Que pouvez-vous nous dire sur le mouvement syndical en Ukraine ?
Je représente la KVPU, qui est la deuxième plus grande confédération syndicale d’Ukraine. La KVPU a été créée au moment de l’indépendance de l’Ukraine, mais ses premiers affiliés ont été créés pendant les grèves des mineurs qui ont eu lieu à l’époque de l’URSS [à la fin des années 1980]. Le mouvement syndical ukrainien regroupait environ 6 millions de travailleur·euses. Mais aujourd’hui, à cause de la guerre, ce nombre a diminué car la Russie a détruit les entreprises et les infrastructures, entraînant la perte de lieux de travail. La Russie a également détruit des bâtiments résidentiels et des hôpitaux, et a imposé un règne de terreur dans les territoires occupés, obligeant les gens à fuir et à devenir des réfugiés.
Avant l’invasion, les syndicats ukrainiens se sont battus pour obtenir des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail, et ont exigé l’application des normes internationales du travail. Nous avons été confrontés à plusieurs tentatives visant à saper les droits des travailleur·euses et des syndicats. Grâce à des campagnes, des actions de protestation et des négociations avec le gouvernement, nous avons mis fin à ces attaques.
La KVPU et ses organisations affiliées utilisent différents outils pour défendre les droits des travailleur·euses, notamment les protestations, les grèves du zèle, les négociations collectives et le dépôt de plaintes. Même maintenant, pendant la guerre, nous avons gagné des affaires devant les tribunaux. Par exemple, il y a deux semaines, la Cour suprême d’Ukraine a statué en faveur d’un membre du syndicat de Wizz Air dans son affaire de licenciement illégal. Cependant, en raison de la guerre, nous sommes limités dans nos options. Par exemple, nous pouvons faire campagne, mais nous ne pouvons pas organiser d’actions de protestation.
Quel a été l’impact de l’invasion russe sur le mouvement syndical ukrainien ?
La KVPU a été affectée par la guerre de la Russie depuis 2014. Nous avons connu des cas où nos dirigeants syndicaux ont été kidnappés et torturés par des séparatistes soutenus par la Russie. Nos syndicats étaient interdits dans les zones séparatistes. Nous avons également dû travailler pour des personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) et aider nos membres servant dans l’armée ukrainienne. Malgré cela, depuis 2014, nous avons continué à aider nos syndicats à mener leurs activités habituelles pour protéger les droits des travailleur·euses. Aujourd’hui, l’invasion à grande échelle de la Russie a ruiné nos villes et villages, tué des gens et fait régner la terreur dans notre pays. Les syndicats doivent maintenant faire face à de nouveaux défis, notamment les risques pour leur vie que prennent nos membres, les déplacements de population, la perte des maisons, la perte des emplois et des revenus, la violence sexuelle et la torture, et les risques de trafic d’êtres humains. Des enfants ukrainiens ont été emmenés illégalement en Fédération de Russie et nos membres ont demandé de l’aide, car ils et elles ne savent pas comment les faire revenir. L’ampleur de nos tâches est énorme.
Depuis les premiers jours de l’invasion, la KVPU a contribué à l’évacuation des personnes, à l’acheminement de l’aide humanitaire, à la livraison de médicaments et d’équipements aux hôpitaux, à l’aide aux personnes déplacées et à l’aide aux membres des forces armées ukrainiennes. Aujourd’hui, l’une des priorités du KVPU est de se préparer à l’hiver, car les forces russes frappent des cibles et des infrastructures énergétiques afin de provoquer des pannes de courant et de couper l’approvisionnement en eau, gaz et chauffage. Nous sommes reconnaissants aux membres de la CSI et à nos partenaires, tels que le Solidarity Center et la Fondation Friedrich Ebert, pour leur aide qui a permis de livrer des générateurs, des vêtements chauds, des appareils de chauffage et des biens nécessaires à nos membres, aux médecins et aux civils dans nos régions. Le risque de pannes d’électricité à grande échelle en Ukraine pendant la saison hivernale est élevé. Même maintenant, à Kyiv, nous vivons et travaillons avec des coupures d’électricité. Imaginez que vous ne puissiez préparer à manger, prendre une douche, travailler et accéder à Internet qu’à certaines heures, lorsque l’électricité est disponible.
Que pouvez-vous nous dire sur les lois antisyndicales mises en place par le gouvernement Zelensky ?
