On y apprenait que sur un estimé de 8 millions d’espèces animales et végétales sur la terre (y compris 5,5 millions d’espèces d’insectes), le taux actuel d’extinction des espèces dans le monde est supérieur à la moyenne des 10 derniers millions d’années par des dizaines et même des centaines de fois et que ce taux s’accélère. Jusqu’à 1 million d’espèces sont menacées d’extinction, dont de nombreuses au cours des prochaines décennies. Parmi les causes, on dénote une réduction de 30% de l’intégrité de l’habitat terrestre mondial et que 47 % des mammifères terrestres non volants et 23 % des oiseaux menacés ont probablement vu leur répartition affectée par l’impact du changement climatique. 33 % des stocks de poissons marins en 2015 étaient exploités à un niveau biologiquement non durable, 60 % étaient exploités au maximum et 7% étaient sous-exploités. Au Canada, une espèce sur cinq est menacée [2].
La biodiversité est sous le joug du profit nous dit l’ONU mais les pays s’en fichent
En juillet 2022, en vue de la COP15, un « document [de l’IPBES] adopté par ses 139 pays membres, dont le Canada, fait le constat ‘’que les profits à court terme et la croissance économique font l’objet d’une attention prédominante dans le monde entier, tandis que les multiples valeurs de la nature sont rarement prises en compte dans les décisions politiques.’’ » [3]. Par ailleurs, « 1 personne sur 5 dépend des espèces sauvages pour ses revenus et son alimentation. Plus de 10 000 espèces sauvages prélevées pour l’alimentation humaine. 2,4 milliards de personnes (1sur3) dépendent du bois en tant que combustible pour cuisiner. » [4]. Somme toute, la recherche de profit cause fondamentalement la sixième grande extinction ce qui empêche des tas de gens de satisfaire leurs besoins essentiels au point parfois de les forcer à contribuer au pillage de la nature malgré eux pour cause de survie immédiate.
Ces rapports onusiens signalaient l’échec de l’atteinte des 20 objectifs d’Aichi pour la biodiversité [5] de la Convention onusienne pour la diversité biologique dans le cadre de son Plan stratégique 2011-2020. « De la lutte contre la pollution à la protection des récifs coralliens, la communauté internationale n’a pleinement atteint aucun des 20 objectifs d’Aichi pour la biodiversité convenus au Japon en 2010 pour ralentir la perte du monde naturel. [...] Les 20 objectifs d’Aichi pour la biodiversité sont divisés en 60 éléments distincts pour suivre les progrès globaux. Parmi ceux-ci, sept ont été atteints, 38 ont montré des progrès et 13 éléments n’ont montré aucun progrès. Les progrès restent inconnus pour deux éléments. [...] Un demi-billion [500 milliards $] de dollars de subventions gouvernementales pour l’agriculture, les combustibles fossiles et la pêche, néfastes pour la nature, sont mis en évidence dans le rapport comme un domaine de préoccupation particulier... » [6].
La forêt en retraite, le plastique la remplace du plus profond de l’océan au sommet de l’Everest
Pendant ce temps, les grands de ce monde se traînent les pieds pour régler la pollution du plastique. « En mars, 175 pays ont approuvé l’idée d’un accord de l’ONU régissant les déchets plastiques, que l’on trouve partout, du plus profond de l’océan au sommet de l’Everest. [...] Certaines parties, dont la Grande-Bretagne, le Canada, l’UE et la Suisse, veulent que le traité final soit contraignant et fixe l’objectif d’arrêter la pollution plastique d’ici 2040. L’Amérique est d’accord avec l’objectif mais favorise l’action volontaire et ne veut pas de nouveaux freins à la production. [...] Seulement 9% du plastique est recyclé. Mais les pays ont jusqu’à fin 2024 pour finaliser un accord qui est loin d’être dans le sac » [7].
