« Nous nous sommes suicidés » : ce commentaire du premier ministre sortant, Bülent Ecevit, pourrait fort bien résumer la situation au lendemain des élections législatives anticipées du 3 novembre. Ce jour-là, l’ensemble des partis traditionnels présents au Parlement, majorité comme opposition, s’en sont en effet trouvés éjectés par le verdict des urnes (voir encadré pour les résultats), dans des élections qu’ils avaient pourtant convoqués eux-mêmes deux ans avant leur échéance... en toute hâte, sans vrai débat et sur un ton de bravade, comme des chevaliers d’un autre âge, se provoquant en combat singulier...
Le hic, c’est qu’Ecevit ajoutait dans la foulée que son parti aurait pu l’emporter si les élections avaient eu lieu en temps normal, en 2004, montrant ainsi qu’il n’avait rien compris, au fond, à ce qui leur arrivait ! Cet aveuglement politique de l’un des vétérans des leaders traditionnels est en soi une preuve patente de la faillite totale de la classe politique turque. En effet, comment expliquer autrement qu’un parti ayant gagné les élections de 1999 avec 22 % se retrouve à 1,2 %, perdant plus de 6 millions d’électeurs en l’espace de trois ans, alors que son second partenaire de coalition chutait de 18 % à 8,7 % et le troisième de 13 à 5 %, les trois associés ayant perdu au total près de 12 millions d’électeurs ?
On peut certes se rappeler que cette coalition tripartite pour le moins « hétérogène », entre une « gauche » populiste et nationaliste (DSP), l’extrême droite nationaliste (MHP) et une droite libérale « pro-européenne », était aux postes de commande lors de la grande crise économique de février 2001, qui avait fait baisser de 30 % le PIB de la Turquie ! On peut aussi se rappeler qu’en s’accrochant désespérément au pouvoir, ce premier ministre parkinsonnien, vieillard pré-sénile et quasi grabataire avait précipité sa fin en provoquant une scission dans son parti au printemps dernier, perdant la moitié de son groupe parlementaire... que ses deux associés au pouvoir ne cessaient de se chamailler sur tous les dossiers... que le gouvernement ne dirigeait plus rien, puisque le programme d’austérité carabiné dicté par le FMI lui avait mis le couteau sur la gorge, etc. etc. Quoi d’étonnant dès lors, que tout cela ait conduit à un tel effondrement politique ?
Oui mais alors, comment expliquer que les deux principaux partis d’opposition, le SP d’Erbakan (le vieux leader islamiste traditionnel) et le DYP de Mme Çiller (droite conservatrice, rurale et maffieuse), qui avaient obtenu respectivement 15 % et 12 % des voix en 1999, aient également perdu près de 5 millions d’électeurs au total, ne récoltant en tout et pour tout que 2,5 % et 9,5 % le 3 novembre dernier ? Comment expliquer aussi que le « Parti jeune » (GP), un pseudo parti créé de toutes pièces deux mois avant les élections par Cem Uzan, un « jeune patron de Holding » dirigeant un empire de média et de télécommunication, en somme une espèce de « Berslusconi turc », ait pu obtenir plus de 7 % des voix pour une liste électorale composée uniquement de cadres et employés des entreprises Uzan et tout cela, avec un discours populiste-nationaliste, dont le simplisme démagogique « anti-trust » et « anti-impérialiste » pourrait laisser rêveur plus d’une organisation gauchiste en panne d’inspiration !
Sans se pencher sur ce phénomène de « rejet total » de la classe politique sortante, il serait totalement illusoire d’essayer de comprendre et de commenter le succès de l’AKP (parti de la justice et du développement) de Tayyip Erdogan. Toutes les analyses abstraites que l’on peut faire sur la « nature de ce parti » et toutes les spéculations sur ses « intentions réelles » et sur ce que va faire son gouvernement risquent d’être complètement à côté de la plaque si on les ne place pas dans le cadre d’une réflexion sur ce processus politique (voir en particulier Inprecor Nº 435 de mai 1999).
En premier lieu, il serait utile de rappeler la crise chronique et l’instabilité du système politique turcs depuis la fin des années 80 (qui avaient été dominées par l’ANAP de Turgut Özal). La décennie suivante, elle, a été marquée par les rivalités et querelles de chefs des partis traditionnels, divisés en quatre écuries rivales : l’ANAP et le DYP à droite, le CHP et le DSP à gauche. L’érosion progressive de ces partis qui se paralysaient mutuellement, a permis la montée en puissance du mouvement islamiste traditionnel regroupé autour d’Erbakan, puis de l’extrême droite nationaliste du MHP. Dans les 15 dernières années, tous ces partis se sont succédés au pouvoir dans un jeu de chaises musicales, formant des coalitions bancales et hétéroclites, clientélistes, populistes et corrompus. Tout cela a conduit à un éclatement de plus en plus marqué du monde politique, avec des scissions supplémentaires, une perte totale de crédibilité des leaders et des partis, une dépolitisation croissante, une mainmise de la bureaucratie (notamment militaire) sur la gestion des principales affaires, une gabegie, des gaspillages et pillages éhontés, le tout engendrant à la fois un pessimisme morose au sein de toutes les couches et classes sociales (bourgeoisie y compris), mais aussi une profonde frustration et une colère dirigée à la fois contre l’appareil d’état (en particulier après le tremblement de terre de 1999) et contre les politiques, avec un point culminant au moment de la crise économique de 2001.
