ROYAUME-UNI - « Il y aura tout le temps nécessaire pour débattre de l’avenir de la monarchie. » Le message publié par le lobby britannique Republic après le décès d’Elizabeth II, ce jeudi 8 septembre, ressemblait davantage à une mise en garde qu’à un hommage à la souveraine. Pour les partisans de l’abolition de la monarchie, la succession de la reine est une occasion historique de remettre la question de la fin de la royauté au cœur du débat public. Le couronnement de Charles III « sera une magnifique opportunité pour nous », formule d’ailleurs le leader de Republic, Graham Smith, auprès de nos confrères du JDD.
« Les voix qui peuvent s’élever contre la monarchie seront plus propices à le faire maintenant que lorsqu’il y avait une reine très appréciée au pouvoir », abonde auprès du HuffPost Catherine Marshall, professeure en histoire et civilisation britanniques et membre du laboratoire Agora de Cergy Paris Université. Un schéma déjà éprouvé, souligne la spécialiste, qui rappelle les élans républicains à des moments où la monarchie apparaissait fragilisée, « notamment lorsque la reine Victoria s’est mise à l’écart, à partir de 1870, ou après l’abdication d’Édouard VIII en 1936 ».
La monarchie moins soutenue
Or c’est un fait, depuis l’intronisation d’Elizabeth II il y a 70 ans, la société britannique a beaucoup évolué et, malgré un regain de popularité à l’occasion de son jubilé au printemps dernier, le soutien à la couronne fait face à recul sensible depuis une décennie. Selon un sondage Ipsos publié en mai 2022, 68 % des Britanniques sont favorables à un maintien de la monarchie, contre 22 % d’entre eux qui penchent pour une république.
Q : Would you favour Britain becoming a republic or remaining a monarchy ?
Graphique non reproduit ici.
Surtout, les 18-24 ans désireux d’avoir « un chef d’État démocratiquement élu » (40 %) sont plus nombreux que ceux plaidant pour la monarchie (37 %), d’après une enquête YouGov pour Republic parue en mai 2022, confirmant la tendance observée un an plus tôt.
« L’éloignement du prince Harry et de son épouse Meghan, les accusations de racisme au sein de la monarchie, le prince Andrew accusé d’agressions sexuelles… Tout cela ne rejoint pas les valeurs de la génération #MeToo et Black Lives Matter », soulignait il y a quelques mois Isabelle Baudino, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’École normale supérieure de Lyon, dans un entretien à franceinfo. Les sondages montrent d’ailleurs une adhésion bien moins grande à la monarchie au sein des minorités ethniques. Des critiques qui s’additionnent aux traditionnelles mises en cause de la royauté pour son coût pour le contribuable.
Cerise sur le gâteau des républicains, le nouveau roi Charles III souffre d’un réel déficit de popularité. « Une petite majorité de personnes ont une opinion positive du futur roi (54 %) », écrivait l’institut YouGov en mai 2022, et seulement 48 % d’entre eux pensaient, à la même période, qu’il ferait un bon monarque, d’après Ispos.
Manque de relais politique
Le glas a-t-il sonné pour la couronne britannique ? Pas si vite, répond Catherine Marschall, pour qui « il semble encore compliqué d’imaginer la création d’une république ». Aujourd’hui, une large majorité de Britanniques restent favorables à la couronne. Surtout, aucun des principaux partis politiques — conservateurs, travaillistes, libéraux-démocrates et même indépendantistes écossais du SNP — ne fait campagne pour l’abolition de la monarchie. Et si Liz Truss s’est exprimée contre la monarchie dans sa jeunesse, la Première ministre est aujourd’hui une fervente supportrice de la couronne.
Sans relais politique, le mouvement républicain pourrait également être affaibli par les réformes de Charles III — si celui-ci parvient moderniser la couronne britannique. « Le roi peut avoir une forme d’influence auprès de la Première ministre, lors de son audience privée hebdomadaire, pour faire avancer les questions qui lui tiennent à cœur, note Catherine Marschall. L’écologie, une thématique sur laquelle il est engagé de longue date, mais aussi l’aide aux jeunes en situation défavorisée, par exemple. Des questions qui rencontrent un large écho dans l’opinion et sur lesquelles il a été très en avance sur son temps. » L’enjeu du rapprochement avec la population semble également avoir été intégré par le nouveau roi dès son premier bain de foule, ce vendredi 9 septembre devant Buckingham.
Au final, le scénario le plus probable, pour les années à venir, est celui d’une énième réduction du pouvoir de la royauté, estime Catherine Marschall : « La monarchie risque de perdre un peu du pouvoir qui lui reste. Elle n’en a plus beaucoup, au-delà d’un réel pouvoir d’influence. » Une perte d’influence qui s’observe en particulier à l’international : après La Barbade, qui a « détrôné » la reine et est devenue une république en 2021, plusieurs pays dont le roi du Royaume-Uni est le chef d’État pourraient s’affranchir de la couronne. En Australie et en Jamaïque, les mouvements républicains sont particulièrement forts.
Clément Giuliano