Alaa Abd el-Fattah, figure de la place Tahir et de la révolution égyptienne de 2011, qui a déchu le dictateur Hosni Moubarak, est en danger de mort. Le célèbre détenu politique, qui a la double nationalité égyptienne et britannique, ne s’hydrate plus depuis l’ouverture, dimanche 6 novembre, de la COP27 à Charm el-Cheikh, en Égypte.
« Il n’y a plus beaucoup de temps, au mieux soixante-douze heures, pour libérer Alaa Abd el-Fattah. Si [les autorités égyptiennes] ne le font pas, cette mort sera dans toutes les discussions à la COP27 », a alerté Agnès Callamard, la secrétaire générale d’Amnesty International.
Emprisonné depuis 2019 dans l’une des plus impitoyables geôles du pays, la prison de Tora au Caire, aussi connue sous le nom d’Al-Aqrab 2 (Scorpion), normalement dédiée aux criminels les plus dangereux, Alaa Abd el-Fattah durcit sa grève de la faim commencée le 2 avril dernier, quand il s’est mis à ne se nourrir que de thé et d’une cuillère de miel.
Ne plus boire d’eau est son ultime geste de désespoir, alors que les projecteurs sont braqués sur le pays à l’occasion de la 27e Conférence internationale sur le climat, pour alerter le monde sur son sort et sur celui des dizaines de milliers d’innocents qui croupissent dans les prisons de la dictature du maréchal al-Sissi, un régime bien plus féroce que celui de son prédécesseur, Hosni Moubarak.
Plus de 60 000 personnes – un chiffre sous-évalué selon les ONG de défense des droits humains – sont derrière les barreaux simplement parce qu’elles ont critiqué le régime en place.
Alaa Abd el-Fattah a été emprisonné lors de l’écrasement du soulèvement populaire inédit contre al-Sissi en septembre 2019, lors de la plus vaste campagne de répression depuis 2014. Plus de 4 000 personnes ont alors été arrêtées, sous le coup d’une de ces innombrables accusations bidon d’appartenance à un groupe terroriste, de propagation de fausses nouvelles, de recours abusif aux réseaux sociaux, etc.
Alaa Abd el-Fattah est accusé de « diffusion de fausses informations » pour avoir dénoncé dans un tweet la mort d’un détenu sous la torture. Cela faisait quelques mois à peine que ce jeune blogueur et informaticien venait d’être libéré, après cinq années de prison pour avoir manifesté contre une loi qui limite le droit de manifester en Égypte.
Issu d’une famille d’intellectuels connus qui militent pour les droits humains de génération en génération, Alaa Abd el-Fattah incarne les multiples et systémiques violations des droits humains sous al-Sissi. Il subit depuis des mois la torture et des conditions de détention épouvantables (surpopulation, défaut d’hygiène, etc.). Sa famille ne cesse de se mobiliser pour sa libération, à commencer par sa mère Laila Soueif, 64 ans, mathématicienne, professeure à l’université du Caire, et ses sœurs Sanaa et Mona.
« Il est très amaigri. La dernière fois que ma mère l’a vu, il ressemblait à un squelette », prévenait il y a un mois Sanaa Seif, qui fait pression sur le gouvernement britannique. « Mon frère est en train de mourir », a-t-elle dernièrement lancé au nouveau premier ministre, Rishi Sunak, lors d’un point presse à Londres. Ce dernier lui a affirmé que son frère restait « une priorité » et que son cas serait au cœur de la COP27.
Trois journalistes égyptiennes, Mona Selim, Eman Ouf et Racha Azab, ont annoncé se lancer lundi dans une grève de la faim à leur tour pour réclamer la libération du détenu politique.
« Si les dirigeants du monde entier se réunissent en Égypte et repartent sans adresse aux plus vulnérables, quel espoir peut-il encore leur rester ? » Dans une tribune collective publiée dans le journal Le Monde, seize Prix Nobel, principalement de littérature, dont Svetlana Alexievitch, Patrick Modiano et Annie Ernaux, appellent les responsables politiques à « utiliser [leur] temps de parole pour faire entendre le nom des prisonniers politiques, pour réclamer leur libération et pour inviter l’Égypte à tourner une page et à devenir un véritable partenaire dans la construction d’un avenir différent : un avenir qui respecte la vie et la dignité humaine ».
Rachida El Azzouzi