Près de trois mois après la mort de Mahsa Amini, la mobilisation qui avait démarré dans les universités et lycées touche toute la société iranienne. En dépit de l’action des forces de répression : police, armée, milices parallèles dont la police des mœurs, malgré les centaines de morts, les blessés, les milliers d’arrestations, la protestation gagne du terrain. Trois jours de grève sont annoncés, avec comme point culminant une grève générale le 7 décembre, à l’occasion de la « journée de l’étudiant. » Quelle est l’origine, et l’importance de cette journée pour le mouvement étudiant iranien, et au-delà dans la société iranienne ? [1]
Il faut remonter à 1953, deux années après la nationalisation de l’industrie pétrolière de l’Iran, au détriment des compagnies principalement britanniques. Mi-août 1953 le premier ministre, Mohamad Mossadegh, est destitué par le Chah. C’est en réalité un coup d’État préparé depuis plusieurs mois avec la CIA américaine et le MI6 britannique (« Opération Ajax »). Durant les jours qui suivent, les forces qui soutenaient Mossadegh et ses projets de réforme – forces animées par un fort sentiment national et antioccidental allant des communistes aux religieux – mobilisent. Des affrontements ont lieu, et Mossadegh finit par être arrête. Il sera jugé fin décembre ; encourant la peine de mort c’est une peine d’emprisonnement qui est finalement prononcée.
Entre 1941 et 1953, l’Iran avait connu une ère de libéralisation relative, avec la création de plusieurs partis politiques. Au cours de cette longue décennie, des universités nouvelles avaient été fondées en dehors de celle de Téhéran créée en 1934 : Shiraz en 1946, Tabriz en 1947, Mashad en 1949, Ispahan en 1950. La politisation était importante dans toutes ces universités où toutes ces tendances musulmanes, socialistes, communistes, nationalistes étaient actives. L’anti-impérialisme y dominait.
Le 7 décembre 1953
En 1953, courant novembre et début décembre un groupe d’étudiants de l’université de Téhéran entame un mouvement contre les politiques interventionnistes des USA. Richard Nixon, alors vice-président américain (le président étant Eisenhower), étant en visite officielle en Iran.
Le 7 décembre 1953 (16 Azar 1332 dans le calendrier iranien) les forces armées interviennent dans l’université pour éviter de nouvelles manifestations. Comme il n’y avait pas de manifestation prévue ce jour-là, le prétexte de l’intervention fut la recherche et l’arrestation d’étudiants coupables de s’être moqués de la police. Trois soldats, dont un officier, pénètrent dans une salle. Le professeur leur demande de sortir. Comme ils persistent à procéder aux arrestations, un étudiant monte sur une table en leur criant dessus. Les militaires se rendent ensuite chez le doyen, qui proteste à son tour, fait sonner les cloches pour rassembler les étudiants dans le hall. C’est là que tous les soldats présents entrent et tirent à balles réelles. Il y a des blessés et trois étudiants morts (deux immédiatement, le troisième succombe au bout de 24 h).
Il s’agit de :Ahmad Ghandchi (20 ans), affilié au Front national (Jebhe-ye Melli-ye Irân) organisation de Mossadegh, regroupant un large arc de forces, Shariat-Razavi (21 ans) et Bozorg-Nia (19 ans), se réclamant du Parti communiste ( Hezb-e Tudeh, littéralement « Parti des masses d’Iran »).
Il fut interdit aux familles de procéder aux cérémonies publiques traditionnelles des 3e et 7e jour après le décès. Toutefois, elles furent autorisées à rassembler 300 personnes (100 par famille) pour la cérémonie du 30e jour [2].
Diaspora étudiante iranienne et solidarité internationale
C’était un « petit monde » que celui des étudiants iraniens : 4000 étudiants en 1957, 31000 en 1965. Après l’écrasement du mouvement, c’est en exil que se reconstituent des organisations étudiantes iraniennes. En avril 1960 à Heidelberg, en Allemagne, des représentants venant de France, de Grande Bretagne et d’Allemagne décident de créer la Confédération des étudiants iraniens en Europe. En 1962, elle devient l’Union nationale Confédération des étudiants iraniens, (Confederation of Iranian Students, National Union (CISNU), avec l’adhésion des organisations des USA et de l’Association des étudiants de Téhéran, affilié au Front national [3]. Le journal de la CISNU était Shanzdahom-e Azar, en référence au 7 décembre. Elle compte 5000 membres en 1971. L’ISAUS (Iranian Students Association in the United States) avait été fondée en 1952 avec le soutien en sous-main de l’ambassade d’Iran aux USA et de fondations dépendant de la CIA. Avec le regain du mouvement en Iran même, et les révélations de Remparts sur les liens de nombreuses organisations avec la CIA (dont l’USNSA) le contrôle sur l’ISAUS cessa [4].
La diaspora étudiante iranienne, en lien avec les unions étudiantes des pays concernés, a permis des mobilisations de solidarité. C’est ainsi qu’en juin 1967 – prélude au 68 allemand – à Berlin-Ouest, la visite d’Etat du shah d’Iran est le motif d’une manifestation étudiante contre sa présence en Allemagne de l’Ouest. Pendant que le shah se rend à l’Opéra, des incidents se produisent à l’extérieur. Le jeune étudiant Benno Ohnesorg, meurt tué d’une balle dans la tête tirée par un policier. En France, en juin 1972, le pavillon iranien de la Cité internationale universitaire de Paris est l’objet de menaces quant à son statut. Dans un tract l’Union des étudiants iraniens en France dénonce des mesures visant à « étouffer toute voix d’opposition au régime du chah, qui est fort sensible à l’opinion publique française ». La Maison de l’Iran a toujours été « un lieu de regroupement des étudiants progressistes iraniens qui ont mené une large campagne de dénonciation contre le régime répressif du chah [5] ».
Des 7 décembre en Iran au 21e siècle.
En 2009, c’est le 7 décembre que le pays connût une large protestation étudiante contre les résultats de l’élection présidentielle. Dans le Wall Street Journal, un des dirigeants étudiants, Heshmat Tabarzadi, publia une tribune dans laquelle il écrivit : « Une chose est certaine : le 7 décembre prouve que le mouvement pour un Iran libre et démocratique est robuste et gagne en force. Si le gouvernement continue d’opter pour la violence, il peut très bien y avoir une autre révolution en Iran. Un côté doit se retirer, et ce côté c’est le gouvernement, pas le peuple [6] ».
Le 7 décembre 2019, trois semaines après la répression sanglante de novembre, les étudiants iraniens s’étaient rassemblés dans plusieurs universités brandissant des banderoles : « Iran, France, Irak, Chili, Liban ... même combat ».
Encore une fois, en 2022, c’est le 7 décembre étudiant qui est le rendez-vous de convergence des oppositions en Iran.
Robi Morder