Il suffit de jeter un simple coup d’œil aux résultats des 5 dernières législatives pour vérifier cette évolution : 5 partis différents ont remporté ces élections avec à chaque fois un parti différent en second place. 1987 : premier ANAP avec 36 % et second CHP avec 25 % ; 1991 : 27 % pour le DYP et 24 % pour l’ANAP ; 1995 : 21 % pour le RP et 19 % chacun pour le DYP et l’ANAP ; 1999 : 22 % et 18 % pour le ticket gagnant DSP/MHP ; 2002 : 34 % pour l’AKP et 19 % pour le CHP. Derrière ce manque de cohérence apparent du choix des électeurs, se cache pourtant une logique implacable : « punir » les partis au pouvoir et les remplacer par toutes les alternatives possibles et imaginables.
Tout en s’inscrivant dans cette même logique de « punition/substitution », les élections du 3 novembre apportent néanmoins un changement capital dans au moins quatre domaines décisifs, ce qui fait que la nouvelle donne pourrait s’avérer marquer un tournant radical pour la prochaine décennie.
– Jusqu’à ces dernières élections, en effet, l’équilibre classique de 30-35 % au total pour la gauche et de 65-70 % pour l’ensemble de la droite semblait s’être maintenu, donnant l’impression (peut-être à tort, d’ailleurs) que les vieux schémas et les vieilles fidélités politiques n’avaient pas beaucoup évolué sur le fond. Aujourd’hui, le total des voix de tous les partis de gauche atteint à peine 23 %. Autrement dit, le CHP de Baykal ne récupère que la moitié des 6,3 millions d’électeurs perdus par le DSP d’Ecevit. Cela pourrait être le reflet des profondes mutations sociales des 20 dernières années.
– Jusqu’en 2002, le score des deux premiers partis était en baisse constante par rapport au score des vainqueurs de l’élection précédente, marquant un vote de défiance et de réaction, plutôt que d’adhésion et de confiance aux nouveaux partis. Aujourd’hui, si le score du CHP peut s’analyser dans ce cadre (malgré un progrès de 11 %, il fait moins bien que le DSP de 1999), il n’en va pas de même pour l’AKP d’Erdogan, qui obtient non seulement le score le plus élevé obtenu par un parti quelconque depuis 1987, mais aussi un résultat qui va largement au-delà du record absolu de la famille politique dont il est issus. Il s’agit donc cette fois d’un vote de « confiance et d’espoir », si ce n’est encore tout à fait d’adhésion....
– Depuis 1987, aucun parti n’avait pu obtenir la majorité absolue et gouverner seul. C’est désormais le cas pour l’AKP, qui est presque à même de disposer d’une majorité des deux-tiers lui permettant éventuellement de modifier la Constitution (moyennant le soutien de 4 des 9 députés indépendants, tous divers droite !). C’est une vrai « révolution » dans le monde politique turc, ce qui explique les cris de joie de la bourgeoisie et des médias, ravis de cette occasion de retrouver enfin la stabilité perdue depuis la mort d’Özal...
– Pour la première fois, plus de la moitié de l’électorat n’est pas représenté au Parlement : à cause du barrage national de 10 %, seuls l’AKP et le CHP ont des élus, avec 54 % des voix à eux deux (+ 1% pour les élus indépendants). 45 % des électeurs sont donc officiellement exclus du jeu parlementaire. Mais si l’on tient compte du taux d’abstention record (21 %) et des 2 % de votes blancs ou nuls, les 17 millions d’électeurs de l’AKP et du CHP ne représentent que 41 % des 41,4 millions d’électeurs inscrits. Avec un tiers des suffrages exprimés (et à peine un quart des voix des électeurs inscrits), l’AKP dispose au Parlement d’une majorité disproportionnée qui atteint les deux tiers.
Actuellement, l’AKP profite d’un « état de grâce » et dispose d’un soutien étonnant de la quasi unanimité de l’opinion publique et des médias. Même le CHP se montre conciliant pour ne pas gâcher cette lune de miel (à peine perturbée par les cris d’orfraie d’une toute petite minorité de « kémalistes laicards », dont l’outrance ridicule et l’autoritarisme antidémocratique affaiblit la crédibilité). Mais la situation pourrait très rapidement se retourner à la moindre crise économique ou politique, ou encore au moindre dérapage « islamiste » de l’AKP. Autrement dit, ce qui aujourd’hui fait sa force, c’est à dire son hégémonie totale au Parlement dans un pays assoiffé de stabilité politique et de réformes, pourrait bien devenir demain sa principale faiblesse et conduire à une totale remise en question de sa légitimité démocratique.