Quant à la déforestation mondiale, elle progresse même si c’est à un taux moindre alors qu’il faudrait qu’elle s’arrête et mène s’inverse selon la déclaration des leaders de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des sols [8]. « La déforestation annuelle a ralenti de 29 pour cent environ, passant de 11 millions d’hectares par an au cours de la décennie 2000-2010 à 7,8 millions d’hectares par an au cours de la période 2010-2018. » [9]. En tenant compte de la reforestation naturelle ou non, « [l]es pertes nettes de surface forestière ont diminué de plus de moitié au cours de la période visée par l’enquête, passant de 6,8 millions d’hectares par an sur la période 2000-2010 à 3,1 millions d’hectares par an sur la période 2010-2018. » Sur 18 ans, la déforestation brute mondiale égale la superficie totale du Québec et celle nette plus de la moitié. « Avec une perte de 157 millions d’hectares, soit à peu près la superficie de l’Europe occidentale, la disparition des forêts tropicales a représenté plus de 90 pour cent de la déforestation mondiale entre 2000 et 2018. […] L’expansion des terres cultivées (dont les plantations de palmiers à huile) est le principal moteur de la déforestation, à l’origine de près de 50 pour cent de la déforestation mondiale ; elle est suivie par le pâturage du bétail, à l’origine de 38,5 pour cent de la déforestation. »
La dévastation des forêts tropicales semble blanchir la gestion des forêts nordiques. Il faut y regarder de plus prêt. En Europe surtout et au Canada dont le Québec, la reforestation, naturelle ou non, l’emporte sur la déforestation bien que les surfaces en jeu soient modestes vis-à-vis de celles en Amérique du Sud, en Afrique de l’Est e du Sud et en Asie du Sud-Est. « En Europe, le principal moteur des pertes forestières a été l’urbanisation et le développement des infrastructures, qui ont causé 30 pour cent (1,0 Mha) des pertes forestières totales. » [10]. En un mot, l’étalement urbain est ici principalement en cause. Par contre, la très importante déforestation nette au Sud est essentiellement due à l’expansion de l’agriculture, de l’élevage et des incendies. « Selon les informations publiées par l’Université du Maryland, publiées sur Global Forest Watch, les tropiques ont perdu 11,1 millions d’hectares de couverture arborée en 2021 » [11] soit plus que la moyenne 2010-18 de la FAO. La raison du « succès » européen est due à l’importation d’une part substantielle de son alimentation venant des pays du Sud. On constate que la reforestation européenne est à plus de 90% due à celle naturelle, sans doute d’anciennes terres agricoles marginales, alors que mondialement les parts de la reforestation naturelle et de l’afforestation sont à peu près égales.
Les peuples autochtones vivent sur des territoires abritant 80 % de la biodiversité restante
À la fin mars, à Genève, en préparation de la COP15, « une coalition de 91 pays [a résolu de] protéger au moins un tiers des terres et des océans d’ici à 2030 au niveau mondial, un objectif surnommé 30x30 et repris dans le texte négocié. […] En 2020, 17 % de la surface terrestre était protégée et presque 7 % des zones marines et côtières. […] Pour parvenir à 30 %, les délégations tablent sur ‘’d’autres mesures de conservation efficaces et équitables’’ (OECM en anglais), incluant des zones avec des activités humaines compatibles avec la protection de la nature. Ceci ouvre la voie à l’inclusion des terres gérées et possédées par les peuples autochtones. […] ‘’La notion de mise sous cloche de la nature n’a pas été bonne pour les peuples autochtones’’, commente Jennifer Tauli Corpuz, de l’association Nia Tero et représentante des peuples autochtones… […] Les communautés autochtones vivent sur des territoires abritant 80 % de la biodiversité restante sur Terre, selon un rapport récent des experts climat de l’ONU (Giec). […]
« Pour Linda Krueger de l’ONG Nature Conservancy, les nouvelles aires protégées devront passer un test. ‘’Nous devons constater que la biodiversité est maintenue ou améliorée à cet endroit’’, dit-elle. L’objectif de protéger au moins 30 % de la planète ne doit pas faire oublier les efforts nécessaires pour préserver la nature ailleurs, en augmentant les espaces verts dans les villes ou en réduisant les pesticides en agriculture. ‘’Nous avons besoin de 100 %, nous avons déjà perdu trop de nature’’, ajoute-t-elle. » [12]. C’est là, selon le commentateur renommé du Guardian, George Monbiot, où le bât blesse. « Prenez le Royaume-Uni, par exemple. Sur le papier, il possède l’une des plus fortes proportions de terres protégées du monde riche, à 28 %. Il pourrait facilement porter cette proportion à 30 % et prétendre avoir rempli ses obligations. Mais c’est aussi l’un des pays les plus pauvres en nature sur terre. Comment cela se peut-il ? La plupart de nos zones ‘’protégées’’ n’en sont rien. Une analyse suggère que seulement 5 % de nos terres répondent à la définition internationale d’une aire protégée. » [13].
