Le président du Conseil italien, Mario Draghi, à la tête du gouvernement depuis le 13 février 2021, a donné sa démission le 20 juillet. Malgré une très large majorité parlementaire, le soutien enthousiaste de toute la presse et de la télévision grand public, de la Confindustria et de toutes les principales associations patronales, de l’Union européenne et des autres institutions impérialistes occidentales, le « gouvernement des meilleurs » a dû toutefois renoncer.
Une crise annoncée
La crise avait déjà été déclenchée en janvier 2022 suite à l’échec du projet de transférer l’ancien président de la Banque centrale européenne directement de la présidence du Conseil des ministres à la présidence de la République – en remplacement de Sergio Mattarella –, ce qui aurait imposé un « présidentialisme de fait ». Elle s’est ensuite déchaînée, à la mi-juillet, suite au choix du Mouvement 5 étoiles. En effet, ce dernier, pour tenter de retrouver une assise populaire en voie de perdition, a entamé une prise de distance avec le gouvernement, tout en continuant à garder certains ministres en son sein. En quelques années, le mouvement « grillino » [du nom de son fondateur Beppe Grillo] était passé de 33% des voix en 2018 à un peu plus de 10% dans les sondages. Sa fraction parlementaire à la Chambre, comptant initialement de 221 députés (sur 630), a été réduite à 97 à la fin de la législature. Il faut rappeler que 66 anciens députés et députés « grillini » ont rejoint le groupe mixte [les députés qui ne sont membres d’aucune fraction partisane], 51 autres ont suivi l’ancien « leader politique » Luigi Di Maio dans la constitution d’un groupe explicitement loyal au chef du gouvernement Mario Draghi. A cela il faut ajouter ceux qui ont rejoint la Ligue [de Matteo Salvini] ou le parti Forza Italia du détesté Silvio Berlusconi ou le Parti démocrate-PD [d’Enrico Letta, secrétaire en fonction du PD depuis mars 2021]. Jamais dans l’histoire de l’Italie, pourtant marquée par de fréquents épisodes de transformisme, on n’a assisté à un passage aussi massif d’élus d’une formation à une autre.
La crise s’est ensuite précipitée en raison du choix des formations de droite de se réunir dans l’opposition, estimant que ce choix était plus payant en vue des élections générales qui devaient se tenir au plus tard au mois de mai 2023. En effet, jusqu’à ce moment, alors que les Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni étaient toujours restés dans l’opposition, tant la Lega de Matteo Salvini que Forza Italia de Berlusconi avaient participé à la majorité qui avait jusqu’alors soutenu le gouvernement Draghi. Il s’agissait pour ces deux formations d’un choix largement prévisible, puisque le positionnement dans l’opposition au gouvernement avait fortement contribué à la montée dans les sondages du parti de Giorgia Meloni, d’une part, et au déclin parallèle de la Ligue de Salvini, d’autre part.
Ainsi, le président de la République Sergio Mattarella a dissous les Chambres le 21 juillet et convoqué de nouvelles élections pour le 25 septembre.
Malgré les nombreux signes indiquant que le gouvernement était au bout du rouleau, l’ensemble du monde politique a été désorienté par la crise politique comme s’il s’agissait d’un coup de tonnerre. Les journaux, les chaînes de télévision et les organisations d’employeurs se sont battus pour que Draghi reste au Palazzo Chigi [siège de la présidence du Conseil]. De nombreuses pétitions ont même été lancées dans ce sens. On peut citer celle de Matteo Renzi [ancien dirigeant du PD, sénateur, à la tête de la formation Italia Viva ; Renzi est financièrement très lié aux monarchies du Golfe] qui aurait recueilli plus de 100 000 signatures et celle signée par une centaine de managers et publiée par le journal patronal Il Sole 24 Ore le 19 juillet. Même les confédérations syndicales et Maurizio Landini, leader de la CGIL, ont souhaité que Draghi reste « dans la plénitude de ses fonctions ».
Beaucoup ont donc fait pression pour que le « gouvernement des meilleurs » reste en place. Mais Draghi a montré qu’il lui manquait, au moins au cours de ces 18 mois de gouvernement, non seulement la culture politique spécifique mais aussi et surtout les instruments nécessaires pour gérer une situation aussi complexe. Cette incapacité s’est manifestée bien que son gouvernement ait eu à sa disposition les 200 milliards d’euros alloués par l’UE à l’Italie dans le cadre du plan Next Generation. Nombreux espéraient recevoir une part plus ou moins importante de ce « cadeau ». Et son gouvernement se situait dans une période caractérisée par une politique économique relativement expansive, favorisée en outre par des taux d’intérêt bas et la suspension des « critères de Maastricht », ce qui impliquait la possibilité sans précédent d’accroître les déficits budgétaires. La crise gouvernementale constitue dès lors un frein aux appétits plus ou moins exprimés de toutes ces entreprises qui voulaient récolter le maximum d’une pluie de milliards, providentielle et inattendue.
Les racines de la crise
Plus profondément, les contradictions socio-politiques jamais résolues du capitalisme italien ont fait leur œuvre. L’économie italienne a connu ses meilleurs moments à l’époque de la « coexistence pacifique » entre l’Est et l’Ouest et dans le cadre d’une relation de collaboration avec de nombreux pays du Moyen-Orient. La précipitation de la crise au Moyen-Orient, déclenchée par les guerres en Irak et en Afghanistan, les tensions persistantes avec l’Iran, la guerre en Syrie et, enfin, l’invasion de l’Ukraine par Poutine ont créé un obstacle sans précédent, et très fort, pour l’économie du pays. Celle-ci a toujours pris appui sur les exportations, une caractéristique qui s’est accentuée ces dernières années également en raison de la contraction budgétaire freinant la demande intérieure.
