Emmanuel Macron veut montrer qu’il continuera d’avancer. Malgré le vent de face, qui a soufflé sur les jardins de l’Élysée au point de couvrir sa voix par moments, le chef de l’État n’a pas profité de son interview du 14 Juillet – la troisième depuis 2017 – pour esquisser la moindre inflexion ou remise en question. « Nous allons y arriver », a-t-il lancé face aux journalistes de TF1 et de France 2 qui l’interrogeaient, avant d’exhorter les Français·es à avoir « l’espoir ».
Arriver, peut-être, mais arriver où ? Vingt ans après la célèbre formule de Jean-Pierre Raffarin (« Notre route est droite mais la pente est forte »), le président de la République a tenté de tracer la route de son second quinquennat, pour laisser derrière lui ses débuts laborieux. À défaut d’être droite, sa route à lui est clairement à droite, comme l’ont rappelé deux des rares annonces qu’il a faites jeudi.
Ainsi de la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, qu’il a fixée comme nouvelle priorité économique. « Au retour de l’été, il faudra un texte sur la réforme du travail », a affirmé Emmanuel Macron. Quelques mois à peine après la fin d’un marathon politique et judiciaire, l’assurance-chômage va connaître une deuxième évolution, dans le même sens. « Nous devons aller plus loin, bien sûr », a-t-il expliqué.
La philosophie de ce futur projet de loi est claire : face à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, l’heure est au durcissement des conditions de vie de celles et ceux qui ne travaillent pas afin de les convaincre d’occuper les emplois vacants. Relancé sur la question des salaires ou des conditions de travail, le chef de l’État a répondu : « Si la réponse, c’est “je vais bénéficier de la solidarité nationale pour réfléchir à ma vie”, j’ai du mal à l’entendre. Cette solidarité, c’est ceux qui bossent qui la payent. »
Déjà évoquée pendant la campagne, la poursuite de la réforme de l’assurance-chômage n’était jusque-là qu’une piste de travail parmi d’autres. « Il n’est plus possible d’avoir encore autant de chômage et des postes qui restent disponibles faute de candidats », avait lancé Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence le week-end dernier. Une rhétorique qui plaira au patronat, mais qui risque d’ouvrir, pour le gouvernement, un nouveau front social et politique.
Jusque-là inconstant sur le sujet, Emmanuel Macron semble avoir tranché au profit d’une reprise en main drastique des finances publiques, seul moyen selon l’exécutif de rassurer les marchés européens. C’est dans cette même optique qu’il a précisé le calendrier de la réforme des retraites, discrètement mise en sourdine pendant la période électorale. « Je pense que, dès l’été 2023, il faut qu’on ait une première entrée en vigueur », a défendu le président de la République, après l’ouverture des « discussions » à la rentrée.
Du Macron dans le texte
Les contours de la réforme, quant à eux, sont ceux esquissés avant la présidentielle. « Ce sur quoi je me suis engagé, c’est de dire qu’on doit progressivement décaler l’âge de départ légal jusqu’à 65 ans à l’horizon des années 2030, ce qui veut dire un peu moins de deux ans d’ici la fin du quinquennat, a rappelé le chef de l’État. On doit travailler plus et plus longtemps. » Insistant sur l’idée que « nous travaillons moins que nos voisins », Emmanuel Macron a dissipé le flou qui régnait : « On doit faire cette réforme. »
Sur le plan politique, ces annonces sont autant de signaux envoyés à la droite d’opposition. « Salaires, assurance-chômage, retraites, ubérisation du travail, taxe sur les superprofits : son cap est clair. Sa main tendue ne nous concerne pas », a d’ailleurs réagi le député Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste (PS), sur Twitter. Même l’annonce d’un « plan de sobriété énergétique » cet été a laissé les écologistes de marbre, à l’image du secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Julien Bayou, qui a dit son « vertige ».
Ni Olivier Faure, ni Julien Bayou, ni les autres parlementaires de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) n’étaient les cibles du discours présidentiel du jour. En reprenant les antiennes du parti Les Républicains (LR), auxquelles il faut ajouter le discours sur la dette à résorber, Emmanuel Macron espère contourner son absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Assurant ne pas redouter un quinquennat d’immobilisme, il a voulu se montrer confiant : « Je pense qu’il y aura une responsabilité collective qui prévaudra. »
Sur Uber, le défi et l’aplomb
Fidèle à lui-même, le président de la République s’est toutefois attiré les foudres des élu·es LR lorsqu’il a évoqué leur opposition, mardi soir au Palais-Bourbon, à deux mesures centrales du projet de loi de « veille sanitaire ». Évoquant une « alliance baroque » entre les oppositions, il a qualifié le résultat du scrutin sur l’article 2 de « coup de chaud nocturne ». « Je pense que les LR auront du mal à expliquer devant leurs électeurs ce qu’ils ont fait l’autre soir », a-t-il cinglé.
Une saillie à laquelle a vertement répondu Olivier Marleix, le président du groupe LR à l’Assemblée nationale, sur Twitter. « Non, Emmanuel Macron, le vote de la représentation nationale n’est jamais un “coup de chaud nocturne”, a affirmé le député de l’Eure. C’est la voix des Français dans leur diversité. Apprenez à l’entendre, apprenez ce “respect de chacun” auquel vous invitez. C’est la condition de la réussite pour la France. »
Sur ce sujet comme sur d’autres, Emmanuel Macron a affiché son aplomb habituel, à rebours des promesses d’« humilité » inspirées du revers des législatives. Par exemple, sur ce jour de septembre 2018 où il avait dit à un demandeur d’emploi « Je traverse la rue et je vous trouve un travail », il a assuré qu’il ne regrettait « pas du tout » cette phrase. « C’est la vérité, c’est encore plus vrai aujourd’hui », a-t-il même osé.
En 2020, sa propre épouse, Brigitte Macron, déclarait pourtant qu’elle lui avait reproché cette phrase. « On n’a pas à dire » cela, disait-elle au micro de TF1. Le chef de l’État lui-même jurait, en décembre 2021, qu’il ne redirait « certainement pas » ce type de phrases « terriblement blessantes », car « ce n’est jamais bon et même inacceptable ». Un énième mea culpa formulé à quelques mois de l’élection présidentielle, remisé au placard depuis.
Abordées en fin d’interview, les révélations sur ses liens avec Uber n’ont pas plus fait vaciller le président de la République. « Vous rigolez ou quoi ? », a-t-il lancé à Caroline Roux, qui lui demandait si François Hollande, alors à l’Élysée, était au courant de ses relations avec la multinationale américaine. Balayant d’un revers de main les « prétendues enquêtes » de 43 médias à travers le monde et les méthodes de l’entreprise américaine, Emmanuel Macron s’est félicité d’avoir « ouvert des milliers d’emplois » et lancé, bravache : « Je le referais, totalement. »
Ilyes Ramdani