Les acrobaties Canada-Québec et la convoitise bancaire font comprendre que le 30% est un piège
Ni le Canada ni le Québec ne se sont hissés au niveau britannique. « À la fin de 2021, le Canada avait conservé 13,5 % de son territoire terrestre (terres et eaux douces), incluant 12,6 % dans des aires protégées [et] 13,9 % de son territoire marin, incluant 9,1 % dans des aires protégées » [14]. Un simple coup d’œil jeté sur la carte attenante montre clairement que les aires protégées terrestres et même maritimes sont très majoritairement situées dans les régions nordiques souvent sans forêt et essentiellement habitées par les peuples autochtones et inuit. Au Québec, le pourcentage global de ces aires est de 17% aussi essentiellement dans les régions nordiques même si durant l’été 2021, une marche militante avait finalement forcé Québec à ajouter onze petites aires au sud, sur un potentiel de 83, ce qui a haussé le pourcentage de moins d’un quart de point de pourcentage [15].
L’ONG européenne « Sauvons la forêt » va jusqu’à mettre en cause la pertinence de la norme du 30%. « Les aires protégées peuvent jouer un rôle important dans la préservation de la biodiversité et du climat, mais elles ne sont pas la panacée. […] Un programme comme le « 30 % d’aires protégées en 2030 » des Nations unies alerte les défenseurs de l’environnement et des droits humains, car jusqu’à 300 millions de personnes pourraient pâtir de la « protection » de régions où elles ont souvent jusqu’ici vécu en harmonie avec la nature. […] La création de nouvelles aires protégées peut-elle sauver la biodiversité ? Il est légitime d’en douter car, malgré l’immense quantité d’aires protégées qui existe déjà, les crises touchant à la diversité biologique et au climat se sont aggravées. Plutôt que de fixer arbitrairement un objectif de 30 %, il serait plus judicieux d’améliorer la protection de la biodiversité avant tout dans les territoires où elle est la plus importante, comme les forêts tropicales. Il est également indispensable de dépasser notre modèle économique et notre style de vie fondés sur une consommation excessive de ressources, de produits agricoles et d’énergie » [16].
C’est un pensez-y-bien. Où le Canada plantera-t-il ses deux milliards d’arbres promis lors de la grande manifestation de Montréal avec Greta Thunberg et dont la plantation démarre à peine si ce n’est en terre autochtone [17] ? Encore faudrait-il avoir leur consentement et leur coopération si on respecte la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Et qui dit que le capital financier qui a déjà mis sa patte sur les marchés du carbone et ses « offset » y intégrera pas la norme 30%. « Les banques reconnaissent un marché en croissance lorsqu’elles le voient, et elles en voient de plus en plus un dans l’achat, la vente et la génération de compensations carbone. […] [Ce marché] devrait cependant atteindre plus de 50 milliards de dollars d’ici 2030, estime le cabinet de conseil McKinsey & Co., tandis que l’ancien gouverneur de la Banque du Canada [et d’Angleterre], Mark Carney, parlait seulement l’année dernière que le marché pourrait dépasser les 100 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie » [18].
Les enracinantes luttes locales et autochtones pour la biodiversité ne sont pas elles un piège
Voilà un sujet à débattre à la COP15 et, plus pertinemment à la cinquantaine d’évènements prévus par le Collectif Cop 15 [19]. « Le collectif de la société civile québécoise pour la COP15 est un espace de concertation de 100 organisations de conservation, d’autres organisations environnementales, d’ONGs de développement international, de syndicats, d’associations professionnelles, d’organisations jeunesse, d’organisations financières, de centres de recherche de même que de fondations philanthropique » mais sans certaines d’entre elles réputées plus tranchantes par exemple Greenpeace et Extinction Rébellion.
Existe aussi une Coalition anticapitaliste et écologique contre la COP15 dont le mot d’ordre est « Bloquons la COP15 » alors que celui du Collectif est « Pour des générations vivantes ». Tout en s’engageant, au nom de la diversité des tactiques, à ne pas se critiquer l’une l’autre, chaque coalition organisera sa propre manifestation. On peut penser que le gouvernement canadien serait certes malheureux s’il y avait des affrontements mais le serait encore plus si la COP15 se déroulait sans les traditionnelles activités et manifestations parallèles bien encadrées.