Le gouvernement de Mario Draghi, en outre, avec son option en faveur d’une relance, très médiatisée, de la « vocation » atlantiste et occidentale de l’Italie, a suscité de vastes réactions de mécontentement, mues non pas tant par un penchant neutraliste et pacifiste, mais plutôt par la peur bien réelle de la part de larges secteurs de la moyenne et de la petite bourgeoisie de perdre définitivement d’importantes parts du marché mondial (fermeture presque totale du marché russe, disparition dans les stations touristiques italiennes des Russes et, dans une large mesure, des Chinois, etc.).
A tout cela se sont ajoutés les effets conjugués de la crise économique et de l’« économie de guerre », avec la hausse soudaine et forte du prix de nombreuses matières premières et la réexplosion d’une inflation que le pays n’avait pas connue depuis des décennies (plus de 8%, mais plus de 10% pour les biens alimentaires et quelque 43% pour l’énergie).
La bourgeoisie italienne – traditionnellement et de plus en plus ces dernières années – se caractérise par un contraste croissant entre les intérêts des secteurs qui sont étroitement liés aux classes dirigeantes capitalistes internationales et une bourgeoisie diffuse, fragmentée en une myriade de petites et moyennes entreprises (PME) à la merci des fluctuations du marché mondial et des politiques gouvernementales. En Italie, le monde des PME représente 99,9% du nombre total des entreprises, contribue à plus de 70% du chiffre d’affaires du pays et emploie plus de 81% des salarié·e·s.
Cette contradiction est souvent illustrée (et d’une certaine manière sous une forme simplifiée) en rappelant l’antinomie entre une économie du Nord-Est intégrée au système d’Europe centrale et un Sud arriéré qui n’est même plus irrigué par l’industrie d’Etat. Ce profond contraste d’intérêts a été géré avec une relative facilité tant que les politiques capitalistes permettaient une gestion plus aisée des ressources. Mais ces derniers temps, l’effondrement du marché intérieur, la fin de toute politique dite inflationniste, les profondes mutations technologiques, la « libéralisation » qui pénalise les rentes de situation de nombreuses PME, ainsi que les restrictions sanitaires adoptées pendant la pandémie et la récente flambée des prix de l’énergie, ont ravivé ce clivage d’une manière nouvelle.
Et ce, bien que ces dernières années, la crise du Covid-19 et, plus généralement, la crise économique aient mis à la disposition de l’économie italienne des ressources qui étaient totalement impensables il y a seulement deux ou trois ans : les 200 milliards du PNRR-Piano nazionale per gli investimenti complementari (Next Generation) en plus des 170 milliards alloués en puisant dans le crédit national et international grâce à la « suspension » des critères de Maastricht. Mais pour l’avenir, il est très improbable que ces opportunités se présentent à nouveau.
Par conséquent, le futur gouvernement de droite (si les prévisions actuelles des sondages se confirment) devra faire face de manière concrète à ces contradictions qui, par ailleurs, traversent profondément sa base sociale.
Toutes les principales forces politiques s’empressent d’affirmer que chacune d’entre elles garantira « plus de ressources pour les familles et les entreprises », mais toutes restent très fidèles aux diktats de la pensée néolibérale. En revanche, dès les premiers jours de son gouvernement (février 2021), Mario Draghi, sous les applaudissements de tous les partis qui le soutenaient, avait, de manière explicite, souligné que les aides aux entreprises, ce « keynésianisme patronal » que l’UE a adopté après la pandémie, devaient récompenser « uniquement les entreprises viables » et non celles jugées « sans avenir ». Et, plus ponctuellement, au début du mois d’août, le Parlement a approuvé à une très large majorité (avec la seule opposition de Fratelli d’Italia qui a voté contre, dans le but démagogique de gagner l’appui de quelques petites sociétés) le décret sur la « concurrence » qui permet un processus accru de privatisation des services publics.
Une crise politique qui dure depuis des décennies
Le système politique sur lequel s’appuient les classes dirigeantes italiennes traverse d’ailleurs une crise majeure depuis plusieurs décennies. Il a été délibérément « violé » en 2011, lorsque la bourgeoisie italienne et l’Union européenne ont, en quelque sorte, forcé Berlusconi à démissionner pour installer le gouvernement « technique » de Mario Monti (novembre 2011-avril 2013). Il a ensuite vécu l’expérience de la courte mais controversée saison du gouvernement de Matteo Renzi [février 2014-décembre 2016], qui a échoué en raison de son empressement à en faire trop. [Lui succède le gouvernement de Paolo Gentiloni de décembre 2016 à juin 2018.] Enfin, le système politique italien a dû faire face à l’apparition d’un acteur initialement inconnu et capricieux comme le Mouvement 5 étoiles, avec son action gouvernementale désinvolte, d’abord en alliance avec la droite de Matteo Salvini [de juin 2018 à septembre 2019, sous la houlette de Giuseppe Conte], puis avec le PD et enfin avec les deux [Conte démissionne en janvier 2021 ; le président Mattarella ouvre la porte à Mario Draghi].
