La ligne du TGV Est est certainement la dernière à avoir été réalisée essentiellement par des fonds publics, répartis entre l’État, les régions, la SNCF et Réseau ferré de France (RFF). Pour les prochains chantiers, RFF envisage de faire appel à des entreprises privées dans le cadre de partenariats public-privé, par exemple pour financer les 300 kilomètres de la nouvelle ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux. Mais qui dit financement privé dit également « retour sur investissement » pour des entreprises dont la seule motivation est de dégager des profits.
Cela ne veut pas dire que RFF n’a pas fait appel au privé pour la construction de la ligne Est. Pour baisser ses coûts, RFF a, en effet, fait « jouer la concurrence » au maximum entre les sous-traitants sur un chantier qui a occupé jusqu’à 4 000 travailleurs.
Lors de la construction du viaduc de Millau, la société Eiffage s’était félicitée, dans sa communication, de n’avoir eu aucun mort sur le chantier. Bref, quand il n’y a pas d’accident cela se sait, mais ici : silence radio ! Si on nous indique que l’équivalent de quinze pyramides de Kheops a été utilisé en remblais sur les 300 kilomètres de la nouvelle ligne, on ne donne aucun bilan des accidents du travail. Alors qu’il y a eu dix morts lors de la construction de la ligne TGV Med, il serait opportun que les syndicats demandent et fassent connaître « le bilan social » de la construction de la ligne Est.
À l’aide de grands coups de cocoricos sur « l’excellence française », le TGV apparaît de plus en plus comme la vitrine de la SNCF. Mais cela se fait au détriment des autres activités ferroviaires. Sur la gare de Paris-Est, c’est par exemple flagrant. Alors que plus de cinq milliards d’euros ont été dépensés pour le TGV Est, c’est la galère quotidienne pour les banlieusards : trains supprimés en cascade pour matériel défectueux ou manque de personnel, chauffage et climatisation en rade, trains bondés et régulièrement en retard. Sur l’axe Paris-Bâle, non électrifié, il sera maintenant plus facile d’aller à Bâle en passant par Strasbourg, et les usagers ont carrément l’impression d’être abandonnés. Sans parler du transport de marchandises, dont la SNCF tente de se débarrasser du fait de son coût d’exploitation « trop élevé » suite à l’augmentation des péages par RFF. En gros, dans sa course à la rentabilité, la SNCF... fait rouler des camions !
Autre problème de taille : les prix ! Ceux-ci ont augmenté considérablement, notamment pour rembourser la construction de la ligne. Au final, un chantier qui aura bénéficié de l’argent de tous (nos impôts) servira avant tout à un public aisé, « les hommes d’affaires », sur lequel la SNCF se concentre actuellement « pour faire concurrence à l’avion ».
On pourrait dire que la SNCF a finalement bien compris le système de la concurrence : sur la banlieue, les travailleurs n’ont d’autre choix que de prendre le train pour aller bosser, donc pas besoin de faire des efforts pour « consolider une clientèle ». En revanche, pour le TGV, l’avion est un « vrai concurrent » et il faut donc mettre le paquet sur le service en gare et à bord des trains, la rapidité et la régularité. Déjà, Air France envisage de faire rouler des TGV, aux couleurs de sa compagnie, en 2012, au moment de la libéralisation du trafic voyageur...
Tout ceci révèle l’aberration de ce système. Il faut s’opposer à ce que les entreprises privées fassent rouler des trains pour dégager des profits sur des lignes financées par l’argent public. Au moment où tout le monde verse sa larme de crocodile sur le réchauffement climatique, il est plus que temps d’imposer un service public des transports, basé sur la coopération entre les entreprises publiques et non sur la concurrence, qui favorise nettement le transport sur rail, en instaurant la gratuité afin que tout le monde puisse prendre le train et laisser sa bagnole au garage.