Compte tenu de tous ces éléments, l’AKP a aujourd’hui une opportunité historique de s’installer durablement au cœur de la vie politique turque. Il ne dépend que de lui et de lui tout seul, de tout réussir ou de tout rater.
Fondé il y a trois ans comme une scission du parti islamiste classique, ce parti se présente aujourd’hui comme un parti « conservateur-démocrate », un parti « moderne » et bon gestionnaire du capitalisme mondialisé, mais ayant des références conservatrices musulmanes. En somme, les fondateurs de l’AKP veulent devenir une espèce de parti « musulman démocrate » de Turquie, à l’instar des partis chrétiens démocrates d’Europe occidentale. S’il est évident que ce genre d’analogie a des limites, il est tout aussi clair qu’objectivement, l’AKP ne peut en aucun cas être définit comme un parti islamiste classique et encore moins intégriste.
Il s’agit un parti ayant une forte assise bourgeoise dans la moyenne bourgeoisie conservatrice musulmane d’Anatolie Centrale, qui était auparavant la clientèle classique du mouvement islamiste, mais qui souhaite désormais élargir son horizon. Avec l’actuel soutien de la grande bourgeoisie laïque d’Istanbul, l’AKP est en passe de réunifier de nouveau l’ensemble des couches de la bourgeoisie turque, divisées depuis la fin des années 60. Grâce à son ouverture européenne et à sa souplesse idéologique actuelles, l’AKP semble aussi attirer, outre l’intelligentsia conservatrice, certains intellectuels libéraux pressés d’en découdre enfin avec le conservatisme paternaliste et autoritaire du kémalisme.
Se substituant aux carences de la gauche, il se présente aussi comme le « parti des pauvres et des déshérités », un parti qui va enfin apporter la « justice », un parti honnête, fiable et non corrompu. Il a su ainsi gagner un soutien populaire très large, allant des couches défavorisées des banlieues des grandes villes comme Istanbul, jusqu’aux couches de la paysannerie pauvre anatolienne, en passant par une partie des Kurdes de l’Est du pays. Bref, il s’agit d’un grand parti de masse interclassiste en gestation, avec tous les avantages (force massive) et fragilités (tiraillements internes) que cela suppose.
L’AKP repose sur une ossature de cadres politiques qui militent ensemble depuis près de 35 ans et qui ont les mêmes références politiques : Erdogan, Gül et leurs amis sont presque tous de la même génération (la cinquantaine), ils ont commencé à militer ensemble à la fin des années 60 dans les organisations de jeunesse du parti islamiste d’Erbakan, ils ont traversé les mêmes expériences, partagé les mêmes succès éphémères, les mêmes défaites, mais ils ont aussi une expérience commune de « gestion des affaires », aussi bien au niveau des principales mairies du pays (dont Istanbul, une ville colossale de 10 millions d’habitants), qu’au gouvernement (lors de la coalition Erbakan-Çiller entre 1995 et 1997).
Leur rupture avec la vieille garde islamique d’Erbakan n’est pas une simple querelle de générations : elle est liée à cette expérience du pouvoir. Erdogan et ses amis ont pleinement tiré les leçons de l’échec de leur chef historique et de son gouvernement de coalition face à l’armée et à l’opinion publique en 1995-1997. De plus, aujourd’hui, l’AKP ne se limite pas à un noyau d’anciens « rénovateurs islamistes modérés » : le parti ratisse large et a su gagner une série de cadres importants de la droite traditionnelle.
Son succès aussi rapide et récent que massif en fait encore un parti hétéroclite en pleine gestation et en pleine construction. Mais pour réussir son pari, il a devant lui un véritable boulevard politique et dispose de marges de manœuvres non négligeables, en tout cas bien plus importantes que ses prédécesseurs de la dernière décennie : ses principaux rivaux politiques, partis et leaders traditionnels de droite, sont entrés dans une profonde crise politique, laminés, discrédités, divisés et momentanément exclus du jeu politique, alors que la gauche traverse aujourd’hui une crise monumentale, dont elle ne semble pas encore avoir saisi toute la portée catastrophique.