Mais cette crise du système politique n’a nullement été résolue par le projet bonapartiste de Draghi sur lequel s’est rassemblée une grande partie du monde politique et économique bourgeois. Le projet a en fait cherché à compenser la crise générale des partis politiques en s’appuyant sur le charisme de l’ancien président de la Banque centrale européenne. Draghi, cependant, malgré sa crédibilité internationale, ne pouvait s’appuyer sur aucune force politique propre. Il prenait appui sur une majorité parlementaire extrêmement composite et querelleuse, qui, bien que cimentée par une adhésion générale à l’idéologie néolibérale, était animée d’une très forte concurrence politique, qui, à l’approche des élections, ne pouvait que croître.
Draghi a remplacé le véritable consensus populaire par des panégyriques et des flatteries médiatiques, qui, bien sûr, peuvent faire l’affaire pendant un certain temps mais qui, à l’approche des élections, manifestent toute leur vacuité.
Un mois avant le vote
Il ne reste plus qu’un mois avant la date du scrutin (dimanche 25 septembre) pour l’élection la plus impondérable de l’histoire récente de l’Italie.
Le contexte institutionnel même dans lequel se déroulent ces élections suffit à les rendre extrêmement imprévisibles. En effet, c’est la première fois depuis la fin du fascisme que les élections au parlement national ne se déroulent pas, comme traditionnellement, au printemps mais au début de l’automne, avec une campagne électorale qui se développe en pleine saison estivale, donc à un moment qui n’est pas exactement adéquat pour permettre le réveil de l’électorat, surtout de l’électorat populaire. L’intérêt pour la « vie politique », au cours des dernières décennies, s’est progressivement émoussé au point d’atteindre, lors des dernières élections régionales et locales, des pourcentages de participation inférieurs à 50% (et même, dans les régions les plus marquées par la détérioration sociale, inférieurs à 40%).
En outre, ces élections, comme celles de 2018, se dérouleront sur la base d’une loi électorale désormais universellement considérée comme antidémocratique, confuse et inadéquate, mais qui a été approuvée en 2017 grâce au vote favorable d’une large majorité composée du PD, de la Lega, de Forza Italia et d’autres formations mineures de centre-droit. Cette loi est appelée « Rosatellum » [1], du nom de son créateur, Ettore Rosato, à l’époque chef du groupe PD au parlement et désormais coordinateur national d’Italia Viva, le groupe dirigé par Matteo Renzi qui s’est séparé du PD en 2019.
Pour rendre le contexte réglementaire encore plus confus, la réforme constitutionnelle de 2020 a réduit le nombre de parlementaires italiens de 945 (630 à la Chambre et 315 au Sénat) à 600 (400 à la Chambre et 200 au Sénat), une réforme clairement démagogique, souhaitée par le Mouvement 5 étoiles dans sa ferveur « antisystème » mais ensuite soutenue avec plus ou moins de conviction par l’ensemble de l’arc parlementaire, au point d’être approuvée en 2020 avec une majorité qu’on aurait autrefois qualifiée de « bulgare » (à la Chambre 553 voix pour, 14 voix contre et 2 abstentions). Cette réforme, qui a flatté les citoyens en leur donnant l’illusion qu’elle réduirait ainsi les privilèges de la « classe politique », a en réalité concentré le pouvoir entre les mains d’un nombre encore plus restreint de personnes. Elle a accru la dépendance des députés vis-à-vis des groupes dirigeants de leurs partis et a contribué de manière significative à augmenter le pouvoir du gouvernement par rapport à celui du parlement.
En outre, cette réforme n’a pas été complétée par les modifications réglementaires nécessaires et prévues, de sorte que les élections du 25 septembre se dérouleront encore davantage dans un contexte de règles électorales particulièrement confuses et, à certains égards, non définies, ce qui augmentera encore leur caractère non démocratique. Il n’est pas surprenant que tous les commentateurs soulignent que, grâce à cette loi électorale irréfléchie, il suffirait à la droite d’obtenir 45 à 46% des suffrages exprimés pour disposer d’une majorité significative au Parlement (plus de 60%).
Mais, bien sûr, les aspects les plus inquiétants des prochaines élections se situent sur le terrain politique.
La 18e législature [de mars 2018 à octobre 2022] a déjà été la plus étrange de l’histoire de la République. Elle s’est ouverte sur la surprise d’une large majorité relative (près de 33%) attribuée par l’électorat à la force politique italienne qui est apparue, jusqu’à présent, comme la plus « inhabituelle » : le Mouvement 5 étoiles fondé en 2009 par le comique Beppe Grillo et dirigé par celui-ci. L’inconsistance politique et même humaine d’une grande partie de cette formation a progressivement conduit, comme nous l’avons déjà signalé, à un exil de bien plus de la moitié de ses membres élus.
Mais les particularités de la 18e législature qui s’achève ne s’arrêtent pas là. Comme on le sait, la législature s’est ouverte sur l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement dirigé par un juriste et professeur de droit privé, alors totalement inconnu, Giuseppe Conte. Son gouvernement prenait appui sur le Mouvement 5 étoiles et la Ligue de Matteo Salvini. Le gouvernement est ensuite entré en crise face aux ambitions de Salvini, encouragé par le succès écrasant de son parti aux élections européennes de mai 2019, lorsque la Ligue est passée de 17,4% en mars 2018 (lors des élections générales) à plus de 34% en un an.
C’est dans un tel contexte que l’ensemble du monde politique italien a soudainement dû s’affronter à une nouvelle échéance électorale (celle de septembre 2022), qui l’a pris totalement au dépourvu. En revanche, Giorgia Meloni de Fratelli d’Italia faisait pression pour des élections anticipées. Elle espère transformer les 24% que les sondages lui attribuent en un véritable ralliement.