Les syndicats ukrainiens s’opposent aux lois et aux projets de lois qui portent atteinte aux droits des travailleur·euses et des syndicats, projets poussés par les représentants du principal parti parlementaire [Serviteur du peuple]. Nous avons fait campagne contre les réformes du travail menées sans un véritable dialogue social. Nous avons insisté sur le fait que toute modification importante de la législation doit être effectuée en consultation avec les partenaires sociaux et à un moment où les travailleur·euses peuvent accéder aux informations relatives à ce dialogue. Actuellement, les travailleur·euses n’ont pas un accès correct à l’électricité pour pouvoir s’informer et suivre ces changements. Leur voix doit être entendue. Les syndicats ukrainiens ont insisté sur l’importance de veiller à ce que la législation soit conforme aux normes internationales du travail, y compris aux directives de l’Union européenne.
Quel est le point de vue du mouvement syndical sur la reconstruction de l’Ukraine après la guerre ?
La reconstruction de l’Ukraine après la guerre doit être inclusive et doit chercher à construire une économie basée sur des emplois décents et verts. Les syndicats, en tant que représentants des travailleur·euses, doivent être impliqués dans le processus d’élaboration d’un plan de reconstruction de l’Ukraine. Les gens ont payé un prix énorme pour la liberté et la paix. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur le fait que le processus de reconstruction sera facile. Toutes les parties doivent coopérer et travailler dur pour assurer un meilleur avenir à nos enfants.
Quelle est l’influence de l’extrême-droite en Ukraine ?
La population ukrainienne est unie sur la nécessité de protéger l’Ukraine. Les Ukrainien·nes veulent vivre en paix et protéger notre pays. Cette position n’est influencée par aucun groupe particulier, car l’Ukraine est un pays très démocratique et le peuple ukrainien soutient notre pays. Il est faux de dire que l’Ukraine est fasciste, c’est de la propagande russe. L’Ukraine est un pays où vivent des gens pacifiques, des gens qui veulent vivre en paix dans leur propre pays.
Que pouvez-vous nous dire de la campagne lancée par les syndicats ukrainiens et polonais pour expulser la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR) de la CSI ?
La Fédération de Russie continue à détruire l’Ukraine et à commettre un génocide contre sa population, en utilisant des tirs de roquettes et des bombes interdites par le droit international. Elle continue à faire régner la terreur dans les territoires occupés, créant des camps de concentration et déportant la population, y compris les enfants, vers la Russie. Elle détruit les infrastructures et les installations énergétiques dans le but de laisser des millions de résident·es ukrainien·nes sans eau, sans électricité et sans chauffage pendant l’hiver. La Russie commet le crime de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et le crime d’agression. En outre, le régime russe provoque une crise économique, alimentaire et énergétique dans le monde avec sa guerre en Ukraine, et sape les résultats obtenus dans la lutte mondiale contre le changement climatique et pour la promotion de la démocratie. La FNPR, en tant que syndicat qui soutient la guerre et les actions et politiques criminelles des autorités russes, tant en termes de diffusion d’informations que par ses actions dans les territoires occupés, ne peut rester membre de la CSI.
Que peut faire le mouvement syndical international pour soutenir l’Ukraine ?
Nous apprécions toutes les formes de soutien de nos frères et sœurs, qu’il s’agisse de dons, d’aide humanitaire ou de diffusion d’informations sur la guerre en Ukraine dans leur pays. Nous aurons encore besoin d’aide en hiver : générateurs, médicaments, nourriture, vêtements chauds, sacs de couchage, etc. Nos réfugiés ne peuvent pas rentrer chez eux car leurs maisons ont été détruites et leurs villes sont attaquées par des missiles ou occupées par les Russes. De plus, des personnes, notamment des femmes avec des enfants et des personnes handicapées, doivent partir à l’étranger car les pannes d’électricité mettent leur vie en danger. Nous demandons aux syndicats d’expliquer à leurs membres que la guerre en Ukraine a eu un impact dévastateur sur les populations du monde entier. Elle a provoqué une crise énergétique, économique, écologique et migratoire, et a aggravé la situation de l’inflation. Elle a sapé les résultats obtenus dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et le changement climatique, ainsi qu’en ce qui concerne les inégalités entre les sexes et la pauvreté énergétique. Le peuple ukrainien se bat pour sa liberté, la démocratie et la paix. Les Ukrainiens ont donné leur vie non seulement pour leur pays mais aussi pour un avenir meilleur pour le monde.
Un dernier commentaire sur lequel vous aimeriez terminer ?
Soutenez l’Ukraine et aidez-nous à gagner cette guerre. Soutenez tous ceux et celles qui luttent contre les régimes autoritaires et totalitaires, l’injustice et la violation des droits. Nous devons nous battre pour un monde meilleur et pour faire en sorte qu’il n’y ait plus jamais de guerres, de génocides et de crimes contre l’humanité.
Chloe DS
Nataliya Levytska
Traduction Patrick Le Tréhondat
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