organisations féministes qui ont mené une campagne intense devront encore se battre : car déjà, son application est suspendue dans une région, et une action en justice est intentée dans une province contre les parlementaires qui ont voté pour. Signalons que cette réussite féministe en Argentine n’est pas étrangère à la récente victoire en Colombie, où la légalisation complète vient tout juste d’être prononcée, ce 21 février 2022.
Aux États-Unis, depuis que la Cour suprême a autorisé l’avortement dans l’affaire Roe v. Wade (1973), les groupes pro-vie, principalement des catholiques et des évangélistes, conservateurs et républicains, s’affairent sans relâche à renverser ce jugement ou à en limiter la portée. Ils ont fait adopter des centaines de lois dans les États, tandis que des centaines de cliniques ont disparu. En 2016, avec l’élection de Donald Trump, ils entreprennent une stratégie de longue haleine : faire nommer des juges conservateurs à la Cour suprême afin de renverser Roe vs Wade. En 2021, le Mississippi a formellement demandé à la Cour suprême de défaire Roe vs Wade. Un jugement est attendu en 2022, peut-être dès le printemps. Quand un pays qui se prétend gardien mondial des libertés démocratiques ne réussit pas à assurer le droit des femmes à disposer de leur propre corps, les femmes savent qu’aucun droit n’est jamais acquis, que leurs luttes sont nécessaires, partout, toujours.
Ces luttes se poursuivent partout contre toutes les formes de violences. C’est avec les meurtres de femmes à Ciudad Juarez que les féministes latino-américaines ont crié aux féminicides. Elles ont été entendues et maintenant les drames familiaux, comme les nommaient les médias ici et ailleurs, sont devenus des féminicides. La compréhension des violences faites aux femmes s’est affinée, les conséquences sont de plus en plus connues.
Les féministes latino-américaines ont continué leur lutte pour le respect du corps des femmes. Cela les a amenées à faire des liens entre le respect des femmes et le respect de la terre et de la planète. Les compagnies extractivistes ont pillé et détruit les terres, les eaux, les forêts, laissant les communautés paysannes sans ressources. Les féministes latinas ont bien saisi le lien entre domination de la nature et des ressources et exploitation des femmes. Elles luttent contre la marchandisation de la vie.
De même en Inde, les femmes paysannes ont vu les conglomérats du chimique et de l’agroalimentaire détruire leur héritage de connaissance avec les semences transgéniques. Elles ont subi les avatars du microcrédit et se sont mobilisées dernièrement contre les lois néolibérales qui voulaient libéraliser le marché agroalimentaire. Les féministes indiennes ont aussi mené des luttes contre les violences et les viols. Elles ont reçu un appui de masse, entre autres chez les jeunes femmes instruites. Dans les communautés, elles ont aussi aidé les femmes accusées de sorcellerie, accusation commode pour en fait s’approprier leurs terres, à échapper aux agressions et à la mort.
Conclusion
Oui, l’avenir est féministe, mais encore écoféministe et internationaliste. La combinaison des crises économique, sociale, sanitaire, écologique nous oblige à étendre notre compréhension à la grandeur de la planète.
Un avenir féministe, c’est une affirmation de justice et d’égalité, de liberté et de solidarité, dans le soin de la planète, des vivants et de l’humanité.
Notre lutte féministe doit englober toutes les femmes et par conséquent inclure toutes les luttes des personnes marginalisées. Notre lutte contre toutes les oppressions est intersectionnelle. En fait, notre lutte est solidaire de toutes, partout à travers le monde.
Comme le proclame la Marche Mondiale des Femmes : « Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous marcherons. »
Révolution Écosocialiste
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