La droite de Meloni, Salvini et Berlusconi
La coalition de droite, composée de Fratelli d’Italia, de la Ligue, de Forza Italia (ainsi que de la liste des anciens chrétiens-démocrates « Noi Moderati », dirigée par Maurizio Lupi) est divisée par le différend « historique » entre Meloni et Salvini sur l’orientation de l’alliance et donc sur qui sera le candidat à proposer à Mattarella pour le poste de président du futur gouvernement. Comme on le sait, tous les sondages donnent Giorgia Meloni gagnante, même si Salvini ne semble pas encore se résigner à un rôle subalterne. Berlusconi, désormais hors jeu, vise à devenir le prochain président du Sénat (qui, selon la Constitution italienne, est également la deuxième fonction de l’Etat) et, pourquoi pas, aspire même secrètement à remplacer Mattarella en cas de démission de celui-ci. Sa force politique, autrefois ultra-hégémonique au centre droit, a été encore affaiblie par le détachement de la partie plus « pro-européenne » et centriste (de Forza Italia) et plus hostile à la suprématie de Meloni et Salvini, qualifiés d’« extrémistes, souverainistes et plus liés aux régimes autoritaires d’Europe de l’Est » (Hongrie, Pologne).
Les tensions internes à la coalition ont été exacerbées par les traditionnelles batailles sur la répartition des « candidatures sûres » [certaines d’être victorieuses], une répartition rendue plus complexe par le profond bouleversement de l’équilibre des pouvoirs entre les trois principales formations. Les divisions n’opèrent pas seulement entre les partis, mais aussi, et d’une manière parfois plus insidieuse encore, au sein de chaque parti. Par exemple, au sein de la Ligue, il existe un secteur plus organiquement réactionnaire et démagogique qui s’identifie à Salvini. Un autre est agi par de solides préoccupations entrepreneuriales et a pour point de référence le ministre du Développement économique Giancarlo Giorgetti [depuis février 2021] et certains présidents de région comme Luca Zaia [président de la Vénétie depuis avril 2010] et Massimiliano Fedriga [président de la région Frioul-Vénétie Juilienne depuis mai 2018]. Une différenciation interne similaire existe chez Fratelli d’Italia. Il en va de même dans Forza Italia, mais ces différenciations internes ont abouti au départ du parti de ses trois ministres, Mariastella Gelmini [ministre des Affaires régionales depuis février 2021], Mara Carfagna [ministre pour le Sud et la Cohésion territoriale depuis février 2021] et Renato Brunetta [ministre de l’Administration publique depuis février 2021]. Les deux premières se représentent sur la liste Calenda-Renzi [Carlo Calenda, entrepreneur, est député européen], tandis que Renato Brunetta a choisi de ne pas se présenter.
Cependant, la droite affirmée est déjà en campagne, avec ses traditionnels arguments démagogiques agressifs, la « sécurité », la flat tax et, plus généralement, la diminution de la pression fiscale. Toutes ses « promesses » traditionnelles sont destinées à attirer, bien que trompeuses, un certain électorat.
Parallèlement à ces mots d’ordre usés sur le terrain « social », cette droite propose une réforme constitutionnelle radicale dans un sens « présidentialiste » et « autonomiste ». L’autonomie régionale donnera plus de ressources aux régions les plus riches, tout en en retirant autant aux régions les plus pauvres. Quant à l’élection directe du Président de la République, il s’agit d’une proposition très insidieuse, car elle s’appuie sur un profond désenchantement et une désaffection des couches populaires à l’égard de la forme institutionnelle actuelle, considérée à juste titre comme de plus en plus vide et dénuée de toute attention portée aux intérêts des larges masses. En même temps elle jouit d’un certain attrait auprès de la grande bourgeoisie et réponde à son souhait d’un Etat qui réponde plus promptement et rapidement aux intérêts mouvants des classes dirigeantes.
Selon les règles actuelles, une telle réforme constitutionnelle nécessiterait un processus de délibération long et complexe, mais qu’un résultat largement majoritaire pour la coalition de droite pourrait rendre possible.
Il convient également de souligner que, si les prévisions se confirment et, par conséquent, si cette droite remporte les élections et, grâce à la loi électorale, obtient une large majorité parlementaire, l’Italie sera le premier pays d’Europe occidentale (hormis l’Autriche) à être gouverné par une coalition de droite affirmée, de surcroît dirigée par un parti (Fratelli d’Italia) qui est l’héritier direct du fascisme. Et ce, dans un pays dont la Constitution (art. XII) stipule toujours : « La réorganisation, sous quelque forme que ce soit, du parti fasciste dissous est interdite » (Dispositions transitoires XII). Dans un pays qui, durant l’été 1960 [à Gênes, à Rome, à Reggio d’Emilie, à Palerme], a vu de grandes masses de jeunes et de travailleurs engagés dans de durs combats de rue (onze morts et des centaines de blessés sous les coups de la police) contre la formation d’un gouvernement démocrate-chrétien avec le seul soutien extérieur du Mouvement social italien [dont le leader le plus en vue était Giorgio Almirante], parti dont Fratelli d’Italia se proclame l’héritier et dont il arbore l’emblème (la flamme tricolore).
