Au vu des bouleversements et des menaces écologiques, certaines questions reviennent sans cesse : « Pourquoi en sommes-nous encore là ? » et « Que faire ? ». Y répondre demande de déjouer le « greenwashing », c’est-à-dire les effets de communication ou de marketing opérant un verdissement de façade et plus largement les procédés donnant une image trompeuse d’écologisation.
Ces procédés ont eu un rôle certain à la fois dans notre trajectoire socio-environnementale depuis la fin du XXe siècle, et dans l’inertie et les impasses actuelles. Le terme apparaît à la fin des années 1980 quand le « développement durable » s’impose pour prendre en charge les problèmes environnementaux (sommet de la Terre de Rio, 1992) et que de grandes entreprises commencent à s’afficher dans cette voie.
Après les fortes mobilisations des années 1970, où les préoccupations écologiques s’articulaient aux aspects socio-économiques et à la mise en cause des rapports de domination, c’était aussi, de facto, une façon d’évacuer cette dimension critique. Un environnementalisme gestionnaire s’affirme dès lors à travers la promotion d’incitations et d’objectifs, d’écogestes et de chartes écoresponsables, de diagnostics biodiversité ou de services écosystémiques, de politiques publiques… jusqu’à présent largement inefficaces ou biaisées en pratique.
Pas prise en compte des orientations à la hauteur de l’enjeu
Les dernières décennies ont vu dans le même temps la situation se dégrader de façon alarmante. Il n’y a eu aucune inflexion de la courbe globale d’émission des gaz à effet de serre (la moitié du CO2 émis l’a été ces trente dernières années), ni de réduction plus générale de l’empreinte de nos activités, y compris dans des domaines d’action strictement nationale ‒ comme l’illustre en France le fiasco des décisions visant à enrayer l’augmentation de l’usage des pesticides ou l’artificialisation des terres.
Au fil des ans, le greenwashing s’est ainsi installé comme un fait beaucoup plus vaste et structurel de notre histoire récente : la prolifération de discours et de dispositifs faisant illusion, faute de prendre des orientations à la hauteur de l’enjeu. Certes, des lobbies ont pesé pour défendre âprement leurs intérêts en travestissant l’impact délétère d’activités industrielles ou agro-industrielles, ou de modes de consommation hors-sol.
Des gouvernements ont cyniquement joué d’annonces en faveur de l’environnement, avant de les oublier ou d’adopter des mesures antagonistes. Mais cet échec est surtout le résultat d’un monde social où les prétentions écologiques sont subordonnées à d’autres logiques prédominantes.
Echec de l’économisme et de la « techno-solutionnisme »
D’abord, « l’économisme » qui fait primer le modèle de croissance, le libéralisme de marché, et qui continue d’orienter, comme au XXe siècle, nos activités selon les dynamiques du productivisme et du consumérisme.
Ensuite, le « techno-solutionnisme », autrement dit la croyance qu’à tout problème répondra une innovation qu’il suffirait donc de susciter puis de déployer pour poursuivre la marche inexorable du progrès… Ces logiques ont conduit à mal prendre en compte les impératifs écologiques, à mal poser les problématiques de soutenabilité des sociétés, et à mal y répondre.
Le greenwashing a ainsi permis de faire diversion en se satisfaisant de demi-mesures ou de fausses solutions générant des effets rebond ou déplaçant les problèmes environnementaux, tout en poursuivant le business-as-usual. Désormais que la catastrophe écologique impose chaque jour plus durement son évidence, un horizon vertueux serait enfin à portée grâce aux technologies « intelligentes », à l’économie « circularisée » et « dématérialisée », à la « transition énergétique » avec capture du carbone et compensation.
Prendre enfin la bonne direction
Il faut pourtant interroger en profondeur ce que peuvent réellement ces nouvelles promesses, les conditions de leur déploiement, ainsi que les options passées sous silence. Faut-il miser l’essentiel sur le pari de technologies « de rupture », lointaines et incertaines, ou construire au plus vite une société de sobriété et un autre rapport au vivant ?
Face à l’urgence, il est nécessaire de rompre avec les modes de vie très carbonés et de modérer l’impact démesuré des plus riches. Continuer de se bercer d’illusions en floutant la voie que nous prenons ‒ ou pas ‒ revient à empêcher les bifurcations salvatrices.
La compréhension des effets et des formes passés de greenwashing doit nous permettre de dévoiler ceux qui sont encore à l’œuvre ou en train de se recomposer. C’est même un des enjeux des prochaines années : « green deal », « transition », « planification écologique »… , au-delà des formules, quelle histoire allons-nous tracer ?
Laure Teulières
maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université Toulouse Jean Jaurès
Ecrire l’histoire de l’environnement
Le Printemps de l’histoire environnementale, porté par le Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale (Ruche), s’est tenu du 1er au 17 juin. Il vise à donner plus de visibilité à l’approche historique et à la longue durée dans la compréhension des bouleversements écologiques actuels. Il repose sur des initiatives locales pensées comme des espaces de médiation des savoirs et des interrogations citoyennes, afin de renforcer les liens entre recherche universitaire, associations, institutions et public. Les textes sont issus des travaux des historiens participant l’initiative, et leur publication se poursuivra sur le site du Monde jusqu’à la fin du mois de juin.
- « L’adoption et l’évolution des systèmes énergétiques ne se sont jamais faites via de pacifiques transitions », par François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne, et Charles-François Mathis, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne
- « Que s’est-il passé depuis cinquante ans pour que, malgré des centaines de sommets, conférences, traités et conventions, les dérèglements planétaires ne cessent de s’aggraver ? », par Christophe Bonneuil, directeur de recherches au Centre de recherches historiques
- « L’acceptabilité des pollutions industrielles est une invention du monde contemporain », par Renaud Bécot, maître de conférences en histoire (Pacte, Laboratoire de sciences sociales, Science Po Grenoble), et Thomas Le Roux, chargé de recherches au CNRS (Centre de recherches historiques, EHESS)
- « Dans l’itinéraire désastreux pour l’environnement qu’a suivi l’agriculture bretonne, la responsabilité historique de l’agrobusiness et de l’Etat est engagée », par Clémence Gadenne-Rosfelder, doctorante en histoire à l’EHESS, et Léandre Mandard, doctorant en histoire à Sciences Po Paris
- « La croissance économique exceptionnelle des “trente glorieuses” a eu son revers, en particulier sur le plan environnemental », par Yann Brunet, doctorant en histoire contemporaine à l’université Lumière-Lyon-II, et Stéphane Frioux, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Lumière-Lyon-II
- « Il est temps que les enjeux de santé environnementale et de santé au travail fassent cause commune », par Judith Rainhorn historienne, professeure à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne - CHS/Maison française d’Oxford
- « Des techniques de pêche néfastes d’un point de vue environnemental restent autorisées au sein des aires marines protégées » par Romain Grancher, chargé de recherche au CNRS, Laboratoire Framespa
- « Le greenwashing a permis de faire diversion en se satisfaisant de demi-mesures ou de fausses solutions » Laure Teulières maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université Toulouse Jean Jaurès