Il est en effet significatif de voir que ni la gauche social-démocrate, ni l’extrême gauche n’ont été capables de capter un mécontentement populaire d’une ampleur aussi gigantesque et de mener une véritable bataille pour pouvoir être l’alternative à la fois des forces nationalistes au pouvoir et de l’AKP. Les 19 % du CHP ne doivent pas faire illusion. La direction droitière de ce parti a toujours été plus soucieuse de rassurer la bourgeoisie que d’être le porte-parole des revendications sociales. S’il se cantonne à ce rôle dans la période à venir, n’attaquant l’AKP que sur des questions formelles de laïcité et continuant à apparaître comme un appendice de la bureaucratie éclairée et des militaires, il n’a aucune chance de profiter des faiblesses du gouvernement et c’est l’extrême droite nationaliste qui risque de redevenir l’alternative à l’AKP aux yeux des masses populaires.
Quant à l’extrême gauche, elle a tout simplement fait faillite, cédant une fois de plus à ses vieux démons sectaires. Le bilan que tire le camarade Ufuk Uras, président de l’ÖDP, de la défaite de son parti est aussi sévère que lucide et justifié (voir encadré). Paralysé depuis trois ans par ses querelles internes d’apparatchiks autoritaires, démoralisé par ses divisions et débats coupés de la réalité, l’ÖDP a fini par éclater en plusieurs morceaux sectaires et groupusculaires, perdant sa crédibilité et sa capacité d’attraction, décevant l’espoir soulevé par son projet pluraliste de départ. Une rénovation de fond en comble est donc nécessaire. Mais qui va le faire, alors que la plupart des dirigeants qui ont conduit les multiples groupes de l’extrême gauche turque à sa 3e défaite successive en 35 ans (sans même avoir cette fois-ci l’excuse de la répression !) sont encore en place et ne semblent même pas conscients de la gravité de la situation, préférant vivoter a la tête de leurs petits groupuscules, auréolés de leurs légendes de « patriarches marxistes » et d’anciens combattants...
Dans ces condition de vide politique à droite comme à gauche, si l’AKP réussissait un tant soit peu à améliorer la situation dans un domaine ou l’autre touchant de près ou de loin la population, il pourrait même continuer à progresser encore considérablement en voix aux prochaines élections, en gagnant aussi bien sur sa droite que sa gauche. Autrement dit, même sans faire de miracles, il lui suffirait de ne pas faire de trop grosses erreurs, de ne pas « décevoir tout de suite », de ne pas faire rapidement faillite comme tous ses prédécesseurs, pour s’ériger en principal parti de masse de la droite turque, à l’instar du DP des années 50 et de l’AP des années 60 (tout deux ayant obtenu plus de 50 % des voix) ou encore de l’ANAP des années 80 (45 % des voix).
Le pays a vécu une telle catastrophe économique il y a à peine un an et demi, que la moindre amélioration des indices qui sont aujourd’hui au plus bas, le moindre baume social sur les plaies béantes et purulentes des couches les plus pauvres de la société, même s’il ne s’agit que de quelques miettes misérables, apparaîtront en soi comme un « miracle » et seront accueillis avec reconnaissance par les plus démunis. D’ailleurs, le gros de la potion amère du FMI ayant déjà été ingurgitée du temps de l’équipe sortante, les commentateurs annoncent un « moins pire », qui sera inévitablement perçu comme un « léger mieux » versé au crédit de la nouvelle équipe. Il n’est pas du tout exclu que comparé aux « ultras néo-libéraux » sortants, le gouvernement de l’AKP soit le plus « social » de ces 20 dernières années...
La gabegie bureaucratique, la corruption et les gaspillages ont fait énormément de dégâts dans les finances publiques ; la désorganisation de l’appareil d’état a atteint un niveau inimaginable de désagrégation et d’inefficacité chroniques ; les cadres du pouvoir public ont été littéralement laminées et démoralisés par les féodalité partisanes des coalitions instables et successives. La moindre nomination passait par des marchandages ardus entre les partis de la coalition. Les « pauvres hommes d’affaires » étaient souvent obligés de tripler leurs budgets de pots de vins, car il fallait parfois « graisser » les rouages bureaucratiques dans trois ministères ou administrations distinctes, dépendant chacune d’un parti différent... sans même parler de la perte de temps et du nombre incalculable de dossiers urgents en souffrance gardés en « otage ».
Il suffirait donc presque d’une simple « moins mauvaise gestion » des affaires courantes, d’une simple « amélioration de l’efficacité administrative » pour que tout cela apparaisse comme une vrai révolution. Cela pourrait même permettre de dégager quelques économies budgétaires à peu de frais, ce qui serait non négligeable par les temps qui courent : la quasi totalité des revenus fiscaux ne sert aujourd’hui qu’à financer le service de la dette (intime et extérieure) et à payer des salaires de misère aux fonctionnaires, sans laisser la moindre marge de manœuvre au pouvoir politique pour mener une politique un tant soit peu sociale ou réaliser le moindre investissement.
