Bien que beaucoup aient minimisé les mobilisations pour ne porter que sur la hausse du coût du carburant, les protestations ont maintenu leur élan en raison de la hausse du coût de la vie, qui était l’une des causes profondes du mouvement. Le peuple équatorien est confronté à une immense pauvreté et au chômage depuis de nombreux mois. Pendant 18 jours, la manifestation nationale a cherché à susciter une action gouvernementale pour faire face à la profonde crise systémique que traverse l’Équateur, marquée par le manque de droits économiques, politiques et culturels. Aujourd’hui, le mouvement autochtone a remporté la victoire en obtenant des engagements du président pour faire face à leur réalité économique et environnementale.
Dans leurs revendications, les communautés autochtones ont demandé la mise en place de politiques pour protéger la planète et assurer une transition juste et écologique. L’une de leurs principales demandes était l’abrogation des décrets 95 et 151, qui visaient à faire progresser l’extractivisme dans les territoires autochtones amazoniens. En août 2021, la Confédération des peuples indigènes amazoniens d’Équateur (CONFENIAE) s’était déjà prononcée contre l’application de ces décrets ; cependant, le président Lasso a décidé de ne pas tenir compte de cet appel. L’un de leurs principaux arguments était que le gouvernement n’avait pas garanti la protection et le respect de leur droit à une consultation libre, préalable et éclairée, et encore moins selon les normes de consentement internationalement reconnues.
Plus tôt cette semaine, les dirigeant-e-s autochtones et le gouvernement ont entamé un dialogue et des négociations. Ils sont depuis parvenus à un accord signé prévoyant la fin de la grève nationale et de « l’état d’urgence » déclaré par le gouvernement. Il y aura une abrogation du décret exécutif 95 favorisant l’expansion du pétrole et du gaz et une réforme du décret exécutif 151 affectant le secteur minier. Les deux décrets autorisaient le gouvernement à étendre la frontière extractive aux territoires autochtones et aux importantes zones de conservation et forestières. La réforme du décret minier est particulièrement remarquable car elle stipule que les activités ne peuvent pas se dérouler dans des zones protégées ou des territoires autochtones, dans des zones désignées « interdites », des zones archéologiques ou des zones de protection des eaux conformément à la loi, et elle garantit le droit à une consultation libre, préalable et éclairée (et non au consentement) conformément aux normes dictées par la Commission interaméricaine des droits de de la personne et la plus haute juridiction de l’Équateur. Les prix du carburant seront également réduits à un taux fixe, une victoire de la justice économique reconnaissant la crise du coût de la vie. Ils utiliseront les 90 prochains jours pour répondre aux demandes restantes par le biais d’un comité de travail technique.
Les ententes et les discussions futures sont ancrées dans les dix points du mouvement autochtone. Leur programme vise à générer des solutions pour lutter contre la détérioration continue des conditions de vie, la crise du système d’éducation et de santé, les coûts élevés de la nourriture et des services essentiels, l’expansion de la frontière extractive et la violation des droits collectifs des peuples autochtones, entre autres revendications.
Malheureusement, pendant les 18 jours de grève nationale, la réaction du gouvernement équatorien a été excessivement violente et répressive, malgré le droit constitutionnel de résister et de manifester. L’Alliance des organisations des droits de la personne de l’Équateur, dont Amazon Watch est membre, a documenté 76 plaintes de violations de ses droits ; six personnes mortes, 331 blessées et 152 manifestant-e-s arrêté-e-s.
La première tentative de dialogue entre le gouvernement et le mouvement indigène a eu lieu le 27 juin. Les négociations ont ensuite été bloquées en raison d’un affrontement survenu entre les forces armées et des manifestant-e-s dans la nuit du 28 juin dans la communauté amazonienne du 18 novembre, située à la province de Sucumbios. Il y a eu plusieurs blessé-e-s et la mort d’un soldat. Même si les médias ont confirmé plus tard que l’armée avait initié la confrontation armée contre les manifestant-e-s, le gouvernement Lasso a utilisé cet événement comme justification pour rompre unilatéralement le dialogue.
Au fil des événements de la grève, nous sommes restés préoccupés par le fait que le discours national se concentrait sur le discrédit de la mobilisation et la diffusion de discours de haine contre les manifestant-e-s, qui étaient appelés « Indien-ne-s », « vandales » et « terroristes ». De plus, la viabilité et les contradictions de leurs demandes ont été remises en question à de nombreuses reprises. Mais leurs appels gouvernementaux et politiques ne sont pas sans rappeler les demandes de n’importe quel groupe de la classe ouvrière ou marginalisé dans le contexte actuel d’inflation mondiale et d’une flambée du coût de la vie. Tout comme beaucoup d’entre nous, les communautés autochtones dépendent du pétrole et du gaz pour le transport, ce qui ne délégitime pas leurs revendications pour la fin du pétrole. Nous vivons tous sous le système énergétique actuel. Cela ne doit pas nécessairement s’opposer à leur demande d’une meilleure économie et d’un gouvernement qui ne dépende pas des caprices de l’industrie pétrolière. Nous sommes unis dans notre appel à une transition juste.
L’Équateur est également confronté à une crise aiguë de pauvreté et de faim généralisées, qui a été ignorée par l’administration présidentielle actuelle. Nous devons reconnaître qu’actuellement, 29% de la population équatorienne vit dans des conditions de pauvreté et d’extrême pauvreté, ce qui signifie qu’un-e Équatorien-ne sur trois est pauvre. Cette réalité est la suivante : 59,1 % de la population autochtone vit sous le seuil de pauvreté.
La grave situation économique s’est aggravée sous le gouvernement de Guillermo Lasso. Auparavant, le gouvernement équatorien, dans le cadre de ses politiques de bien-être et d’égalité sociale, assumait la valeur différentielle des prix du carburant par rapport au coût nominal du marché international. Cependant, avec l’élimination de cette subvention, un système de fourchettes de prix a été établi, entraînant une augmentation soudaine de 40 % de l’essence. Avec cette augmentation, le coût de la vie a également augmenté, notamment en termes de nourriture et de produits de première nécessité. Cette décision est devenue la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
À bien des égards, cette mobilisation sociale a réussi à mettre en pause le « statu quo » et à faire reconnaître à la société équatorienne la douleur et le fardeau ressentis par les communautés autochtones et les pauvres. L’Équateur doit poursuivre le dialogue pour résoudre les revendications du mouvement autochtone et de la société civile. Nous poursuivrons notre solidarité avec ceux et celles qui réclament un Équateur plus juste et plus démocratique car la forêt amazonienne en dépend. Et nous appelons les institutions internationales des droits de l’homme à rester vigilantes au cas où le gouvernement national continuerait de stigmatiser la protestation sociale et ne respecterait pas et ne protégerait pas les droits de la personne. De nombreuses vies ont été perdues et les blessures sont ouvertes. Il est temps que le gouvernement équatorien donne suite à son accord pour garantir la paix.
Sofía Jarrín Hidalgo, Eye on the Amazon, Amazon Watch