Giorgia Meloni, dans des propos plus fallacieux que ceux de Marine Le Pen, n’a jamais pris, de fait, ses distances avec le fascisme. Les liens entre son parti et certains groupes explicitement néo-nazis et néo-fascistes sont bien documentés.
Depuis des années, cette droite a largement envahi le champ populaire qui, il y a quelques décennies encore, semblait un bastion inexpugnable de la gauche. Il s’agit d’une percée qui n’est pas encore structurée. Toutes les tentatives d’organiser des syndicats étroitement liés au courant de cette droite ont jusqu’à présent échoué. Il est bien connu que, surtout dans le Nord, de nombreux électeurs de la Ligue adhéraient au syndicat de « gauche » CGIL. La force de la droite dans ces régions repose sur l’inexistence d’autres repères politiques et culturels et surtout sur la disparition de la gauche. La conquête du gouvernement national pourrait être l’instrument décisif pour consolider cette percée.
Des décennies durant, l’Italie fut considérée dans le panorama politique de l’Europe occidentale comme le pays où la gauche était la plus « forte » – représentée dans les années 1970 par le PCI et les forces de l’extrême gauche –, et disposait du plus haut niveau de syndicalisme actif. Aujourd’hui, ce pays fait figure de « ventre mou » de l’Europe industrialisée, le premier maillon de la réaction politique la plus violente.
Le centre gauche
Quant au « centre gauche », la coalition en vue des élections, après une longue et grotesque négociation pour s’élargir aux formations centristes libérales, n’a réussi qu’à obtenir le soutien des héritiers ultra-libéraux du Parti radical de « +Europa » et des partisans inconsistants de l’ex-5 étoiles pro-Draghi, le ministre des Affaires étrangères Luigi Di Maio. Quant à la formation « macroniste » [Azione] de Carlo Calenda, elle a rompu avec le PD et se présentera en coalition avec « Italia Viva » de Matteo Renzi. L’objectif de cette dernière micro-coalition (dont on ne sait pourquoi les médias s’obstinent à l’appeler le « troisième pôle », étant donné que tous les sondages la placent en quatrième position, après la droite, le centre gauche et le M5S) consiste à tenter de soustraire des voix à la fois à la droite et au centre gauche, afin d’empêcher la formation d’une majorité d’une couleur ou d’une autre et de pouvoir ainsi jouer le rôle de départageur et, de la sorte, d’avoir la possibilité de proposer un nouveau gouvernement Draghi.
Après une discussion complexe, mais avec des conclusions largement acquises, la coalition dirigée par le PD a également été rejointe par Sinistra Italiana (de Claudio Grassi) et Europa Verde. Ce choix a provoqué un mécontentement généralisé, en particulier au sein de la base militante, certes réduite, de Sinistra Italiana, étant donné que cette coalition se profilera sur un programme centré sur le soutien à « l’agenda Draghi », c’est-à-dire le programme de contre-réformes ultralibérales, autoritaires et anti-écologiques ainsi que sur la ligne « atlantiste » qui caractérisait le gouvernement d’« unité nationale » qui a démissionné le 21 juillet.
Pour montrer quelle est la tendance hégémonique du centre gauche, il suffit d’indiquer la candidature importante et emblématique à Milan, sur les listes du PD, de Carlo Cottarelli, un économiste du Fonds monétaire international et de la Fondazione Italia-USA, ainsi que président du comité ultralibéral Programma per l’Italia.
La liste « Alleanza Verdi-Sinistra », créée grâce à la confluence de Sinistra Italiana (SI) et Verdi Europa (VE) au sein de la coalition dirigée par le PD, pour tenter de contrebalancer cette tendance, présente des candidats particulièrement représentatifs, tant du côté des droits civils (comme Ilaria Cucchi, la sœur d’un jeune homme tué en 2009 lors d’un passage à tabac par les carabiniers, qui après dix ans de lutte a réussi à faire condamner les auteurs de ce meurtre) que des droits syndicaux (comme Aboubakar Soumahoro, un syndicaliste ivoirien ex-membre de l’USB-Unione Sindacale di Base, bien connu pour son combat en faveur des travailleurs agricoles migrants).
Toutefois, la coalition dirigée par le PD souffre par toute son ambiguïté. Elle se caractérisera comme étant de gauche grâce à la participation de Sinistra Italiana et Verdi Europa, mais sur le plan programmatique, elle visera à soutenir la relance du projet néolibéral de Draghi. Le leader du PD, l’ancien démocrate-chrétien Enrico Letta, espère que cette ambiguïté permettra à son parti de rassembler des soutiens des deux côtés, mais il est tout aussi possible que cette ambiguïté lui fasse perdre des soutiens des deux côtés.
Le PD, après les convulsions de la dernière décennie entre le libéralisme populiste de Matteo Renzi et le travaillisme pâle de Nicola Zingaretti [président de la région du Latium], et après les 18 mois de gouvernement Draghi, est aujourd’hui clairement un parti libéral-démocratique, affublé d’une culture faussement réformiste et populaire (bien illustrée par les saucisses des fêtes de l’Unità – ce qui renvoie historiquement aux rassemblements massifs et populaires, annuels, organisés par le PCI), mais enraciné presque exclusivement dans les quartiers aisés. Ce qui traduit une recherche permanente et d’une certaine manière désespérée de se consolider comme point de référence politique pour les classes dirigeantes et les institutions impérialistes internationales.