L’AKP pourra-t-il faire tout cela ? Au moins un certain temps ? Les quelques mois à venir nous le diront. En tout cas, ses dirigeants semblent conscients du problème (et des possibilités que cela leur offre) et ils en affichent la volonté politique. En auront-ils la capacité et l’intelligence politiques ? Il serait intéressant de citer ici les propos tenus par le nouveau premier ministre « islamiste rétrograde » Abdullah Gül, dans le quotidien Hürriyet (25/11) : « J’ai été stupéfait de voir dans quel état étaient les choses lorsque j’ai pris mes fonctions. Même le siège de notre parti est plus moderne que le bureau du premier ministre... je viens d’y faire installer le tout premier ordinateur.... » Il est vrai qu’Ecevit, son prédécesseur « laïc, moderniste et progressiste », tenait absolument à taper lui-même tous ses courriers et discours avec sa vieille machine à écrire mécanique.
Le nouveau gouvernement a d’ailleurs annoncé un vaste projet de réformes démocratiques et anti-bureaucratiques et des restructurations économiques et sociales, visant à adapter la Turquie aux « normes de l’UE », afin d’entamer le plus rapidement possible les négociations d’adhésion. L’ensemble de ce projet de restructuration global n’est rien d’autre que le programme de modernisation préparé par la grande bourgeoisie et dont elle réclame à tue-tête la mise en œuvre depuis belle lurette. L’AKP aura carte blanche et tout le soutien nécessaire du patronat s’il s’y attelle réellement comme il le promet.
Certes, une « meilleure gestion administrative » ne pourrait suffire à régler sérieusement tous les problèmes économiques et sociaux d’un pays de l’ampleur de la Turquie. L’histoire récente montre qu’il ne faudrait pas trop compter non plus sur aides européennes pour surmonter les difficultés du processus d’adaptation. Il est clair que l’UE en fera encore moins pour la Turquie que ce qu’elle s’apprête à faire pour intégrer les ex-PECO : et ceci non seulement pour des raisons de « taille économique », de conjoncture mondiale et de volonté impérialiste, mais aussi par profond racisme anti-turc et ostracisme anti-musulman de la classe politique européenne (Vedrine, Scmidtt et Delors autant que VGE et Kohl), sans même parler de l’hostilité ou de l’indifférence (dans le meilleur des cas) de l’opinion publique, voire même de l’intelligentsia de gauche européennes (il faut lire Max Gallo à ce sujet !), peu encline à la sympathie pour le sort de ce pays « oppresseur des kurdes/massacreur des arméniens/dictature militaire/et récemment devenu presque intégriste... et d’ailleurs si complexe, si différent et si difficile à comprendre... ». Pourtant, la bourgeoisie turque continue à tout miser sur l’intégration européenne. Il est vrai qu’elle n’a pas tellement d’autre choix dans l’état actuel du monde et de sa région géographique, d’autant que les 2/3 du commerce de la Turquie se réalisent avec l’UE, avec une union douanière depuis 1995.
A travers toutes ces réformes, la bourgeoisie turque espère pouvoir attirer les investissements du capital international : notons que le taux de capital étranger dans l’économique turque est étonnamment faible pour un pays industrialisé de cette taille. C’est sans doute l’archaïsme de l’Etat turc, la faiblesse relative de son infrastructure, le protectionnisme en vigueur jusqu’à la fin des années 80 et l’instabilité politique des années 90 qui sont la cause initiale de cette méfiance du patronat européen et c’est cela que le grand patronat turc veut changer à travers son projet de réformes pour l’intégration européenne. Elle s’estime désormais assez forte pour - à défaut de concurrencer le capital européen - du moins s’y associer à des conditions pas trop catastrophiques, quitte à lui brader par les privatisations l’imposant appareil industriel du secteur public turc et à démanteler les quelques restes désuets et obsolètes des acquis sociaux de « l’Etat providence ». La bourgeoisie avait besoin d’un personnel politique fiable, dévouée, disposant d’une légitimité populaire et d’une assise électorale suffisamment fortes pour ne pas reculer au moindre problème. L’AKP est candidat à ce rôle, son CV semble convenir à la bourgeoisie, qui a décidé de l’engager... à l’essai.
Il n’est donc pas surprenant, bien au contraire, que malgré son image ou son passé « islamiste », l’AKP se soit en priorité attaqué au problème de l’intégration européenne, promettant notamment de résoudre enfin la question de Chypre dans le cadre du projet présenté par l’ONU, de résoudre certains problèmes de « démocratisation » et de « démilitarisation » restés en suspend depuis des années. La défaite électorale cuisante du nationalisme de gauche et de droite (DSP + MHP), ajoutée à la pression de la bourgeoisie, créent un climat propice pour ces réformes, mais il est encore trop tôt pour voir jusqu’où ira l’AKP.
