« La« La Nupes vit, la Nupes vivra. » Lors du meeting de clôture de l’université d’été de La France insoumise (LFI), le 28 août, le message de Jean-Luc Mélenchon s’adresse tant aux adversaires de la coalition de gauche, qui espèrent la voir se fracasser au premier accroc, qu’à ses composantes, dont certaines luttent encore contre son champ magnétique.
Ces tensions sont apparues dans toutes les universités de rentrée des partis de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), qui avaient lieu ce week-end. Si LFI, en position de force depuis le début et qui récolte les fruits de l’union – 75 député·es, une image rassembleuse et une victoire sur la ligne –, veut installer l’alliance durablement dans le paysage politique, le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PCF) et Europe Écologie-Les Verts (EELV) font entendre des sensibilités différentes.
Passé le moment d’euphorie de l’union de la gauche et des écologistes, la bataille pour l’hégémonie au sein même de la coalition, qui avait été mise en veilleuse lors du scrutin, a insensiblement repris le dessus. Et si personne n’ose encore jeter la pierre à la Nupes, en raison, notamment, de la pression exercée par un électorat de gauche dans l’ensemble très en attente de rassemblement et réceptif à l’effort réalisé pour mettre le narcissisme des petites différences de côté, la force demeure fragile.
Pour l’heure, les forces en présence tirent un bilan plutôt positif de leurs premiers pas communs à l’Assemblée nationale. Et l’épreuve du feu de la loi « Pouvoir d’achat » a montré que, malgré les divergences (en matière d’ethos et de positionnement politique), les groupes communiste, écologiste, insoumis et socialiste avancent ensemble et de manière cohérente.
Mais la nouvelle ère qui s’ouvre n’est pas exempte de chausse-trapes : outre une rentrée politique incertaine, tant sur le plan national qu’international, la préparation des élections sénatoriales l’an prochain, puis des européennes de 2024, pourrait provoquer des moments de tensions internes. Par ailleurs, la Nupes reste suspendue à la tournure que prendront les congrès à venir - celui des Verts aura lieu fin 2022, ceux du PS et du PCF au début de 2023.
Présent aux journées d’été des écologistes à Grenoble (Isère), le politiste Frédéric Sawicki listait pour Mediapart les faiblesses de la Nupes. Si, selon lui, le statu quo perdure pour l’instant en raison de l’anticipation par les responsables de gauche d’une dissolution possible de l’Assemblée, elle souffre à moyen terme du fait d’avoir été réalisée « par le haut », et d’une représentation déséquilibrée des forces qui la composent.
« La Nupes est fondée sur une clé de répartition qui n’est pas représentative de l’état réel des forces électorales, ce qui conduit les partenaires de LFI à chercher à maintenir leur capital politique comme ils peuvent. D’où la dynamique de compétition interne entre les forces »,explique-t-il.
À LFI, de grandes ambitions pour la Nupes
Clé de voûte de la Nupes - « son cœur ardent », pour reprendre l’expression du député de Haute-Garonne Christophe Bex –, LFI revendique d’avoir fait bouger le centre de gravité politique de la gauche sur un projet de bifurcation écologique qui n’épargne pas le capital. L’enjeu est désormais pour la gauche mélenchoniste de maintenir coûte que coûte l’alliance et ses rapports de force.
Mais les affirmations de Jean-Luc Mélenchon sur Taïwancet été ont ravivé des failles toujours béantes à gauche sur la politique internationale. De même, le style des Insoumis à l’Assemblée et leur culture de l’agit-prop et du conflit ne se marient pas aisément aux cultures politiques plus consensuelles de ses partenaires.
Ce qui n’empêche pas les Insoumis de déployer un récit positif, en mettant en avant une « victoire » au premier tour des élections législatives (« Nous sommes passés de la troisième place à la première, nous avons gagné le premier tour de la législative », disait Jean-Luc Mélenchon dans son discours le 28 août). Ils entendent aussi matérialiser la Nupes au niveau local en mettant sur pied des assemblées locales communes en vue des mobilisations de la rentrée.
« Ce n’est pas qu’un accord électoral, il faut le faire vivre, c’est la philosophie de tout le monde ici, affirme Louis Boyard, député du Val-de-Marne, croisé à l’université d’été de LFI, à Valence (Drôme). Il faut prendre acte que quand on est unis, on gagne. On est plus efficaces à 151 [députés de la Nupes] qu’à 75 [députés LFI]. »
Anticipant les procès en hégémonie, Jean-Luc Mélenchon a aussi tenté de rassurer : « La Nupes n’est pas un parti unique. Nous ne voulons pas être réduits à ne devoir parler qu’au plus petit dénominateur commun. Nous reconnaissons le droit des autres à être eux-mêmes. » Il a d’ailleurs salué la méthode de gouvernement du maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, et approuvé le lancement par Olivier Faure d’un référendum d’initiative partagée sur la taxation des profiteurs de crise.