Faute de participation internationale significative et même à peine canadienne, il vaut la peine de mettre l’emphase sur l’envers de la médaille, soit l’intégration de luttes proprement urbaines et autochtones pour la biodiversité. On pense à Technoparc Oiseaux qui prend part, avec une participante de la Coalition des Terrains de golf en transition, à une « conférence et table ronde [qui] porte sur la biodiversité et la valeur écologique des milieux naturels du Technoparc de Montréal et des terres fédérales adjacentes, au nord de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. » On pense à lutte plus médiatisée de Mob6600-ParcNature-HochelagaMaisonneuve pour la conversion en parc nature d’une vaste friche industrielle envahie par le Port de Montréal, sous juridiction fédérale, et un sous-fifre privé, Ray-Mont, qui y construit une bruyante et polluante plateforme logistique de transbordement rail-camion à 100 mètres d’un CHSLD et d’une coopérative d’habitation. Et on n’oublie pas les peuples autochtones qui tiendront quelques ateliers dont le Conseil des Innus de Pessamit au sujet de la protection du caribou.
Muer le temporaire Collectif COP15 utile à l’État en permanent outil de combat contre lui
On se dit que le Collectif et la Coalition pourraient se pérenniser tout en collaborant suite à la COP15 pour devenir une coalition pour la biodiversité montréalaise et québécoise utilisant une diversité de tactiques, du lobbying aux blocages et même des grèves. Son but serait d’obliger le gouvernement fédéral à exproprier Ray-Mont Logistique, à démolir le viaduc en construction reliant le port à la friche — le fiasco de l’aéroport de Mirabel a couté 10 à 100 fois plus cher à Ottawa —, à transformer le technoparc de l’aéroport en parc, à forcer Ottawa et Québec à légiférer sur la transformation des terrains de golf urbains en jardins communautaires et en parcs natures tout en subventionnant les municipalités pour ce faire et sans compter l’appui aux groupes citoyens défendant les boisés urbains et les zones humides.
Hors zones urbaines, cette coalition se concentrerait à appuyer les peuples autochtones et inuit, et les communautés villageoises attenantes, dans leur lutte pour la gestion écologique de nos forêts et contre le pillage des coupes forestières pour fabriquer du papier à jeter après un usage unique ou du bois de construction à exporter aux ÉU. De plus en plus, ces luttes se font contre la plaie, qui va devenir béante, des mines à ciel ouvert en particulier de graphite et de lithium. Il ne sert à rien de changer quatre trente sous d’extractivisme hydrocarbone pour une piastre d’extractivisme capitaliste vert tout électrique renouvelant la consommation de masse par la prolifération des barrages hydroélectriques et des champs d’éoliennes, promises par le gouvernement du Québec qui veut accroître de 50% la production d’électricité d’ici 2050, tout comme par l’orgie des véhicules privés électriques et des fermes de serveurs alimentant l’inutile technologie 5G.
Il faut enfin lutter pour un transport actif et en commun gratuit tous azimuts, sans véhicules privés, desservant un tissu urbain densifié et humanisé de logements publics collectifs et écoénergétiques, sans maisons individuelles ou en rangées, de services de proximité accessibles à pied, d’agriculture urbaine, de parcs nature et de trajets courts articulés sur une agriculture biologique et végétarienne maximisant le retour des forêts et des milieux humides. C’est cette perspective écosocialiste d’une vie simple de « buen vivir » et riche de solidarité, que les banques et les États à leur service rejettent à cors et à cris, qui donnera au peuple travailleur l’énergie, le courage et l’intrépidité qu’ont en ce moment les peuples birman, iranien et ukrainien luttant pour leur liberté et pour leur libération nationale.
Ah oui ! Où est Québec solidaire dans cette mobilisation autour de la COP15, un événement international de première importance, ou qui devrait l’être, pour lutter contre la sixième grande extinction ? Une campagne politique, une participation, une prise de parole quelconque ? À trois jours du début de la COP15, c’est la grande discrétion… sauf une petite question à l’Assemblée nationale passée presque inaperçue par la députée responsable de l’environnement sur la protection de la rivière Magpie en territoire innue. Où est passée la grande priorité climatique-écologique du parti ?
Marc Bonhomme, 4 décembre 2022
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca