A croire certains médias, les délibérations entre chefs du G8, à Heiligendamm, se seraient soldées par une belle avancée en direction d’un accord climatique digne de ce nom, et ce en dépit des manœuvres dilatoires du Président des Etats-Unis. Selon ce son de cloche, il est certes regrettable que les objectifs proposés par Angela Merkel (50% de réduction des émissions globales de gaz à effet de serre d’ici 2050 et 2°C de hausse maximum de la température par rapport à 1780) n’aient pas été adoptés, mais ce n’est que partie remise. Le sommet devrait être de nature à nous rassurer : les grands de ce monde ont enfin compris, ou sont en train de comprendre (même Bush !) que des mesures drastiques s’imposent.
Cet optimisme mérite d’être questionné. Tout d’abord, l’objectif de 50% de réduction des émissions n’a guère de sens tant qu’on ne précise pas l’année de référence. Prenons par exemple le plan climat californien, présenté l’an dernier : 25% de réduction en 2020. Bravo ? Minute papillon ! Ainsi que nous l’avions fait remarquer à l’époque, « ces 25% sont calculés par rapport au tonnage de gaz à effet de serre que la Californie est supposée émettre en 2020 en l’absence de mesure. Avec les mesures prises, le célèbre Etat du Sud-Ouest ne fera en fait que ramener ses émissions de 2020 à leur niveau de 1990. Pour mettre les choses en perspective, rappelons (…) que le protocole de Kyoto assignait aux USA une réduction de 7% avant 2012. L’impact politique des décisions californiennes diffère considérablement de leur impact climatique, qui est très, très limité. » (1)
Merkel, dans ses déclarations, n’a mentionné aucune année de référence. C’est un premier point qui incite à la méfiance et à la vigilance. En voici un second : l’ambition de réduire les émissions globales de 50% en 2050 n’est pas cohérente avec la proposition de ne pas dépasser 2° de hausse de la température. Pour ne pas franchir ce seuil, c’est de 80% que les émissions mondiales doivent diminuer d’ici 40 à 50 ans, pas de 50%. Au cas où les revendications de la chancelière allemande feraient leur chemin dans les mois qui viennent, la question se poserait de savoir quel objectif doit être poursuivi en pratique : - 50%, ou +2° max ? Il va de soi que le seuil de température au-delà duquel le changement climatique aurait des « conséquences dangereuses » doit être choisi comme indicateur fondamental. Tel est l’esprit de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC), adoptée en 1992 à Rio. Depuis lors, l’UE est la seule instance étatique à s’être prononcée sur ce seuil de dangerosité, qu’elle a fixé à 2°. Il serait très positif que le G8 lui emboîte le pas, mais alors il faut être conséquent et en tirer les conclusions en termes de réduction des émissions. Mme Merkel a fait exactement le contraire. Ce couac ne peut pas être imputé à un manque de compétences scientifiques (la chancelière est physicienne). On peut donc se demander si la véritable intention est de faire progresser la cause des 2° max… ou au contraire de s’en débarrasser en pratique.
Paranoïa gauchiste ? Non, le monde des affaires est largement convaincu qu’il faut agir pour le climat… mais seulement dans la mesure où ça rapporte des profits. Cela implique « de ne pas en faire trop, ni trop vite », comme dit le rapport Stern. Le très libéral et très britannique Economist a ainsi le culot de présenter une stabilisation entre + 2,8 et 3,2°C comme « raisonnablement sûre » alors qu’elle impliquerait, notamment, une très sérieuse chute de la productivité agricole dans les pays du Sud. Qu’on se le dise : un éventuel accord mondial aussi rikiki que le plan de Schwarzenegger, mais très rentable pour les entreprises, pourrait être présenté à l’opinion publique comme le pas décisif vers la solution du problème climatique. Heiligendamm montre que le monde politique est truffé de prestidigitateurs talentueux capables de faire passer cette vessie pour une lanterne.
Notes
(1) JDM, septembre 2006
(2) The Economist, 12/5/07