« On a été la force centrale mais ouverte, on a cassé l’image de secte qu’on pouvait avoir », se félicite le député de Seine-Saint-Denis Thomas Portes, qui ajoute qu’il espère une victoire d’Olivier Faure au prochain congrès du PS. Sous l’impulsion soudaine du premier secrétaire, qui vouait jadis La France insoumise aux gémonies, la « vieille maison » est en effet la plus proactive des composantes de la Nupes.
Au PS, la perspective d’une régénérescence
Le week-end dernier, la coalition de la gauche était ainsi dans toutes les têtes des socialistes réunis pour leur université d’été à Blois (Loir-et-Cher). Pendant deux jours, Olivier Faure s’est évertué, comme il le fait à chaque prise de parole publique depuis le mois de mai, à convaincre les sceptiques de son parti des bienfaits de l’alliance.
« Je comprends qu’après tant d’années de controverses, parfois caricaturales, les traces laissées par nos affrontements soient difficiles à dépasser »,reconnaissait, empathique, le premier secrétaire lors de son discours de clôture. « Mais ce que je sais aussi, c’est que cet accord a permis une clarification. Avec la Nupes, nous avons explicitement signifié à quel bloc nous appartenions, ajoutait-il aussitôt. C’est en rendant la gauche plus forte que nous serons à nouveau plus forts. C’est ainsi que nous serons à nouveau entendus. »
Si le rassemblement est présenté comme la seule voie possible pour « ramener la gauche au pouvoir », des raisons moins avouables expliquent aussi, et peut-être avant tout, ce soudain enthousiasme pour l’union avec une France insoumise jadis honnie.
Il s’agit dans un premier temps pour Olivier Faure, qui a noué, contre une partie de la base militante et des élu·es du parti, l’accord avec la gauche mélenchoniste, de défendre sa nouvelle ligne politique et stratégique en vue de gagner le congrès du PS.
Mais la participation à la Nupes est aussi envisagée par la direction actuelle comme une manière de régénérer la « vieille maison » qui a, depuis le quinquennat de François Hollande, sombré dans un état de quasi-mort clinique au plan national - comme en témoigne le score calamiteux d’Anne Hidalgo à la présidentielle. Via le retour assumé dans le giron de la gauche, ce rapprochement acte ainsi la fin des années Hollande et Valls. Une rupture que l’inventaire réalisé par Olivier Faure en 2018, pourtant peu flatteur pour l’ancien président, mais à l’époque inaudible, avait échoué à parachever.
Après s’être en quelque sorte « refait une virginité », le PS, qui n’a pas abandonné ses ambitions de leadership, voire d’hégémonie à gauche, pourrait ensuite tenter de reprendre la main sur la coalition. « Si on pense qu’on est les meilleurs, alors prouvons qu’on est les meilleurs au sein de la Nupes », s’enthousiasmait ainsi un député PS, espérant que le savoir-faire politique des socialistes, de même que leur ligne plus mesurée sur le fond, permettrait in fine de reprendre le dessus au sein de la coalition. Ce que certains, au sein du parti à la rose, nomment en « off » une « stratégie d’entrisme », ou pour le dire comme le politiste Philippe Marlière, un « repli tactique » avant 2027.
Pour les Verts, une union à reculons
« Ce n’est pas notre guerre. » Dans son nouveau livre, Ce que nous sommes (Les Petits Matins), l’ancien secrétaire national d’EELV, David Cormand, cite Rambo pour mettre les écologistes à distance respectueuse de la Nupes. En quelques phrases, le député européen, toujours très écouté dans sa famille politique, réduit la coalition à « une synthèse de deux des principaux courants historiques du PS : son aile gauche et son aile sociale-démocrate » – des expressions qu’il avait aussi employées sur le plateau de Mediapart.
Il donne le ton du dilemme d’EELV : le parti, dont la stratégie politique s’est fracassée sur le mur de la présidentielle (4,6 % des suffrages exprimés pour Yannick Jadot), craint de perdre tout son capital politique – récupéré laborieusement après sa quasi-disparition en 2016 – en se laissant absorber par une Nupes sous domination de LFI.
D’autant que l’écologisation de LFI est bien avancée, et que les transfuges venus du mouvement climat ou de l’écologie politique – Alma Dufour, Claire Lejeune, Aymeric Caron – ont préféré rejoindre le mouvement mélenchoniste qu’EELV pendant la présidentielle. « Le groupe à l’Assemblée, on le doit à l’offre programmatique de LFI », confiait même un responsable écologiste local aux journées d’été du parti.
