Ce sont, selon les témoins, entre 800 et 2000 migrantEs venus d’Afrique subsaharienne qui ont tenté de franchir l’entrée de l’enclave espagnole au Maroc, héritage de l’ère coloniale, afin de pouvoir revendiquer l’asile dans l’UE. Le sociologue Mehdi Alioua explique : « [Ils] sont partis côté marocain, ont pénétré dans ce couloir entouré de murs, assez large au départ mais qui rétrécit ensuite côté espagnol, et ont fini nassés là. Les barrières de sécurité marocaines sont tombées facilement sous la pression, mais côté espagnol, il est impossible de passer à plusieurs. Ça a été un véritable goulot d’étranglement : les gens ont été écrasés. » [1]
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« Nul ne peut fermer les yeux face à tant d’ignominie »
Les scènes qui ont fait le tour des réseaux sociaux sont difficiles à supporter. On y voit des dizaines de corps, entassés, des scènes de panique, des policiers en train de frapper des gens au sol ou en train d’essayer d’échapper au drame… La violence criminelle des politiques migratoires européennes dans toute son horreur et, pour une fois, serait-on tenté de dire, à ciel ouvert et devant des caméras. Comme le soulignent en effet Nejma Brahim et Rachida El Azzouzi, « si la Méditerranée était vidée de ses eaux, c’est probablement le spectacle affligeant qu’elle nous offrirait ; après avoir englouti tant de vies – plus de 24 000 depuis 2014 – dans une indifférence quasi générale. Cette fois, les morts sont bel et bien visibles. Cette fois, nul ne peut fermer les yeux face à tant d’ignominie. » [2]
La tragédie de Melilla ne doit en effet rien à la fatalité. Et elle n’est pas, contrairement à ce que se sont empressées de clamer les autorités marocaines et espagnoles, de la responsabilité des « passeurs ». Les premiers responsables sont en effet les gouvernements européens et, en l’occurrence, leur partenaire marocain, qui appliquent une politique ultra-répressive à l’égard des migrantEs pour les empêcher, à tout prix, de fouler le sol de l’Union européenne. Ce qui s’est passé à Melilla n’est que la conséquence logique — et tragique — de la consolidation d’une Europe forteresse, cernées de murs et de dispositifs destinés à « refouler » les migrantEs, dont l’enclave espagnole est l’une des incarnations les plus visibles.
Ouvrez les frontières !
C’est ce qu’a rappelé le journaliste Olivier Cyran quelques jours après le drame : « Avec le mur de Ceuta, l’autre enclave espagnole au Maroc, celui de Melilla représente la seule frontière terrestre entre l’Europe et l’Afrique, raison pour laquelle c’est l’un des fronts les plus anciens et meurtriers de la politique européenne de guerre aux demandeurs d’asile. […] Ce crime organisé à grande échelle est mis en œuvre à la fois par la Guardia Civil espagnole et la police marocaine, à laquelle Madrid et l’UE sous-traitent une part du sale boulot. En 2019 par exemple, l’Espagne a fourni au Maroc pour 30 millions d’euros de véhicules militaires, de drones et de radars destinés à la répression des migrants, une rallonge aux 140 millions déjà affectés par l’UE à ses supplétifs. La tuerie de vendredi a beau avoir eu lieu du côté marocain, il s’agit bien d’une coproduction espagnole et européenne. » [3]
Les États européens, France en tête, sont responsables de la situation. Ainsi, les grandes puissances impérialistes portent une responsabilité ancienne et écrasante dans le fait que ces « damnéEs de la terre » quittent leur lieu de vie : pillage des ressources, interventions militaires, destruction des économies et des écosystèmes, soutien aux pires régimes, déstabilisation de ceux qui ne rentrent pas dans le rang... Leur politique est criminelle, car on sait que les frontières tuent d’autant plus qu’elles sont fermées. Toute solidarité internationale passe par l’ouverture des frontières, par l’accueil de toutes et tous, la régularisation de touTEs les sans-papiers, pour la liberté de circulation et d’installation.
Julien Salingue