L’AKP est aussi attendu au tournant sur la question épineuse de la laïcité. Pour être crédible dans ce domaine, il ne lui suffit pas en effet de faire élire 11 femmes sans foulard ni tchador sur ses listes électorales (dont une est devenu ministre du tourisme, alors qu’il n’y avait aucune femme dans le 1er cabinet d’Ecevit !), ni de proposer des collations dans les locaux du partis à ceux qui ne pratiquent pas le jeûne durant le ramadan, ni même de servir de l’alcool à la table du premier ministre. Même le fait qu’Erdogan ait accepté l’invitation à déjeuner de Berlusconi, en plein ramadan, n’a pas suffit à lever tous les doutes, car sa « mutation démocratique » est trop récente et trop rapide pour ne pas paraître un peu louche.
Il est vrai que le même Erdogan avait tenu des propos islamistes purs et durs à vous faire froid dans le dos il n’y a pas si longtemps, et que le naturel peut très bien revenir au galop, d’autant qu’il n’est pas absolument nécessaire d’être un « intégriste afghan » pour mener une politique d’ordre moral réactionnaire, même dans un cadre « laïc » ! Et on ne se méfiera jamais assez de la dimension « revancharde » de l’islamisme turc, qui a mal digéré la victoire républicaine du début du siècle ! De plus, en cas d’échec dans sa politique de réformes ou en cas de nouvelle crise économique, l’AKP pourrait bien sûr être tenté de mettre une bonne couche de baume religieux sur les plaies pour calmer les douleurs des politiques d’austérité...
Ceci étant, si le bouillant « révolutionnaire internationaliste » Cohn-Benditt a pu devenir un tout aussi bouillant défenseur du capitalisme mondialisé, si de fervents penseurs de la révolution mondiale ont pu devenir de sages sénateurs social-démocrates et si un ténébreux militant ex-lambertiste a pu devenir premier ministre socialiste de l’un des pays du G-7... pourquoi ne pas accorder à Erdogan et à ses amis la même capacité d’adaptation aux « lois du marché » et aux avantages du pouvoir ?
Par conséquent, il ne faut sans pas trop s’attendre à ce que la direction de l’AKP fasse à court terme des erreurs flagrantes ou des provocations grossières dans le domaine de la laïcité. Il en va de la réussite de l’ensemble de leur projet. Il ne faut donc pas s’attendre non plus à une tension à court terme entre le gouvernement et « l’armée garante des principes kémalistes et de la laïcité ». Même si l’armée se méfie d’Erdogan et fera tout pour ne pas perdre son influence politique directe et ses avantages de caste bureaucratique privilégiée et « éclairée », elle est aujourd’hui trop liée à la grande bourgeoisie pour contrecarrer ouvertement ses projets (OYAK, le holding qui gère les fonds de pension de l’armée, est aujourd’hui l’un des groupes capitalistes le plus puissant du pays !). Par conséquent, à moins d’un dérapage incontrôlé de part et d’autre ou d’un désaccord réel sur des questions concrètes de politique étrangère ou de politique militaire, les militaires ne voudront pas donner l’impression de ne pas respecter le verdict des urnes.
D’ailleurs, il ne faut pas oublier que la laïcité en Turquie est une laïcité jacobine, un peu à la française. Et c’est surtout ce modèle « trop rigide » que l’AKP prétend contester, et non pas le principe même de la laïcité. Il ne désespère donc pas de convaincre à terme l’armée et la grande bourgeoisie de mettre en place une laïcité « à l’allemande » ou « à l’anglaise », donc un régime très conservateur sur le plan moral, où une plus grande place est donnée à la religion dans l’espace public, avec un contrôle accru des communautés religieuses sur leurs ouailles.
Donc la véritable hantise aujourd’hui n’est pas un « danger d’intégrisme » à court terme, mais que ce parti s’installe durablement au pouvoir comme un pôle de stabilité bourgeoise et pro-impérialiste. Autrement dit, d’avoir l’ordre moral et un meilleur embrigadement des masses dans un cadre de démocratie parlementaire, en prime du capitalisme mondialisé : un capitalisme à visage souriant sous un foulard islamique coquet Christian Dior, des masses pieuses, exploitées et heureuses de l’être... et du whisky à gogo dans les nights-clubs pour les autres : la nouvelle « synthèse turque », le rêve du « bourgeois moderne », quoi !
L’ennui, c’est que dans l’état actuel des choses, on est loin d’être assuré que le socialisme puisse réellement devenir à court terme l’alternative à ce projet de stabilisation bourgeoise et d’intégration européenne... Un effondrement et une régression économique catastrophiques, la montée d’un mouvement de masse ouvertement fasciste ou intégriste, ou encore l’émergence d’une dictature militaire assez féroce et d’une guerre civile chaotique semblent être des candidats plus sérieux pour ce rôle.
