Les excuses que nous avons entendues de la part du Pape François à Maskwacis cette semaine étaient certes historiques, mais, comme on pouvait s’y attendre, elles manquaient de substance.
Dans ce qui ressemblait à des excuses très soigneusement formulées, le pape a passé sous silence la complicité de l’Église catholique et la dissimulation des abus sexuels dont ont été victimes des milliers d’enfants autochtones pendant plusieurs générations. Le fait qu’il n’ait pas reconnu le rôle de l’Église, tant au niveau individuel qu’en tant qu’institution et organe directeur de ces exactions, a non seulement pour effet d’en détourner la responsabilité, mais sert aussi à mettre davantage d’enfants en danger. Le fait qu’il n’ait pas reconnu son rôle dans le génocide est une omission flagrante qui a blessé de nombreux peuples autochtones.
Le « pèlerinage pénitentiel » du pape au Canada et ses excuses ont eu une grande importance pour certain·es survivant·e s des pensionnats indiens et leurs familles. Ces survivant·e s, qui ont subi d’horribles actes de violence, de racisme et d’oppression de la part de prêtres, de religieuses, de membres du clergé et du personnel catholiques, méritent de recevoir tout ce dont ils ont besoin pour leur propre parcours de guérison. Cette visite papale est un moment très douloureux et déclencheur pour les peuples autochtones, et nous devons continuer à les soutenir.
En même temps, il est important que nous reconnaissions que de nombreux·es autres survivant·e s, familles et communautés veulent plus que des excuses : ils et elles veulent la justice. Les peuples autochtones ont dit d’innombrables fois que la véritable réconciliation doit inclure des actions concrètes de la part de l’Église pour mettre fin aux abus en cours et réparer les préjudices subis. Les excuses sont des sentiments vides sans action correspondante. En d’autres termes, ce voyage aurait dû porter sur des actes de pénitence, et pas seulement sur des regrets présentés comme pénitentiels.
Une lecture attentive des excuses papales démontre une tentative de réduire ou de détourner la culpabilité de l’Église pour les ravages subis par les peuples autochtones, en situant le régime des pensionnats dans le contexte plus large de « politiques d’assimilation et d’émancipation », vraisemblablement celles du gouvernement canadien.
Il a fait allusion à des histoires qu’on lui a racontées sur « la façon dont les politiques d’assimilation ont fini par marginaliser systématiquement les peuples autochtones » et comment le « système des pensionnats » a diabolisé les langues et les cultures autochtones. Bien que tout cela soit vrai et ait causé des dommages et des pertes irréparables, ce que le pape omet de faire, c’est d’expliquer comment les abus physiques et sexuels, les tortures et les décès endémiques de milliers d’enfants et de bébés autochtones aux mains de prêtres, de religieuses, de membres du clergé et du personnel catholiques, n’avaient rien à voir avec les politiques gouvernementales d’assimilation.
Ces abus sexuels étaient liés au racisme, à la suprématie blanche, au pouvoir, à la domination, à l’exploitation et à la dépravation – et non à quelque « indifférence » comme l’a allégué le Pape. Le modèle d’abus sexuels commis par le clergé catholique est un mal bien connu de l’Église catholique et dissimulé pendant des générations, ouvrant ainsi la voie à la poursuite sans relâche de ces agressions. Le fait que le Pape ne reconnaisse pas ce problème et n’en accepte pas la responsabilité laisse non seulement sans excuses les survivant·e s d’abus sexuels qui reconnaissent leurs traumatismes, mais crée également des obstacles au sein de l’Église pour mettre fin à ses abus sexuels dans le monde entier.
Comme le dit le dicton, l’on ne peut pas changer ce que l’on refuse de reconnaître. C’est ce que montrent les abus sexuels qui se poursuivent sans relâche parce qu’ils sont facilités par des dissimulations au sein de l’Église en tant qu’organisation. De nombreux rapports, enquêtes, commissions et aveux de responsables de l’Église indiquent que celle-ci est plus préoccupée par son image que par la protection des enfants contre les abus sexuels commis par son clergé.
Les dissimulations de l’Église au niveau supérieur comprennent la destruction de documents ; le refus de divulguer des documents ; des tactiques agressives de litige et de contre-poursuites intentées contre les survivant·e s et leurs familles ; et/ou le refus de demander des comptes à ses membres – alors même que l’Église elle-même sait exactement lesquels des membres de son clergé sont « accusé·e s de manière crédible d’abus sexuels sur des enfants ».
La même critique des excuses papales s’applique au fait que le pontife n’a pas reconnu que les atrocités commises contre les peuples indigènes d’Amérique du Nord et du Sud sont non seulement équivalentes à un génocide, mais ont en fait été autorisées par l’Église.
La soi-disant « Doctrine de la découverte » était une sorte de déclaration catholique, qui prétendait que, de par la loi et l’intention divine, les dirigeants chrétiens (catholiques) étaient habilités à revendiquer et à exploiter les terres habitées par des païens (peuples autochtones). Cela se reflète dans une série de bulles papales, dont celle émise par le pape Alexandre VI en 1493, qui a autorisé la revendication de toutes les terres non chrétiennes « découvertes » par les souverains chrétiens et leur ordonnait de veiller à ce que tous les « pays barbares soient renversés ». En fait, ces bulles prétendaient accorder les Amériques à l’Espagne et l’Afrique au Portugal ; tandis que d’autres pays européens (l’Angleterre et la France, par exemple) se sont précipités pour réclamer les terres que d’autres n’avaient pas encore « découvertes ».
Bien que le Saint-Siège ait essayé de prendre ses distances par rapport aux bulles papales des années 1400, en déclarant que ces documents « n’avaient plus aucune valeur depuis des siècles », le Pape a jusqu’à présent refusé d’annuler, d’abroger et/ou de répudier officiellement cette doctrine. Et ce, malgré le fait qu’il ait également reconnu que cette doctrine avait été intégrée dans divers systèmes juridiques.
Nous savons aujourd’hui que cette doctrine est au cœur de la colonisation, soit l’affirmation illégale de la souveraineté européenne sur des terres indigènes, et des actes violents et souvent mortels de génocide contre des peuples indigènes. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a confirmé que ce génocide se poursuit au Canada et a demandé la mise en œuvre complète de tous les appels à l’action du Rapport de la Commission Vérité et Réconciliation, qui demandait notamment à l’Église catholique et au gouvernement fédéral de répudier la « Doctrine de la découverte ».
Pamela Palmater