Sa forte personnalité irradiait n’importe quel groupe dès qu’il prenait la parole pour exposer son point de vue, glissant fréquemment une note d’humour comme pour rappeler qu’humain, il pouvait aussi se tromper et que son raisonnement, aussi impeccable fut-il, laissait la place à ses contradicteurs dans le respect du débat.
Dans l’ouvrage « c’était la Ligue » que nous avons écrit avec François Coustal en mémoire de nos générations militantes, nous évoquons l’expérience cubaine des années 60 où nous « Soulignons que les liens avec la révolution cubaine ne furent pas seulement intellectuels et programmatiques. Ils se sont aussi incarnés dans des personnalités qui, dans les années 1960, ont séjourné, parfois longuement, à Cuba pour y apporter leur soutien et participer aux débats : Ernest Mandel, Janette Habel, Isaac Johsua, Maya Surduts, Michael Löwy, qui joueront tous et toutes un rôle dans l’histoire de la Ligue... ».
Isy lui-même avait évoqué cette expérience directe et fondatrice lors de l’hommage qu’il rendit à la grande militante féministe Maya Surduts décédée il y a 6 ans déjà, à l’occasion de ses obsèques dans ce même lieu.
Grand théoricien marxiste, Isy Johsua était aussi un homme d’expérience militante révolutionnaire, qui alliait toujours théorie et pratique, souvent innovateur dans ses propositions, toujours intransigeant dans ses exposés et qui n’a jamais renoncé à vouloir changer le monde.
Profondément hostile au stalinisme à une époque où le PCF pèse lourd dans la gauche française et où la référence à l’URSS semble encore un point de passage obligé, Isy entre à la JCR durant son séjour à Cuba, s’investit dans les mouvements de masse de l’époque, outre le soutien à Cuba, au FLN Algérien, au FNL vietnamien, il est partie prenante du mouvement de mai juin 68, ce qui lui vaudra de partager une cellule de prison avec Alain Krivine et Pierre Rousset. Il participe à son congrès de fondation de la LCR en 1969, en tant qu’animateur d’une des trois tendances que le débat démocratique a fait apparaitre. Plusieurs questions opposent la future majorité d’Alain Krivine et Daniel Bensaid, à la minorité d’Isy Johsua et Henri Mahler, les rapports aux mouvements de masse multiples qui se développement dans la foulée de 68, les relations internationales et notamment l’adhésion à la IVe internationale, et les formes d’organisations à construire. Les désaccords au sein de la toute nouvelle Ligue Communiste, s’aggraveront au début des années 70 avec les divergences d’analyse sur la nature de l’URSS à propos de laquelle Isy Johsua élabore une théorie qui réfute tout caractère « ouvrier » au pays de Staline et de Brejnev.
La « mino » se sépare alors de la Ligue pour fonder Révolution ! Isy en sera l’un des infatigables dirigeants, toujours sur la brèche, élaborant sur de nombreux sujets novateurs, notamment le productivisme, ses relations aux rapports de production, les visions naissantes des problèmes de l’écologie, les origines du capitalisme.
En crise à la fin des années 70, l’un des courants de Révolution devenue OCT, le courant 4 organise sa fusion dans la LCR qui sera effective en 1979.
Isy a poursuivi inlassablement ses recherches théorico-pratiques, l’écriture d’ouvrages pertinents et novateurs comme « La face cachée du Moyen Age » ou « La Révolution selon Karl Marx » et le développement toujours pertinent, toujours percutant, de son point de vue sur tous les sujets d’actualité.
Au-delà de son extrême gentillesse personnelle, Isy était un militant d’une intelligence remarquable, et faisant preuve avec ses amis plus jeunes, dont j’étais, d’un très grand sens de la pédagogie. Il a été un guide précieux dans mon cheminement politique et nous ne nous sommes jamais perdus de vue, y compris ces dernières années où son point de vue m’intéressait toujours passionnément et nous nous croisions parfois à l’opéra, une autre passion commune, moins connue. Mes pensées vont à son frère Samy, un ami de toujours, et bien sûr à Anne Marie, sa compagne, elle aussi militante féministe de la première heure du temps de Femmes travailleuse en lutte, syndicaliste des PTT, à Florence leur fille, qui sut si intelligemment sonder les nouvelles générations qui nous ont succédé dans la construction d’un courant révolutionnaire et à toute la famille.
A l’heure où sur les vieilles photos des années 70, tant de visages semblent s’effacer, que notre force collective leur redonne vie dans les combats actuels.
Isy, presente
Hélène Adam