Raison de plus de se dépêcher de construire un véritable pôle d’attraction crédible à gauche, réellement démocratique et ancré dans la vie réelle, plus soucieux de projets alternatifs concrets que de discours abstraits datant d’une époque révolue. Comme le souligne si bien le camarade Ufuk Uras : « La gauche est dans une phase de transition. Soit elle va se renouveler soit elle va se pétrifier. Finalement, c’est une bonne chose que de voir que les leçons apprises par cœur par la gauche aient ainsi fait faillite. (...) Aujourd’hui, la tâche la plus révolutionnaire est de mettre en pièces ces leçons apprises par cœur et de se placer au cœur de la vie elle-même. Si la gauche est désormais entrée dans le coma, ce n’est pas ceux qui l’ont mis dans cet état qui vont pouvoir l’en sortir. Il faut faire place aux jeunes ».
Istanbul, le 25 novembre 2002
ENCADRE
Progrès étriqué des nationalistes kurdes
Les nationalistes kurdes se sont présentés aux élections sous le sigle du DEHAP, qui était un parti de « substitution » formé dans l’éventualité d’une dissolution par la Cour constitutionnelle du Parti de la démocratie du peuple (HADEP, présidé par Murat Bozlak). Les listes du DEHAP se présentaient sous la forme d’un « bloc », alliance de dernière minute entre le HADEP et deux petites formations d’extrême gauche : l’EMEP (stalinien, ex-pro albanais) et le SDP (récente scission de l’ÖDP autour de l’ex-Kurtulus), le bloc étant soutenu de l’extérieur par d’autres groupuscules ayant rompu avec l’ÖDP.
Le résultat obtenu par le DEHAP (6,2 % et près de 2 millions de voix) représente un réel progrès par rapport aux 4,7 % et 1,5 million de voix du HADEP en 1999. Mais ce progrès étriqué reste loin des 10 % nécessaires pour être représenté au Parlement... et en tout cas bien en deçà des espoirs entretenus par les dirigeants nationalistes kurdes, qui prétendaient dépasser largement les 10 % et voire même « d’être en mesure d’arriver au pouvoir », comme le proclamait imprudemment Murat Bozlak, président du HADEP. La ventilation régionale du score du DEHAP confirme en effet la faible percée des nationalistes kurdes en dehors de leurs fiefs traditionnels de la région kurde (sud-est).
Le DEHAP réalise certes d’excellent scores dans des villes dont il détient déjà les mairies depuis 1999 : notamment à Diyarbakir où il progresse de 10 % pour atteindre 56 % des voix, 47 % à Batman, 46 % à Sirnak, 45 % à Hakkari ou 40 % à Van. Mais son score est moins bon dans les villes kurdes plus conservatrices comme Urfa (19 %) ou Bingöl (22), où il se laisse devancer par l’AKP. A Gaziantep, la principale ville industrielle de la région, il ne se place qu’en 3e position avec 8 %, loin derrière l’AKP (40 %) et le CHP (19 %). Dans quelques villes méditerranéennes comme Adana et Mersin, ayant une très forte et récente immigration kurde, le DEHAP obtient un score autour de 9 %, supérieur à sa moyenne nationale, mais sa percée (+2 %) reste faible par rapport à 1999.
Dans les zones industrielles de l’Ouest du pays, où il existe pourtant une implantation kurde historique et une immigration récente, il se tasse à un niveau très bas, n’obtenant par exemple que 4 % à Izmir et à Kocaeli. A Istanbul, dont « au moins » un quart de la population (10 millions d’habitants) serait d’origine kurde (et qui serait ainsi la ville du pays abritant le plus grand nombre de Kurdes), le DEHAP avec ses 287.000 voix (4 %) reste bien loin du million de suffrages qu’annonçait sa direction et ne progresse que de 0,6 % par rapport à 1999. A Ankara, la capitale, le DEHAP atteint à peine les 2 %. Partout ailleurs, sa présence reste quasi insignifiante (moins de 2 %).
Pourtant le contexte politique semblait a priori plus favorable que jamais à une plus forte présente électorale : fin des combats dans la région kurde depuis trois ans, climat de décrispation et de libéralisation sur les principaux « thèmes chauds » de la question kurde (suppression de la peine de mort, premiers pas pour l’autorisation de l’enseignement de la langue kurde et pour la diffusion des programmes télévisés en kurde, etc.), accès aux médias (y compris télévision), aucune répression notoire sur la campagne du DEHAP (comme le reconnaissent eux-mêmes ses dirigeants et comme l’attestent ses meetings électoraux de plusieurs centaines de milliers de personnes à Istanbul et à Diyarbakir), l’appui des municipalités de la région kurde (détenues depuis 3 ans par le Hadep), rejet des politiques du gouvernement et vote de protestation massif contre les partis traditionnels partout en Turquie, etc.. Mais c’est précisément sur le plan politique que se sont le plus manifestées les faiblesses devenues chroniques de la direction du mouvement national kurde.