Ainsi, Enrico Letta, inquiet des inconnues de la prochaine échéance électorale, a choisi de se projeter notamment sur le versant rassurant du « vote utile », agitant le spectre du danger d’un large succès de la droite affirmée et de Giorgia Meloni en particulier, une crainte qui peut certainement mobiliser un secteur de l’électorat attentif aux questions des droits civiques et de la défense de la Constitution. Mais seulement si l’on fait abstraction de la lourde responsabilité qui pèse sur le PD, ainsi que sur l’ensemble du centre gauche, pour l’ambiguïté, la réticence et la timidité avec lesquelles ils ont fait face à certaines questions portant sur les libertés individuelles, sur les droits de citoyenneté. Sans mentionner les graves contre-réformes institutionnelles et constitutionnelles antidémocratiques qui, avec leur consentement, ont dénaturé des points importants de la Constitution de 1948, pour aboutir de manière irresponsable à attribuer aux héritiers du fascisme la qualité de « démocrates ».
Le mouvement de Giuseppe Conte
Comme nous l’avons déjà dit, le Mouvement 5 étoiles arrive à ces élections déconcerté par l’expérience de quatre années de gouvernement. Il porte la responsabilité d’avoir dissipé le capital politique, le soutien et la crédibilité qu’il a rassemblés en mars 2018 (près de 11 millions de voix), d’avoir transformé cette poussée contestataire – certes à caractère très général, ambiguë et « néo-qualunquiste » [traduisant une défiance envers les structures institutionnelles], qui l’avait conduit à être (et de loin) le parti le plus voté du pays – en une subalternité croissante aux intérêts des « pouvoirs forts ».
Le Mouvement 5 étoiles et ses représentants élus ont représenté pendant des années une diversion douteuse. Avec leur analyse interclassiste, ils ont orienté toutes les réponses au malaise social diffus vers des objectifs et des solutions illusoires.
Le M5S a traversé la période du gouvernement « jaune-vert » [gouvernement Conte I] avec la Ligue, marquée par d’importantes mesures sociales (le revenu de citoyenneté, par exemple) mais aussi et surtout par des décrets liberticides (les décrets Salvini contre les luttes radicales, contre les occupations de maisons et contre les migrant·e·s). Puis, en 2019-20, dans le gouvernement « jaune-rouge » avec le PD [gouvernement Conte II], dans le contexte du Covid-19, il s’est profilé comme le parti de la responsabilité, des confinements « proportionnés », des décrets visant à soulager les entreprises touchées par la récession provoquée par pandémique. Enfin, en février 2021, il est devenu le parti qui a mis de côté ses propres options pour soutenir le gouvernement du banquier Draghi, que le gourou du Mouvement, Beppe Grillo – allez savoir pourquo – a d’abord qualifié comme « l’un des nôtres ».
Le mouvement, qui en 2018 avec son qualunquisme « ni droite ni gauche » visait à se présenter comme le frein le plus efficace à la croissance de l’extrême droite, a en réalité largement favorisé la re-légitimation et la croissance de la droite plus dangereuse.
Ces rebondissements constants l’ont conduit, à la fois, à perdre la plupart de ses élus et à une contraction drastique de son soutien, une réduction qui ne s’est pas transformée en effondrement total uniquement grâce au prestige populaire et médiatique de son nouveau leader, Giuseppe Conte, ce juriste qui, jusqu’à récemment, était inconnu et considéré comme totalement incapable de leadership politique, mais qui s’est révélé, en réalité, capable de restaurer l’image très usée du Mouvement 5 étoiles.
Aujourd’hui, afin de récupérer au moins une partie de son appui électoral perdu, les restes du M5S ont choisi (bien que très tardivement) de se distancier de l’« agenda Draghi » et d’assumer, dans une polémique face au PD et à la droite, une physionomie « progressiste », « écologiste » et, implicitement, « de gauche ». Il a même avancé des mots d’ordre se voulant percutants, comme le salaire minimum à 9 euros/heure (en Italie, il y a pas mal de travailleurs et travailleuses qui gagnent moins de la moitié de ce montant) ou la réduction du temps de travail pour le même salaire (sur la base de l’élaboration du sociologue Domenico De Masi), l’opposition à l’augmentation des dépenses militaires, la réunification des systèmes de santé régionalisés en un seul système national de santé, etc.
Le résultat de cette « refondation » du Mouvement 5 étoiles nous sera révélé par les urnes le 25 septembre.
A la gauche du centre gauche
Débarrassons-nous immédiatement de la position sans consistance du Parti communiste (PC) tel que baptisé en janvier 2014 par son père fondateur Marco Rizzo qui, en 2009, avait lancé le Comunisti–Sinistra Popolare. En effet, il est passé sans gêne d’un soutien convaincu au gouvernement de centre gauche de Romano Prodi d’abord, puis de Massimo D’Alema (1998-99), celui qui a bombardé l’ex-Yougoslavie, à une position de « communisme identitaire », puis est rapidement arrivé à une approche ouvertement néo-stalinienne et maintenant souverainiste et « poutiniste ». Ce PC a finalement lancé pour les prochaines élections la liste « Italie souveraine et populaire » (Italia sovrana e popolare) avec une galaxie de groupes souverainistes et « antivax », également de droite.
