JUSTICE - Près deux ans après sa première condamnation, les laboratoires Servier se retrouve ce lundi 9 janvier de nouveau sur le banc des accusés pour le procès en appel du Mediator, du nom de cet antidiabétique vendu comme coupe-faim qui a engendré la mort de plusieurs centaines de personnes.
Le médicament est accusé d’avoir provoqué de graves lésions cardiaques, alors qu’il avait été prescrit à plus de 5 millions de personnes depuis sa commercialisation en 1976 et jusqu’à son interdiction en 2009. En mars 2021, les laboratoires Servier avaient été condamnés à 2,7 millions d’euros d’amende pour « tromperie aggravée » et « homicides et blessures involontaires ».
La pneumologue Irène Frachon est la médecin lanceuse d’alerte qui a dévoilé ce scandale sanitaire en 2010. Déçue par la décision en première instance, elle explique au Huffpost ce qu’elle attend de ce nouveau procès qui se déroulera au tribunal correctionnel de Paris, et de la justice.
Le Huffpost : Qu’attendez-vous de ce procès en appel ?
Irène Frachon : Nous avons très mal vécu la décision de première instance, nous étions sidérés que le tribunal ne suive pas les réquisitions du parquet qui étaient déjà modestes au regard de l’importance de cette tragédie, de la gravité du crime. C’était sidérant. Certes, le délibéré a reconnu que c’était un délit gravissime, mais les peines ont été la cause d’une rupture de la confiance des citoyens envers la justice.
Le crime repose sur trois piliers : l’obtention indue d’autorisation de mise sur le marché, l’escroquerie, la toxicité. Pour les deux premiers, Servier a été relaxé en première instance, ce que je n’ai pas compris parce que la raison du crime, c’est le pognon. Dans le cas de la toxicité, il a été reconnu coupable a minima.
Avec ce nouveau procès, pour lequel j’interviendrai en tant que témoin, j’espère que ces trois piliers seront reconnus et condamnés. Je veux surtout que soient disséqués tous les mécanismes internes à la boîte, qui cette fois se retrouve seule en tant que personne morale sur le banc des accusés [l’Agence nationale de sécurité du médicament, condamné à une amende pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du Mediator malgré sa toxicité n’a pas fait appel, NDLR].
Vous avez dévoilé le scandale en 2007, le premier procès a duré sept mois, ce procès en appel est prévu jusqu’en juin... Comment le vivez-vous ?
Je le vis très mal, je suis indignée. Le procès est interminable à cause de l’activisme de la défense de Servier. Pourtant, l’affaire n’est pas complexe, il n’y a pas de problème pour prouver que le médicament était toxique. Mais le laboratoire s’obstine à dire que le Mediator coupe-faim n’est pas un Mediator coupe-faim. C’est un mensonge trumpien ou poutinien qui dépasse l’entendement.
« La justice est impuissante face à la stratégie de contestation de Servier qui l’épuise et la saigne à blanc »
Le fait qu’il y ait sept mois d’audience en première instance, puis de nouveau de janvier à juin, six mois, alors que Servier est seul à être jugé, c’est une honte. Cela montre que la justice est impuissante face à la stratégie de Servier qui l’épuise et la saigne à blanc. C’est un dossier qui mérite une demi-journée d’étude et pas plus de 500 heures de débats, des milliers de pages d’expertise. Là, c’est une machine à tromper et le laboratoire arrive à balader la justice.
Justement, la justice est-elle efficace pour juger les scandales sanitaires d’après vous ?
Pas du tout est c’est très inquiétant. Le problème, c’est la qualification des faits, je pense qu’il faut une réforme du Code pénal. La firme a été reconnue coupable d’ « homicides et blessures involontaires » mais ça ne veut rien dire, c’est toujours délibéré puisque Servier savait que c’était un poison ! Je pense qu’il faut permettre au juge d’instruction de mieux qualifier les faits.
Nous avons également le problème des dommages sériels. Quand la masse des victimes est trop importante, la justice s’écroule : plus il y a de morts, moins elle est efficace. Par ailleurs au pénal, il faut qualifier les faits et identifier les responsables de façon certaine. Cela pose problème, entre la prescription et la dilution des responsabilités la justice finit par dire qu’elle n’y arrive pas.
Il faut que le pénal soit capable de sanctionner à la hauteur de la gravité des délits et des conséquences de ces délits. Il faut punir de façon exemplaire. Sinon, on pourra tirer un trait sur tout espoir dans les affaires de ce type. Ce serait une très mauvaise nouvelle pour la santé publique.
Pourquoi ce procès en appel est-il aussi important que le premier ?
Le premier, c’est l’éléphant qui a accouché d’une souris. Cette fois, ce sera peut-être pareil ? Le premier procès a complètement foiré, il était de bonne tenue mais le délibéré, c’était n’importe quoi.
« Le drame du Mediator n’appartient pas au passé »
Il faut surtout rappeler que le Mediator continue à tuer. Deux femmes sont mortes en décembre : Cathy, qui a témoigné pour la BD [Mediator, un crime chimiquement pur, sortie le 4 janvier] et Suzanne. Henriette va être opérée en janvier et il y a des chances qu’elle ne s’en sorte pas... Le drame du Mediator n’appartient pas au passé.
Vous avez lancé une pétition pour que la légion d’honneur soit retirée à Jacques Servier à titre posthume. Pourquoi maintenant ?
C’est avec l’opportunité de la BD. À la fin du récit, tous les lecteurs sont sidérés, sous le choc et nous les redirigeons vers cette pétition. Les politiques se sont fait totalement leurrer par Jacques Servier [décédé en 2014, NDLR]. Il n’a pas été malfaisant que pour le Mediator, il y a eu d’autres médicaments, d’autres mensonges. De savoir qu’il est grand-croix depuis 2009, à côté de l’Abbé Pierre ou de Simone Veil, ça fait tache.
Marie Terrier