Ainsi, Marine Tondelier, pressentie pour prendre la succession de Julien Bayou au prochain congrès, refuse toute subordination : « Quand je suis entrée dans ce parti il y a 15 ans, on passait nos réunions à ne se définir que par rapport au PS. Je ne veux pas que ça recommence avec la Nupes. Il faut assumer qu’on a une vie en dehors de la Nupes. »
Même le tenant de l’aile gauche du parti, Alain Coulombel, partisan de l’union, ne sous-estime pas ce risque : « Ce qui fait peur, c’est qu’en renforçant la Nupes, on s’affaiblisse au point de devenir inaudibles, et que le seul message qui diffuse à l’extérieur soit celui de LFI-Nupes. C’est un vrai danger. Mais on doit concilier le renforcement d’EELV sur notre projet et être un acteur positif de la Nupes, pour peser dessus. Le congrès doit mettre en place le dispositif interne qui le permet. »
En tout cas, alors que Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, a fait savoir hâtivement qu’il souhaitait que la Nupes fasse liste commune aux européennes de 2024, les écologistes d’EELV ont mis le holà. « Il n’y a aucune raison de se dire que cette coalition parlementaire est une coalition automatique. On a du temps. Il ne faut pas confondre les scrutins », commente ainsi la numéro 2 du parti, Léa Balage El Mariky.
Le congrès de début décembre, lors duquel la tendance incarnée par Sandrine Rousseau, plus compatible avec LFI, affrontera la direction sortante, tranchera la ligne. En attendant, la députée EELV Marie-Charlotte Garin, qui fait partie des nouvelles figures du mouvement, estime que la priorité est à maintenir la Nupes vivante localement : « On sait que la dissolution est une réalité possible. On ne peut pas décevoir l’espoir suscité par la Nupes. Ça nous oblige. »
Au PCF, une Nupes au goût amer
« Insuffisant », « dans la douleur » : l’accord qui a scellé la Nupes en mai dernier a laissé un goût amer au sein d’un PCF partagé entre les pro et anti-Nupes. Plutôt qu’une avancée, celui-ci tend à être présenté par la direction comme une alliance par défaut, qui peut devenir une menace sur l’autonomie politique du parti.
Avec 2,28 % des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle et 12 député·es – sur les 151 que compte la Nupes à l’Assemblée –, le rapport de force numérique au sein de l’alliance impose une position minoritaire au PCF, alors que Fabien Roussel ambitionne qu’il devienne « le parti le plus influent de France ». Une configuration qui réveille des traumatismes dans le parti de Thorez, qui a souffert de s’être rangé deux fois de suite derrière Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle (en 2012 et 2017).
Répétant aujourd’hui à l’envi que « la gauche a perdu les élections » en 2022, les cadres du parti préfèreraient que le débat politique migre des rangs du Palais-Bourbon vers la rue. « Si la dissolution arrive, ce sera la conséquence d’une mobilisation sociale, nous voulons nous concentrer sur elle », synthétise un membre de la direction, Igor Zamichiei, interrogé par Mediapart.
Tout le monde n’était pas encore arrivé sur le campus de Strasbourg (Bas-Rhin) lorsque s’est ouvert l’unique « débat Nupes » de l’université d’été du PCF, vendredi 26 août. Devant un public clairsemé, Fabien Roussel a tempéré les ardeurs de l’Insoumise Aurélie Trouvé et du socialiste Laurent Baumel : « Il nous faudra des mobilisations massives, parce que notre alliance, c’est bien, mais la droite libérale domine l’Assemblée, et même l’extrême droite. » « La coordination politique de la Nupes et la coalition parlementaire nous conviennent et nous y participons activement », précise toutefois Igor Zamichiei.
Mais les communistes, qui connaissent bien l’histoire de l’union de la gauche, ne veulent pas laisser le totem de l’unité à Jean-Luc Mélenchon. Évoquant la fête de l’Humanité, qui aura lieu du 9 au 11 septembre, l’ancien candidat du PCF à la présidentielle se dit fier d’y accueillir des représentant·es de toute la gauche pour débattre, et insiste sur l’importance historique de ce rendez-vous dans la construction de l’unité d’une gauche « authentique et populaire ». Jean-Luc Mélenchon sera d’ailleurs présent lors de la fête annuelle du PCF, alors qu’il n’y avait plus remis les pieds depuis 2016.
Ce week-end à Strasbourg, en pleine préparation du stand de sa section pour la fête, Chloé se réjouissait que l’événement approche : « On va discuter avec plein de gens. J’espère que les militants de la Nupes avec qui nous travaillons tous les jours pour soutenir les luttes et construire des alternatives concrètes dans le quartier passeront nous voir. J’ai hâte ! » Un enthousiasme qui ne reflète pas vraiment l’ambiance au sommet.
Sarah Benichou, Mathieu Dejean et Pauline Graulle