Dans un panorama de fragmentation extrême de la gauche italienne, fragmentation qui renvoie à la responsabilité « auto-affirmative » des groupes dirigeants, nombreux sont ceux qui, le 9 juillet 2022, ont donc salué la construction d’un nouveau cartel unitaire en prévision de l’échéance électorale. Ce jour-là était présenté l’« Unione popolare », résultat de la convergence de quatre partis. Parmi eux, le Parti de la refondation communiste, héritier du PRC qui avait recueilli en 2006 plus de 2 200 000 voix (près de 6%), mais qui, deux ans plus tard seulement, en raison de son expérience ratée d’une alliance gouvernementale avec le centre gauche de Romano Prodi, a réduit ce nombre de voix de moitié, malgré une coalition avec d’autres formations. Par la suite, il a disparu du paysage institutionnel.
Parmi les autres partis qui ont donné naissance à l’Unione popolare il faut mentionner : 1° Potere al Popolo qui se fonde sur une convergence conflictuelle entre les jeunes de certains centres sociaux et divers collectifs disséminés dans différentes villes ainsi qu’une organisation « campiste », la Rete dei comunisti, qui est forte en raison du contrôle qu’elle exerce sur le principal syndicat de base italien, l’USB ; 2° quatre députés transfuges du Mouvement 5 étoiles qui ont formé un groupe au Parlement qui a pris le nom de « ManifestA » ; et 3°, enfin, l’organisation insaisissable Dema, qui, avec cet acronyme, se réfère formellement aux termes « Démocratie » et « Autonomie », mais ne parvient pas à dissimuler la référence implicite au nom de famille de son leader incontesté et incontestable Luigi DE MAgistris. Ce dernier assume le rôle de leader de l’Unione popolare grâce aux 16% obtenus lors des récentes élections régionales en Calabre (octobre 2021).
Les ambiguïtés programmatiques et l’approche verticaliste de l’Unione popolare, d’ailleurs exaltée par la soudaine ruée vers des élections anticipées en septembre, étaient déjà évidentes dans le programme soulignant la « défense et l’application » de la Constitution de 1948, c’est-à-dire de ce compromis de classe historique que les rapports de force nationaux et internationaux avaient imposé à la bourgeoisie italienne mais qui, dans le nouveau cadre du « capitalisme du XXIe siècle », constitue une pieuse illusion. Le document de base est dépourvu de toute référence au travail et à la lutte des classes : au contraire, les travailleurs et travailleuses sont mis sur le même plan que les « classes moyennes productives » (professions libérales, petits indépendants), ce qui fait très clairement allusion au monde des petites entreprises. Y compris l’orientation écologiste ne souligne pas son incompatibilité avec le développement capitaliste. Enfin, les dix années controversées pendant lesquelles De Magistris a été maire de Naples sont indiquées comme modèle.
Comme si cela ne suffisait pas, les ambiguïtés de la liste ont été amplifiées de manière incontrôlable lorsqu’au moins trois des quatre formations (Potere al Popolo s’est montré très critique à cet égard) ont appelé à la formation d’une coalition avec le Mouvement 5 étoiles de Giuseppe Conte, redonnant crédit à sa nature écologiste, de gauche et d’opposition. Peu importe que le M5S ait ignoré l’invitation, poursuivant son chemin vers la reconquête d’une autonomie politique que les alliances électorales fortuites avaient fortement occultée. Le PRC et les autres membres de l’UP reprochent maintenant aussi au M5S de ne pas avoir accepté les offres d’entente électorale.
Le modèle dont l’Unione popolare voudrait s’inspirer est, cela va sans dire, le modèle français de la NUPES de Jean-Luc Mélenchon, en espérant que Luigi De Magistris puisse être le « clone » italien de l’homme politique français. Mais au-delà des profondes différences entre les deux personnalités en termes de culture politique et surtout de capacité d’organisation, il reste l’extrême différence socio-politique entre la situation française et la situation italienne, caractérisée par une paralysie sociale généralisée. A cet égard, il suffit de rappeler que les fédérations syndicales n’ont appelé qu’à deux journées de grève générale au cours des dix dernières années cruciales, en 2014 et en 2021. Deux journées au caractère symbolique car convoquées après que les mesures contre lesquelles il s’agissait de protester avaient déjà été définitivement approuvées par le parlement.
La gauche italienne, dans sa grande majorité, souffre depuis plus d’une décennie d’une formidable déconnexion avec la réalité des conflits sociaux, généralement confiés aux différents syndicats ; et selon les orientations politiques des diverses formations, cette attribution est faite aux organisations syndicales confédérales ou aux divers syndicats de « base ». Et la gauche se trouve empêtrée dans un déclin qui semble de moins en moins réversible (en 2006, les différentes listes de gauche recueillaient un total de 3 900 000 voix, en 2008 elles sont tombées à 1 600 000, en 2013 à 1 900 000, en 2018 à 400 000, tout cela avec une forte approche électoraliste).
Plus à gauche encore, le Partito comunista dei lavoratori (dont le porte-parole est Marco Ferrando), immédiatement après l’annonce des élections de septembre, a proposé à la « gauche de classe, anticapitaliste et internationaliste » – soit au Fronte Comunista, à Sinistra Anticapitalista, à Sinistra Classe Rivoluzione et à Tendenza Internazionalista Rivoluzionaria –de former un cartel électoral. Mais cette proposition, tardive et marquée par des traits sectaires, n’a reçu aucune réponse de la part des hypothétiques interlocuteurs.
Par conséquent, lors des prochaines élections, étant donné la configuration « rouge-brun » de l’« Italia sovrana e popolare » de Marco Rizzo & Co et, surtout, en tenant compte de l’approche à peine plus que démocratique radicale de l’Unione popolare, sera absente une proposition électorale ayant une cohérence minimale renvoyant à une alternative de classe, écologiste radicale et anticapitaliste.