C’est incontestablement dans le domaine de la stratégie politique et des alliances électorales que ces faiblesses ont été les plus flagrantes. Proclamant son intention d’entrer cette fois-ci au Parlement en dépassant le barrage des 10 %, la direction du Hadep s’est lancée d’abord dans la recherche d’une alliance « opportune » capable de dépasser les 10 % en lui garantissant le plus grand nombre possible de sièges de députés, en ratissant large et sans trop se soucier de la famille politique précise de son éventuel partenaire : social-démocrate de droite ou de gauche, droite libérale et même islamiste pur et dur. Pourtant, si l’objectif était d’être « présent au Parlement à tout prix », rien n’empêchait le Hadep de présenter une série de candidats indépendants dans ses bastions régionaux, avec de très fortes chances d’en faire élire près d’une vingtaine, grâce à son hégémonie écrasante dans certaines villes (les 9 députés indépendants de divers droite ont été élus dans des villes de la région kurde). Mais par la suite, le Hadep a soudain changé radicalement de cap, donnant presque l’impression cette fois-ci qu’il ne considérait plus sa présent au Parlement comme étant si opportune, dans l’actuelle conjoncture politique nationale et internationale...
En effet, avant les élections, le Hadep avait initialement lancé un processus de fusion avec le SHP (une des principales fractions de la social-démocratie turque, qui a récemment quitté le CHP), avec pour but de ne plus apparaître comme un parti « ethnique » et « régional ». Ensuite, renonçant à ce projet, il a entamé une série de contacts pour réaliser une alliance électorale porteuse avec le CHP, puis avec l’ANAP et enfin avec les islamistes traditionnels du SP d’Erbakan. Les négociations de liste commune avec les islamistes ont failli aboutir, pour échouer finalement pour cause de dispute sur le nombre de sièges à se partager.
Le DEHAP s’est prononcé alors en faveur d’un « bloc de gauche » avec le SHP et l’ÖDP. Là encore, des négociations très poussées, qui se sont poursuivies en coulisses (et sans la moindre transparence de part et d’autre, même sur les objectifs politiques du projet d’alliance), ont fini par avorter à la dernière minute du dernier jour avant la clôture officielle du dépôt des listes. Quant au « bloc de substitution » Hadep + Emep + SDP, bricolé à la dernière heure et toujours à travers un processus politique totalement opaque, le moindre que l’on puisse en dire est qu’il manquait de « clarté politique » : par exemple, alors que Murat Bozlak se prononçait en faveur d’une intervention américaine en Irak et de l’entrée de la Turquie dans l’UE, ses coéquipiers de l’extrême gauche turque fustigeaient la « guerre impérialiste » et s’opposaient farouchement à l’UE !
Dans un article publié dans le quotidien Radikal (24/11/2002) et présenté par son auteur comme un « regard de l’intérieur à des fins analytiques et non de dénigrement », Faik Bulut, célèbre chercheur et écrivain d’origine kurde, regrette que le DEHAP « se soit cantonné à un simple martèlement de l’identité kurde, sans développer le moindre projet concret de solution et sans se faire le porte-parole des revendications sociales et économiques de la population », avec une emphase régionaliste, même dans les grandes villes de l’Ouest du pays.
Bulut signale qu’un débat interne est en cours au sein du mouvement kurde pour le tirer le bilan de l’échec électoral et précise que dans une série de réunions internes allant de la base au sommet, l’accent est surtout mis sur la nécessité de renoncer « au discours ethnique et au nationalisme primaire (kurdes), qui ne mènent nulle part » et de créer un « nouveau programme et de nouveaux cadres pour se transformer en un parti de toute la Turquie », afin d’être en mesure « d’aborder tous les problèmes chroniques de la Turquie, y compris la question kurde, uniquement sur base de projets concrets ».
Rappelant que la mouvance du Hadep est le produit socio-politique d’une « guerre à basse intensité » qui a duré quinze ans à l’intérieur du pays, Faik Bulut estime qu’il est temps de se transformer. Soulignant le fait que « la formation interne et le recrutement se fait uniquement sur base d’allégeance au noyau de direction centrale », Bulut dénonce également le manque chronique de démocratie interne, la méfiance à l’égard des intellectuels, les manipulations grossières, le manque de cohérence politique, les « interventions en sous-main de certaines forces occultes », ainsi qu’un certain ton de chantage à la violence qui prédomine dans la mouvance kurde : « Il est clair qu’un changement radical de mentalité et de stratégie est nécessaire. (...) Il est évident qu’on ne peut pas affranchir les individus et aboutir à la démocratie, en ayant recours à des procédés faisant appel à l’allégeance, à la fidélité et au culte. Si nous voulons créer notre propre paradis, le paradis des uns et des autres, il nous parler aux vivants et non aux morts, avec la langue des vivants et non celle des morts ».