Il est difficile d’écrire ces lignes dédiées à la mémoire de mon collègue et ami de longue date, Pierre Beaudet, et ce, même une semaine après son décès. Encore plus difficile cependant de ne pas partager avec vous quelques pensées et anecdotes afin de lui rendre hommage, d’apporter un brin de confort à ses proches et de contribuer à ce que le flambeau, qu’il portait haut et fort, continue à illuminer notre monde.
J’ai eu la chance de travailler avec Pierre de 1984 à 2017, de la rue St-Dominique à Montréal jusqu’au campus de l’Université d’Ottawa, en passant par Alternatives bien sûr. Ce qui m’a toujours impressionné chez lui étaient ses compétences exceptionnelles dans trois domaines essentiels à tout travail de solidarité : grandes connaissances du milieu et des enjeux, fines habilités d’analyse et de choix stratégiques et fortes capacités d’organisation et d’exécution. Seules quelques perles rares parmi nos contemporains arrivent à combiner ces trois qualités à un tel niveau.
Ajoutez à cela ses valeurs progressistes et sa détermination, et vous avez devant vous un leader d’exception qui donne aussi l’exemple par son style de vie et son salaire modeste, son travail acharné et son respect des partenaires basé sur l’égalité de tout être humain, sans exception.
Pierre n’avait rien d’un idéologue qui impose une ligne à suivre. Ainsi, il travaillait avec des personnes de divers horizons politiques dès lors qu’elles étaient prêtes à s’associer aux causes que nous défendions. Nous pouvions toujours débattre avec lui des positions à prendre, des partenaires à défendre, des projets à appuyer, et ce, dans le respect mutuel.
Deux choses l’indignaient plus que toute autre. D’une part, ces injustices flagrantes infligées par les classes dominantes à la population de leur propre pays ou encore à celle d’un autre pays. D’autre part et c’est un corolaire de la première, le manque de vision stratégique chez des dirigeants et des cadres en position de contribuer à corriger ces injustices, quitte à ce que leurs vues soient différentes des siennes. Dans certains cas, ceux-ci ne prenaient même pas la peine de se renseigner adéquatement et de faire leur boulot. Cela a mené à quelques prises de bec corsées !
Heureusement, la plupart du temps, il savait se retenir jusqu’au moment de sortir d’une réunion dans une agence, un ministère, un organisme ou ailleurs, pour ensuite se livrer à une série d’invectives qui faisaient écho autant dans les corridors que chez nos jeunes.
Ce qui le motivait le plus ? Ces peuples qui se soulèvent et se mobilisent pour confronter leurs oppresseurs dans diverses régions du monde, ce qui le menait à appuyer ceux et celles qui avaient le plus de potentiel pour parvenir à transformer leur société. C’est la raison pour laquelle il a toujours travaillé avec des organismes partenaires, et ce, en tant qu’égaux luttant pour une cause commune — l’essence même de travailler en solidarité.
Ce travail de solidarité n’est pas facile, surtout lorsqu’on s’attaque aux pires fléaux de notre monde causés par l’homme. Qu’on pense aux dictatures sanguinaires, aux racismes systémiques, aux exploitations profondes, à la domination et aux abus infligés aux femmes, aux guerres et aux génocides entrainant des millions de morts, pour ne nommer que ceux-là. On perd aussi trop souvent des partenaires de combat — dirigeant. e. s d’organisations de masse, leaders communautaires, militant. e. s politiques, journalistes et des intellectuel.le. s engagé. e. s. Dur à prendre pour quiconque a un grand cœur, ce qui mène parfois à la déprime et même à des tentatives de suicide dans nos rangs, comme nous l’avons constaté malheureusement. Il faut donc prendre soin de soi-même… ainsi que des autres à nos côtés, même ceux et celles qui sourient ou qui nous semblent les plus robustes. Pierre en était très conscient.
Heureusement, Pierre a pu s’ancrer avec ses proches, avec Anne, avec ses fils Alexandre et Victor, avec sa mère et ses sœurs, et même plus récemment avec son petit-fils. Il a aussi pu maintenir son sens d’humour, toujours prêt à partager la dernière blague qu’il avait entendue. Doté d’une curiosité intellectuelle insatiable, il avait, comme définition de vacances, l’idée de se munir d’une pile de livres, dont le dernier de John le Carré, et de les lire près d’un plan d’eau avec Anne et plus tard avec leur plus jeune. À moins de partir en voyage lorsqu’il le pouvait, bien entendu.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres, je l’ai toujours appuyé et il nous manquera terriblement, à nous ses compañeras y compañeros.
Il y a rarement un début et une fin dans le travail de justice sociale. Nous sautons au passage dans le cours de l’histoire et tentons d’améliorer les choses durant le temps que nous avons. Pierre l’a fait de façon remarquable. Il revient maintenant à la relève déjà bien engagée — et à venir — de continuer à porter le flambeau qui appartient à chacun et chacune d’entre nous. Comme il le disait si bien, nous sommes toutes et tous co-responsables de notre monde.
Gracias por todo, hombre.
Robert David
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