Bien entendu, il n’est pas possible de prédire les résultats que la liste UP sera en mesure d’obtenir lors des élections du 25 septembre, ni si elle pourra faire élire des députés en franchissant le quorum des 3% prévu par la loi électorale. Mais il est certain que l’UP n’exprime aucun projet de recomposition de la gauche italienne, et que, surtout si le résultat n’est pas satisfaisant, la coalition entre PRC et Potere al Popolo éclatera à nouveau et relancera avec de fortes composantes autoréférentielles la concurrence entre les « groupes dirigeants » respectifs. Toutefois, la liste UP, ne serait-ce qu’en prenant en compte le petit mais important patrimoine d’énergies militantes qu’elle mobilise, est la seule proposition électorale qui peut être appuyée, quelles que soient les considérations critiques.
La perspective
Malheureusement, les résultats du processus politique se concluront très probablement de la sorte : Silvio Berlusconi président du Sénat (sinon de la République), Giorgia Meloni présidente du Conseil des ministres et Matteo Salvini ministre de l’Intérieur, placé à ce poste pour relancer sa campagne raciste contre les immigrés et contre les navires des ONG qui les sauvent en mer. Et cela se fera dans le cadre d’une inégalité sociale accrue, d’une révision profonde sinon d’une annulation du revenu de citoyenneté, d’une tolérance sinon d’un encouragement à l’évasion fiscale, d’une paupérisation accrue de larges couches populaires et d’un climat lourd de re-légitimation du racisme et de l’égoïsme social, avec des mesures sécuritaires et répressives envers toute lutte qui échappe au contrôle des classes dominantes, d’une annulation réactionnaire de toute initiative sur les droits civiques (LGBTQ+, droit de mourir dans la dignité, etc.). ) et, peut-être même, avec le risque d’une remise en cause de la législation sur le droit à l’avortement.
La poussée en faveur d’une alliance « anti-droite » floue s’articulera donc, un peu sur le modèle de la grande mobilisation anti-Berlusconi qui a caractérisé les années entre 1994 et 2011, avec la croissance simultanée de la « souffrance sociale » et, espérons-le, du conflit social. Toutes les forces antilibérales ont prédit une radicalisation de la situation à l’automne prochain, mais la frénésie électorale rendra la situation encore plus complexe.
La crise socio-économique italienne est particulièrement dramatique : l’Italie est le seul pays européen à enregistrer des salaires plus bas qu’il y a 30 ans ; il y a 3 200 000 travailleurs et travailleuses non déclarés (« au noir ») et ils produisent 11,3% du PIB ; l’insuffisance effroyable des services sociaux empêche des millions de femmes en particulier de travailler de manière indépendante, avec pour conséquence l’appauvrissement des familles. Ce n’est pas un hasard si le nombre de personnes en « pauvreté absolue », c’est-à-dire qui ne peuvent se permettre une vie supportable, s’élève à 6 millions (soit 10% de la population).
Se détachent avec force la nouvelle perte de pouvoir d’achat provoquée par la nouvelle accélération de l’inflation et l’acceptation de la « modération salariale »s qui caractérise de plus en plus les politiques des syndicats majoritaires depuis trente ans – ce n’est pas un hasard si l’on célèbre ces jours-ci le sinistre trentième anniversaire de l’annulation de l’échelle mobile des salaires décrétée après l’accord syndical du 31 juillet 1992. Les crises industrielles (fermetures, licenciements, délocalisations, sous-traitance) sont répandues dans le pays. Parmi les mobilisations qu’elles ont pu susciter se distingue le conflit toujours non résolu de GKN [sous-traitance automobile] à Florence, autour duquel se sont agrégées d’autres luttes contre le chômage, les délocalisations, les désinvestissements et les restructurations. Il faut rappeler que le mois d’octobre est le mois de la préparation de la loi budgétaire pour l’année suivante et, donc, le moment où est définie l’allocation des ressources.
La CGIL a déjà appelé à deux journées de mobilisation pour les 8 et 9 octobre afin de « soutenir nos propositions face au gouvernement qui sera appelé à prendre ses fonctions après le vote ». Les propositions, du moins pour le moment, restent extrêmement générales et modérées. Entre-temps, une offensive antisyndicale avait frappé les militants de SiCobas et de l’USB : elle s’était manifestée par une série d’arrestations pour « association de malfaiteurs » sous le prétexte d’avoir « cherché par des actions de chantage [le blocage des portes] à obtenir pour ses propres adhérents [les travailleurs de la logistique] de meilleures conditions salariales et réglementaires ». Or, cette offensive a subi un échec devant le tribunal de révision (Tribunale del riesame). Cela a, peut-être, rouvert une nouvelle possibilité de dialogue et d’action unitaire entre les syndicats de lutte.
Mais il y a aussi les urgences climatiques et écologiques, amplement démontrées par l’été torride, les incendies généralisés et les phénomènes météorologiques extrêmes dont le pays a souffert et souffre encore. Le mouvement écologiste des jeunes « Friday For Future » a déjà appelé à une journée d’action pour le 23 septembre.
Il sera important de se battre, d’autant plus face à un gouvernement explicitement réactionnaire, pour que toutes ces possibles initiatives se réordonnent sur une ligne convergente et ne souffrent pas, comme ce fut très souvent le cas, d’une approche « minoritariste » et fragmentaire qui a marqué de manière contre-productive les actions de classe dans le pays.
Fabrizio Burattini