Dans la nuit du 22 juin dernier, un séisme a violemment secoué les villes et villages des montagnes reculées du Sulaiman, à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. L’effondrement de nombreuses habitations y a fait plus d’un millier de victimes. On l’appelle « séisme de Khost », du nom de la ville voisine d’environ 150 000 habitants.
Dans une région située à l’interface entre les plaques tectoniques indienne et eurasienne – qui, par leur collision, forment aussi la plus haute chaîne de montagnes de notre planète, l’Himalaya – cet évènement rare rappelle douloureusement les enjeux majeurs associés à une meilleure compréhension des failles et forces tectoniques à l’œuvre.
Les premières observations scientifiques du séisme de Khost remettent en question ce que l’on sait (ou croit comprendre) des failles voisines.
Une frontière de plaque décrochante presque banale
La plaque indienne se déplace vers le nord, à une vitesse d’environ 3 centimètres par an, de l’ordre de la vitesse de croissance de nos ongles. À sa limite avec l’Eurasie en Afghanistan et au Pakistan, elle coulisse le long de failles décrochantes ; c’est-à-dire que les plaques, comme des trains qui se croisent, se déplacent dans des sens opposés de part d’autre de failles, sans se cogner.
Si les failles étaient droites, lisses et verticales, tout se passerait comme sur des rails, mais le fait est que cette frontière de plaque est tordue et épaissie par les millions d’années d’histoire tectonique et le mouvement plus compliqué que prévu.
Des dégâts considérables au regard de la magnitude
Le séisme du 22 juin a une « magnitude de moment » estimée à 6,0. Ce chiffre indique une libération d’énergie modérée, plus de mille fois inférieure à celle du séisme japonais de 2011 associé à la catastrophe de Fukushima, de magnitude de moment 9,1 (on dit que l’échelle de magnitude de moment est « logarithmique »). En moyenne, on dénombre une centaine de séismes de taille similaire dans le monde chaque année, mais rares sont ceux qui se révèlent aussi dévastateurs.
Deux séismes plus petits (magnitudes de 4,5 et 4,3) à proximité immédiate ont pu être détectés une heure et trois jours après. Ce sont les plus grosses « répliques » de ce séisme qui en a probablement des dizaines d’autres, plus petites et indétectables à cause du manque de capteurs dans cette région.
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En effet, le risque ne peut être apprécié qu’en croisant les caractéristiques physiques d’un séisme avec les facteurs de vulnérabilité d’une région, dont la proximité des populations, la résistance des structures. Ainsi, dans le cas du séisme de Khost, il a été souligné que l’ampleur exceptionnelle des dégâts pour un tel séisme était largement liée à la vulnérabilité des bâtiments non renforcés. D’autres facteurs explicatifs peuvent néanmoins être avancés, comme la faible profondeur du séisme (il s’est amorcé à 10 kilomètres) d’une part, et des effets locaux d’amplification des ondes sismiques liés à la nature du sous-sol d’autre part.
Pourquoi est-il difficile d’estimer le risque sismique dans la région ?
En général, c’est l’analyse des séismes contemporains et historiques d’une région qui constitue la première source d’information pour essayer d’anticiper l’emplacement et l’ampleur des prochains séismes.
Or très peu de séismes ont été documentés dans cette région, en comparaison avec d’autres frontières de plaques, comme celle en Californie par exemple, la plus étudiée au monde. Le dernier tremblement de terre de taille importante enregistré à proximité de Khost remonte à 1956, avec une magnitude estimée de 6,7.
On sait également que Kaboul, la capitale afghane, a été détruite par un séisme en 1505, et des récits rapportent que « le sol s’est élevé aussi haut qu’un éléphant à certains endroits et s’est effondré d’autant ailleurs ». D’autres récits, combinés aux informations géographiques ont permis d’estimer qu’il s’agissait d’un séisme de magnitude 7,3 – 90 fois plus puissant que celui de 2022.
Mises bout à bout, ces observations ne sont pas suffisantes pour avoir une vision précise des failles sismiques actives le long de cette frontière de plaques large de plus de 100 kilomètres. Ainsi, la connaissance scientifique actuelle des failles de cette région s’appuie largement sur les traces laissées par les mouvements tectoniques dans le paysage et la géologie.
Étant donné le contexte géopolitique de la région, cela fait plusieurs décennies que les sismologues travaillent essentiellement à partir d’images satellites, c’est-à-dire par « télédetection ». La végétation clairsemée, liée au climat aride, est propice à l’observation du sol et de ses mouvements tectoniques. Pour autant, vues du ciel, les failles actives de nos jours et celles fossilisées héritées de l’histoire géologique ne sont pas faciles à distinguer.
Ainsi, on sait que le séisme du 22 juin 2022 est survenu à proximité immédiate de nombreuses et courtes failles connues, dans une zone où la topographie montre des bourrelets caractéristiques d’une zone en compression (les blocs de part et d’autre des failles se cognent et se montent les uns sur les autres), mais l’activité sismique de ces failles est indéterminée. Peuvent-elles accueillir du glissement ? En quelle quantité et dans quelle direction ?
Un premier aperçu du mouvement sismique qui donne à réfléchir
Une partie de la réponse nous est fournie par le « mécanisme au foyer » de ce séisme obtenu dans les heures qui ont suivi l’évènement à partir des signaux enregistrés sur le réseau mondial de stations sismiques.
Les sismologues ont pour habitude de représenter le glissement tridimensionnel du séisme sur un « ballon de plage » vu du ciel. Le ballon à quatre quartiers rouges et blancs est précisément orienté tel que le mouvement soit du blanc vers le rouge. Les plans entre les quartiers définissent deux failles probables et d’autres données, comme des images satellites, sont requises pour savoir laquelle représente effectivement la faille qui a joué. Dans notre cas, les plans sont proches de la verticale et le mouvement est « décrochant », c’est-à-dire que les deux côtés de la faille coulissent sans contraction ou extension nettes associées.
Cette observation contraste avec notre vision des failles construite sur la géologie et les images satellites qui nous indique que le mouvement décrochant entre l’Inde et l’Eurasie est décomposé en deux parties à l’échelle locale. Les grandes structures décrochantes que sont les zones de failles de Chaman et de Gardez et qui auraient pu accommoder un tel séisme se trouvent plus à l’est, alors que la région dans laquelle a eu lieu le séisme de Khost est associée à des structures identifiées comme « compressives ».
Par conséquent, ce séisme a surpris la communauté scientifique par les dégâts considérables qu’il a engendrés, mais aussi par la direction du mouvement décrochant, dans une zone pensée comme en compression tectonique. C’est un nouvel élément (parmi d’autres) qui aide à préciser la géométrie actuelle de la frontière de plaque et les modèles de son évolution passée et future.https://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Manon Dalaison, Post-doctorante en géophysique, École normale supérieure (ENS) – PSL